1er octobre 2010
Je suis particulièrement heureuse et honorée de représenter cette année encore, devant vous, le Maire de Paris pour remettre le prix de la laïcité qui nous tient, collectivement, particulièrement à cœur.
La Ville de Paris est fière d’accueillir cette remise dans ses murs. Je voudrais, ici devant vous, remercier tout particulièrement le Président du Comité Laïcité République, Patrick KESSEL, pour son action méritoire et constante en faveur de la laïcité. Permettez-moi de saluer également les co-présidents du jury 2010, Jean-Pierre Changeux, éminent neurobiologiste et homme de paix, et Pierre Bergé, ami engagé, ardent défenseur des nobles causes, qui ne peut être des nôtres ce soir. Je remercie également Yamina Benguigui, adjointe au Maire de Paris chargée des Droits de l’Homme, d’être présente ce soir.
Depuis la première « affaire du voile », en 1991, votre comité à sans relâche défendu le principe de laïcité dans notre République, notamment en réclamant une réglementation claire, face à la recrudescence des litiges internes entre directions des établissements scolaires et élèves. Vous êtes mêlés de près à tous les grands moments de la vie démocratique républicaine, sans jamais perdre une occasion de rappeler que la devise de la République doit être constamment défendue, grâce à une vigilance et une mobilisation que vous savez maintenir.
Ainsi avez-vous rappelé combien étaient menaçantes les velléités de révision de la loi de 1905, notamment lorsqu’on a entendu des déclarations sur les vertus comparées de l’instituteur et du prêtre !
De même, vous avez dénoncé les tentations communautaristes qu’aurait permises la révision du préambule de la Constitution, en l’adaptant à la « diversité » et à la « discrimination positive ». Madame Simone Veil a courageusement fermé la voie à une telle évolution en réaffirmant, au nom de l’universalisme, les principes républicains.
Vous avez également été vigilants lorsque, alors même qu’on fêtait ici même le 60ème anniversaire de la DUDH, l’universalisme des droits de l’homme subissait des coups de boutoir. Certains pouvoirs intégristes n’hésitent pas à remettre en cause l’héritage des Lumières au profit d’un retour vers les traditions qui s’exercent presque toujours au détriment des femmes et de l’émancipation individuelle.
Enfin, mais la liste de vos actions n’est bien sûr pas exhaustive, vous vous êtes engagés contre la montée en puissance du mouvement créationniste qui vise à contraindre certaines écoles publiques à enseigner sur le même plan la théorie scientifique de l’évolution et la théorie religieuse du créationnisme.
A l’heure où tant de femmes et d’hommes – mais surtout beaucoup de femmes - sont encore victimes de l’obscurantisme barbare, comme Sakineh Ashtiani, femme iranienne emprisonnée depuis 2006 et menacée de lapidation, à l’heure où Hossein Derakhshan, jeune blogueur irano-canadien, philosophe engagé pour le rapprochement entre Israël et l’Iran, risque la peine de mort, ou encore Taslima Nasreen, toujours pourchassée et contrainte à la fuite, même si nous sommes fiers que Paris lui offre un refuge, il est plus que jamais nécessaire de rappeler la nécessité de défendre les valeurs universalistes des Lumières quipermettent aux femmes et aux hommes de vivre dans la dignité, la liberté, l’égalité et la fraternité.
A Paris, avec Bertrand Delanoë, nous tenons à rendre vivante la laïcité : c’est le cas lorsque nous construisons, avec Marc Blondel qui préside le comité de pilotage, un nouveau Patronage laïque du 21ème siècle, Avenue Félix Faure dans le 15ème arrondissement. Il ne s’agit pas d’un bâtiment parmi d’autres, ni d’une maison des associations, mais d’un projet dans lequel se concrétisera le rôle d’un lieu consacré à la laïcité contemporaine. Ce sera encore le cas très bientôt, ce mercredi 13 octobre, quand, avec Jacques Bravo, que je salue parmi nous ce soir, nous inaugurerons dans son arrondissement une plaque à la mémoire de Francisco Ferrer, ce grand pédagogue créateur de l’école moderne d’enseignement rationaliste, mixte et laïque, condamné à mort et exécuté à Barcelone en 1909.
Que dire en effet du récent projet de loi sur l’immigration, le énième, qui qualifie quasi-systématiquement l’immigration en termes négatifs et qui, en créant de facto un statut de Français de seconde zone, sape un des piliers fondamentaux de notre République ? Comme beaucoup, je suis inquiète et touchée personnellement par cette loi discriminatoire, contraire aux valeurs qui m’ont forgée, moi qui ai choisi de devenir Française à l’âge de 14 ans.
La laïcité est inscrite dans nos traditions. Elle est au coeur de notre identité républicaine. Mais ce n’est pas nécessairement immuable : il s’agit de la faire vivre en restant fidèle aux équilibres que nous avons su inventer et aux valeurs de la République dans laquelle chaque citoyen est respecté dans ses différences parce que chacun respecte la loi commune. La
France était reconnue comme la patrie des Droits de l’Homme, comme une terre ouverte, accueillante et généreuse. Sa culture est issue d’un héritage singulier qui constitue sa richesse. Au cœur de notre identité, il y a cette diversité assumée qui fait notre fierté.
Pourtant, les récentes positions des plus hautes autorités de l’Etat ont sérieusement écorné cette image.
A l’heure où les frontières se fluidifient et où les échanges se multiplient mais où, dans le même temps, les revendications identitaires ou communautaires s’affirment ou s’exacerbent, les risques du repli sur soi, de l’égoïsme et parfois même de l’intolérance réapparaissent.
La République a toujours affirmé sa foi dans l’égalité. Elle a sans cesse lutté pour la justice sociale, avec ces conquêtes historiques que sont l’éducation gratuite et obligatoire, le droit de grève, la liberté syndicale, la sécurité sociale. Elle a su faire preuve de solidarité et faire vivre l’égalité. Aujourd’hui, il reste beaucoup à faire, notamment pour que les droits des femmes soient effectifs.
Mais la réponse aux difficultés que nous traversons n’est pas dans le repli sur soi, le communautarisme ou le multiculturalisme qui s’invite insidieusement dans le débat. Elle passe au contraire par l’affirmation de notre désir de vivre ensemble et par la fidélité à notre histoire, dans le respect des valeurs communes. A défaut, le risque, c’est la montée des particularismes, c’est la division, c’est la discrimination.
La France ne doit pas sombrer dans le communautarisme et encore moins dans cette forme plus dangereuse parce que sournoise du multiculturalisme. Comme le dit Caroline Fourest (dans son ouvrage La dernière utopie, menace sur l’universalisme), « l’universalisme risque de succomber à force de tolérer les idées les plus intolérantes au nom du droit à la différence ». Ces dangereux travers sont contraires à nos principes humanistes, à notre attachement aux valeurs d’égalité et de fraternité entre tous les Français, quelle que soit leur origine, et à l’universalisme.
C’est notamment en faisant vivre le principe de laïcité, pilier de notre Constitution, que nous agirons le plus efficacement contre la tentation de repli et de stigmatisation. La laïcité incarne notre volonté de vivre ensemble dans le respect, le dialogue et la tolérance.
J’ai conscience que, si l’on est uniquement dans l’incantation des valeurs républicaines, on risque l’inefficacité. Ces valeurs doivent s’appuyer sur des politiques concrètes.
Avec Bertrand Delanoë, avec Yamina Benguigui et toute l’équipe municipale, nous
proposons des réponses politiques concrètes, sociales, économiques, culturelles. Je pense à notre combat pour construire une ville mixte, par une politique déterminée de construction de logements, dans une volonté constante de mixité sociale. Je pense à la dimension métropolitaine que nous défendons avec force en associant les élus voisins aux décisions qui engagent la ville de demain, dans des directions cohérentes. Je pense encore aux mesures de solidarité que la Ville finance seule, alors que l’Etat se désengage toujours davantage financièrement.
En guise de conclusion, je voudrais citer cette pensée de Jean Jaurès que, j’en suis sûre, vous partagerez : « La laïcité, c’est la marche délibérée de l’esprit vers la pleine lumière, la pleine science et la pleine raison. »
Je passe maintenant la parole à M. Patrick KESSEL, qui animera la suite de cette cérémonie.
Je vous remercie.
Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
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