Edito

Neutralité des salariés en contact avec la clientèle : un progrès (G. Chevrier, 29 nov. 17)

par Guylain Chevrier, vice-président du Comité Laïcité République. 29 novembre 2017

La Chambre sociale de la Cour de cassation vient par un arrêt (22 nov. 2017), de définir qu’une entreprise a le droit d’interdire le port de signes religieux à un salarié en contact avec des clients [1]. Elle suit en cela la décision de la Cour de justice de l’UE (14 mars 2017), saisie au sujet de la neutralité des personnels dans l’entreprise, qui avait rendu un arrêt autorisant à introduire un article dans ce sens dans le règlement intérieur [2]. La condition en était que toutes les convictions et croyances soient concernées. La Cour de cassation précise que la règle doit être générale, dans le même état d’esprit. Elle doit être « édictée en amont » par le biais d’un règlement intérieur ou, s’agissant des entreprises de moins de 20 personnes, d’une note de service. La loi El Khomri, en 2016, avait pour la première fois prévu la possibilité d’intégrer dans le règlement intérieur un article sur la neutralité dans l’entreprise, au nom d’une cause professionnelle essentielle et déterminante.

C’est incontestablement une victoire, non contre une religion, mais pour tous ceux qui sont soucieux de préserver les libertés, à commencer par la liberté de conscience de tous les salariés, qui ne s’arrête pas à l’entrée de l’entreprise.

Le Comité Laïcité République salue cette évolution, alors qu’il a depuis longtemps alerté sur les risques que connaît l’entreprise face à la montée des affirmations identitaires [3]. La liberté de croyance n’a pas de limite, mais les manifestations religieuses ostensibles, elles, nécessairement. On a vu se multiplier les revendications religieuses sur les lieux de travail (aménagement du temps de travail pour fêtes religieuses, port de signes religieux, exigences alimentaires spécifiques, demande de salle de prières, sexisme dans les rapports hommes-femmes, refus par des hommes de serrer la main de femmes ou d’accepter d’être sous leur responsabilité hiérarchique). A force d’accommodements, on a même laissé se développer des groupes de pression religieux, jetant le trouble dans l’entreprise, en y imposant leur loi.

L’étude de l’institut Randstad - Observatoire du fait religieux dans l’entreprise, confirme cette tendance en 2016, avec le passage en un an de 50 % à 65 % de salariés qui ont observé plusieurs manifestations du fait religieux, la progression de 38 % à 48 % des managers saisis par des demandes à ce propos, ainsi que de de 6 à 9 % des cas conflictuels.

La Commission Stasi en 2003 avait recommandé qu’« une disposition législative soit prise après concertation avec les partenaires sociaux qui permette au chef d’entreprise de réglementer les tenues vestimentaires et le port de signes religieux pour des impératifs tenant à la sécurité, aux contacts avec la clientèle, à la paix sociale interne » [4]. Jean Glavany avait fait une proposition de loi, en 2008, qui allait dans le même sens. Le Haut Conseil à l’Intégration (HCI) avait publié un rapport en 2011, intitulé « Expression religieuse et laïcité dans l’entreprise », dans lequel il formulait le même souhait [5].

Dans l’affaire de la crèche Baby Loup, le licenciement d’une salariée voilée a été validé par la cour de cassation, en juin 2014, parce qu’elle n’avait pas respecté son règlement intérieur ou figurait le principe de laïcité et de neutralité [6]. Un combat courageux qui a participé à cette évolution.

L’entreprise Paprec a adopté une Charte de la laïcité par un référendum de son personnel, donnant un argument de poids à une relation sociale fondée sur l’harmonie de la collectivité de travail. Si cette charte reste fragile, elle marque une véritable culture de l’entreprise, que l’arrêt de la Cour de cassation vient indirectement consolider.

On regrettera que l’Observatoire national de la laïcité ainsi que la Commission nationale consultative des droits de l’homme, aient disputé cette possibilité, pourtant conforme à l’esprit de nos institutions, dans une situation difficile pour la laïcité et le vivre ensemble.

Un acquis à faire entrer dans le tissu social de l’entreprise, rejoignant les grands enjeux de société qui sont devant nous.

Guylain Chevrier,
vice-président du CLR.


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