Edouard Moreau. 6 juillet 2023
« L’Etat est laïc, la société ne l’est pas » [1]. C’est une phrase qu’on entend fréquemment.
Par exemple
. « L’Etat est laïc, pas la société ! » Mgr Podvin, porte-parole des évêques de France, novembre 2013 (« L’Etat est laïc, mais la société est plurielle »)
. « L’État est laïc, pas la société », Alain Paubert, adjoint honoraire de Quimper et Pont-l’Abbé (Ouest France, novembre 2015)
. « L’État est laïc en France, mais la société française n’est pas laïque », Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, avril 2018, après le discours dit des Bernardins du président de la République (9 avril 2018 - selon le président, le lien entre l’Église et l’État a été « abîmé »)
. « On résume souvent la laïcité dans une formule qui vient sans doute de Paul Ricœur et qui a notamment été reprise par le président de la République : l’État serait laïc mais pas la société dans laquelle prévaudrait la liberté religieuse. C’est juste mais incomplet », Philippe Raynaud (marianne.net , 27 mars 2019)
. « La République est laïque, la société française ne l’est pas », François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France (La Vie, 27 avril 2022).
Prise isolément, on peut se demander si cette phrase est un constat ou un énoncé normatif (« qui institue des règles, des principes », Larousse), une préconisation.
Mais en l’occurence, dans l’actualité de ces déclarations, quand on prononce cette phrase, ce n’est pas pour s’en désoler, mais pour la poser comme un énoncé normatif, s’en réjouir.
Alors on va d’abord regarder ce que cette phrase recouvre, et ensuite on va voir pourquoi elle est avancée, dans quelle opération idéologique et politique elle s’inscrit.
1. Qu’est-ce que la laïcité ? Un principe d’organisation de la cité
D’abord, la formule « L’Etat est laïc, pas la société » recouvre une véritable falsification du terme « laïc ».
Qu’est-ce que la laïcité ? Un principe d’organisation de la cité.
Catherine Kintzler parle de l’ « association politique ».
1.1 D’abord, en droit
Sur le plan juridique, on cite le plus souvent les deux premiers articles, principiels, de la Loi de 1905 dite de Séparation (qui ne contient pas le mot « laïcité ») :
« Art. 1 La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.
Art. 2 La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes.
Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons » [2].
Donc la laïcité, c’est la séparation - « L’Etat chez lui l’Eglise chez elle » disait Victor Hugo (1850) [3] - mais pas seulement.
Entre parenthèses, la séparation elle-même est loin d’être aboutie : Concordat d’Alsace-Moselle, financement de l’école privée...
La loi de 1905 édicte aussi : « La République assure la liberté de conscience ». Ce qui nous renvoie au « Sapere aude », « Ose penser par toi-même », de Kant, et aux Lumières.
Un article méconnu de la loi de 1905, l’article 31, réprime les pressions pour contraindre quelqu’un à exercer ou pas un culte :
« Sont punis d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ceux qui, soit par menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, ont agi en vue de le déterminer à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d’une association cultuelle, à contribuer ou à s’abstenir de contribuer aux frais d’un culte » [4] [5].
La loi (art. 28) prohibe aussi l’installation de signes religieux dans l’espace public :
« Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. »
Selon l’article 27, les « manifestations extérieures d’un culte » sont soumises au respect de l’ordre public. Même les sonneries des cloches sont envisagées : elles « seront réglées par arrêté municipal, et, en cas de désaccord entre le maire et le président ou directeur de l’association cultuelle, par arrêté préfectoral ».
Et il est « interdit de tenir des réunions politiques dans des locaux servant habituellement à l’exercice d’un culte » (art. 26) [6].
Déjà, on voit que la laïcité, et en particulier « assurer la liberté de conscience », ça ne concerne pas que l’Etat. En République il faut « assurer la liberté de conscience » partout.
Mais avant 1905, en particulier dans les années 1880, de nombreuses lois procèdent à la laïcisation, portant sur les crucifix, les cimetières et bien entendu l’école [7]. Les prémices de 1905 : « La République chasse la religion de l’espace public » [8]. Eric Anceau [9] énumère : « Au cours de ces années sont adoptées des mesures comme la fin de l’obligation du repos dominical et la suppression de l’aumônerie militaire (1880), l’abrogation du délit d’outrage aux religions par voie de presse (1881), la laïcisation des hôpitaux, la déconfessionnalisation des cimetières et la démonopolisation du droit de sépulture (1881), l’annulation du traitement des aumôniers des hôpitaux et des hospices relevant de l’Assistance publique ainsi que la suspension de la garde militaire devant les lieux de culte (1883), le rétablissement du divorce et la fin des prières avant les sessions parlementaires (1884), la réaffectation de l’église Sainte-Geneviève en panthéon de la République (1885) et la facilitation des obsèques civiles (1887). »
1.2 Au-delà du droit
La laïcité est « beaucoup plus qu’un ensemble de dispositions juridiques et un recueil de jurisprudences », selon Eric Anceau. Limiter la laïcité au droit serait une « vision au rabais ».
L’historien distingue quatre piliers : la liberté de conscience, la séparation des Eglises et de l’Etat, l’art de vivre dans la République, le combat de la raison et du libre arbitre contre les obscurantismes.
Quant à Henri Peña-Ruiz, il définit la laïcité comme « à la fois un idéal politique et le dispositif juridique qui le réalise » [10]. Le philosophe, faisant un parallèle avec la devise républicaine, explique que la laïcité s’articule autour de trois principes indissociables :
Eric Anceau abonde : « La liberté par la construction de l’autonomie de la personne et de l’esprit critique par la mise à distance des assignations identitaires, l’égalité par la commune appartenance à la nation et par le partage de la citoyenneté, et la fraternité par le souci d’autrui. »
Donc, la laïcité est bien un principe d’organisation de la cité, et pas seulement de l’Etat.
Comment la décliner dans le cadre de la séparation public-privé ?
Selon Henri Peña-Ruiz, « est public ce qui concerne tous les hommes, universellement, et dont par conséquent la communauté de droit de la nation a la charge. Est privé ce qui concerne certains hommes, en particulier, ou un homme, singulièrement. »
Il faut donc, explique Catherine Kintzler, « dissocier le régime de constitution du droit et des libertés (sphère de l’autorité publique rendant les droits possibles) d’avec celui de leur exercice (espace civil ouvert au public et espace privé) » [11].
Comment ça se décline ? Par un « mode d’organisation de la coexistence des libertés ».
Souvent on parle d’ « espace public » et d’ « espace privé ».
En réalité il y a trois champs
Donc en laïcité, l’Etat est bien évidemment laïque mais spécifiquement il est neutre.
Deux dérives « symétriques » sont possibles, pointées par Catherine Kintzler
Et l’école ?
L’école, ce n’est pas l’Etat (neutralité), mais est-ce l’ « espace civil » du public (liberté d’expression) ?
Pour Catherine Kintzler, l’école publique primaire et secondaire, parce qu’elle accueille « des libertés en voie de constitution », n’est pas pas un « lieu de simple jouissance des droits, qu’elle contribue à rendre possibles ».
On se souvient que la controverse à ce sujet est arrivée sur la place publique en 1989 avec l’ « affaire de Creil ». Comme le résume Patrick Kessel [13], « un principal de collège à Creil refuse l’entrée à deux jeunes filles voilées. Il essaie de les convaincre qu’elles peuvent porter ce voile en venant à l’école ainsi qu’en en partant, mais qu’à l’intérieur de l’établissement scolaire personne ne porte de signes religieux ostensibles.
La polémique se développe. Avec mes amis, nous attendons un soutien au principal de la part des associations laïques et plus encore du gouvernement de gauche. Il ne vient pas. Au contraire, des voix s’élèvent pour défendre le "droit à la différence", en l’occurrence le droit de porter le voile à l’école pour ces "pauvres jeunes filles" bientôt considérées comme victimes d’un ostracisme xénophobe. Le principal est traité de raciste. […]
Le ministre, saisi de l’affaire tergiverse, décide de ne pas décider et transmet le plat brûlant au Conseil d’État !
« Courage, fuyons ! »
Probablement n’a -t-il pas compris sur le coup qu’il tenait là entre les mains une bombe à retardement qui pulvériserait son destin et celui de la gauche.
Lionel Jospin dira par la suite combien il regrette cette décision qu’il voulait tempérée. Il expliquera l’appel au Conseil d’État, "non pas pour me dérober ou pour botter en touche, mais pour refroidir les passions, craignant que les interdits laïques ne valent qu’à l’usage exclusif des arabo-musulmans et n’adoptent un contenu discriminatoire, voire raciste" »
Pour Eric Anceau, « il s’agit d’un tournant dans l’histoire de la laïcité française qui la replace sur le devant de la scène et lui pose trois questions entrevues au cours des chapitres précédents : celle de son périmètre, celle de sa place dans un monde de plus en plus globalisé et celle, jusque-là inédite en métropole, de sa confrontation à l’islam. [...]
Cette affaire marque aussi le début de l’appropriation par une partie de la droite de la rhétorique laïque, alors que la gauche intellectuelle, politique et syndicale qui incarnait le projet laïque depuis le XIXe siècle est désormais divisée sur le sujet ! »
Il faudra attendre 15 ans pour que, après les travaux de la Commission Stasi et sous l’impulsion non pas de la gauche mais d’un président de droite, Jacques Chirac, soit adoptée la loi du 15 mars 2004 prohibant les signes religieux ostensibles à l’école.
Donc, non seulement l’Etat est laïque (car « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale », édicte la Constitution), mais dans le cadre de la laïcité, l’Etat est, spécifiquement, neutre. Asséner « L’Etat est laïc, la société ne l’est pas », c’est, en entretenant la confusion neutralité-laïcité, réduire la laïcité à la neutralité, pour la confiner dans la sphère de l’autorité publique : seul l’Etat est laïque puisque seul l’Etat est neutre. Tour de passe passe terminologique.
Voyons le verre à moitié vide, mais aussi à moitié plein : au moins, sur la neutralité, l’ « abstention », de l’Etat, de l’autorité publique, globalement il n’y a pas de contestation.
2. Pourquoi désormais il faut davantage se préoccuper de la laïcité dans l’espace civil (la « sphère publique »)
Pourquoi quand on défend la laïcité s’occuper de ce qui se passe dans la société ?
2.1 Une offensive intégriste
Il y a un désaccord fondamental. Sur le diagnostic, sur le réel.
En 2012, le président de la République François Hollande installe un Observatoire de la laïcité, à la présidence duquel le pouvoir nomme Jean-Louis Bianco. Lequel n’aura de cesse de proclamer : « La France n’a pas de problème avec sa laïcité » (Le Monde, 26 juin 2013), « Je ne crois pas que la laïcité soit en danger » (publicsenat.fr , 27 novembre 2017), « La laïcité n’est pas menacée » (ladepeche.fr , 13 décembre 2017).
On a vu les trois champs (Kintzler) : espace civil, espace privé, autorité publique.
Allant davantage dans le détail, Caroline Fourest [14] distingue
Or l’affaire de Creil en 1989 n’a été que le premier événement médiatisé d’une offensive généralisée de l’intégrisme, en particulier islamiste, dans l’ « espace civil », c’est-à-dire précisément la société (qui ne serait « pas laïque »).
En 2009, Patrick Kessel au nom du Comité Laïcité République résumait devant la Mission parlementaire sur le port du voile intégral : « Les reculs sur la laïcité, l’acceptation petit à petit de discriminations dites “positives”, la reconnaissance de dérogations puis de droits différenciés a engendré une situation dramatique au quotidien […]. La pression du communautarisme le plus radical s’exprime à l’école : dérogations pour les jeunes filles aux cours de biologie et d’éducation physique, pressions sur les contenus des cours de littérature et d’histoire, menaces et violences sur les enseignants, tables séparées selon la communauté d’appartenance des enfants, antisémitisme, racisme avec la mise en place dans certaines piscines publiques d’horaires discriminatoires, dans certaines bibliothèques également, refus de certaines femmes d’être soignées par des hommes médecin dans certains hôpitaux publics, récusation d’un juge motivée par sa présumée appartenance confessionnelle, violence quotidienne dans les « territoires perdus de la République » faite à des jeunes femmes qui veulent vivre librement. »
Ces travaux aboutiront en octobre 2010 à la loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public.
Oui, contrairement à ce qu’affirmait M. Bianco, la laïcité est en danger.
Quelques exemples. (Voir Oui, la laïcité est en danger ! (E. Moreau, déc. 22), Oui, la laïcité est en danger ! (2), Oui, la laïcité est en danger ! (3), Oui, la laïcité est en danger ! (4).)
« C’est donc une guerre idéologique qui s’engage, une stratégie à long terme.
N’en déplaise à certains idiots utiles, l’islamisme, en tant que projet politique et prosélyte, est donc bien une sorte d’antichambre du djihadisme » (Charlie Hebdo, 5 janvier 2022).
D’où vient-on ?
2.2 Laïcité adjectivée, « nouvelle » et déni de l’offensive islamiste
Le problème c’est le désaccord sur le diagnostic, le déni de cette offensive intégriste.
A partir du moment on on nie qu’il y ait cette offensive, on va dire que « L’Etat est laïc, la société ne l’est pas » et tout va bien.
On peut situer ce discours déjà très loin, aux années 1980.
Elu en 1981, Mitterrand s’était engagé sur un grand service public unifié de l’Education nationale.
Patrick Kessel raconte. « Paul Gourdot qui vient de succéder à Roger Leray à la Grande Maîtrise du Grand Orient, dès le début de son mandat, prend contact avec l’Élysée pour rappeler l’importance fondamentale que le Grand Orient accorde à la laïcité. Dans un courrier de novembre 1981 à Alain Savary, il met en avant la demande d’abrogation des lois anti-laïques, la loi Debré en particulier. En réponse, le ministre prend acte de la résolution du Grand Orient et annonce l’ouverture prochaine de négociations en vue de la mise en place d’un Grand Service public, laïc et unifié de l’Éducation Nationale » [15].
En 1984, c’est l’échec.
« Le dualisme scolaire étant de fait reconnu, il n’est plus prioritaire pour l’Église d’abroger la loi de séparation de 1905. Il suffit, par une politique des « petits pas » de la contourner pour obtenir un élargissement des financements aux écoles cultuelles. Et l’idée d’un élargissement du concordat, aujourd’hui limité à l’Alsace-Moselle et à la Guyane, ressurgit de temps à autre des oubliettes. Cette stratégie réussira pleinement avec le concours du Conseil d’État dont les interprétations de plus en plus libérales fragiliseront l’application de la loi de séparation. Elle trouvera le soutien d’intellectuels de gauche qui, prétendant promouvoir un droit à la différence, vont nourrir le communautarisme et s’attaquer à la laïcité.
Une offensive culturelle de grande envergure est menée sur le thème : la laïcité à l’ancienne est dépassée. »
Emerge assez vite un courant « Laïcité nouvelle », « moderne ». « L’affaire, dans les tuyaux depuis un moment, est lancée officiellement au Congrès de la Ligue de l’Enseignement, à Lille en 1986.
La laïcité dite « nouvelle », dès son lancement, affiche clairement son objectif : en finir avec la séparation et instituer un partenariat entre les cultes et l’État. »
Puis survient l’affaire des foulards de Creil (voir plus haut). A propos des responsables de la gauche, Patrick Kessel résume : « Cette laïcité qu’ils défendaient quand il s’agissait de contenir l’activisme de l’Église catholique serait devenue réactionnaire dès lors qu’il s’agit de l’islam en France. »
Et en 2012 le président Hollande crée un « Observatoire de la laicite », dont le président, Jean-Louis Bianco, persistera dans le déni, comme on l’a vu plus haut.
Heureusement, le président Macron, au cours de son premier mandat, a effectué un virage en engageant la lutte contre le « séparatisme », avec deux discours, d’abord à Mulhouse le 18 février 2020 mais surtout aux Mureaux le 2 octobre 2020, et une loi adoptée en juillet 2021.
Après le discours des Mureaux, Gérard Delfau, ancien maire et sénateur, responsable de la collection Débats laïques chez L’Harmattan, écrivait [16] que « le discours du président Macron aux Mureaux représente une avancée indiscutable par rapport à ses précédentes prises de position. Pour trois raisons, au moins :
1.- Il cible prioritairement « l’islamisme radical ».
2.- Ce faisant, le chef de l’État reprend la main, au nom de la Puissance publique, par rapport à des élus locaux parfois trop perméables à la pression d’une fraction de leur population sous influence de l’islam politique.
Et cette réaffirmation que nos lois républicaines s’imposent partout en France était indispensable. Les enjeux sont considérables : la dignité et l’égalité en droits des femmes et des minorités sexuelles, la liberté de changer de religion, et, plus largement, la liberté de conscience pour chaque citoyenne ou citoyen, par-delà l’appartenance familiale ou communautaire. Ce dont il s’agit, c’est le maintien de la paix civile.
3.- Reste la réaffirmation par le chef de l’État de la nécessaire reconquête des quartiers en déshérence et des ghettos urbains. »
Quant à Gilbert Abergel, ancien Grand Maître du Grand Orient et président du Comité Laïcité République, il estimait que « le discours des Mureaux, le Projet de Loi confortant les principes républicains, les États Généraux de la Laïcité sont autant d’initiatives gouvernementales qui semblent signer une volonté politique d’en finir avec le déni qui a trop souvent caractérisé nombre de nos responsables face à la montée de l’islam politique » [17]
La loi « confortant le respect des principes de la République » (dite « loi Séparatisme ») contient de nombreuses dispositions [18]. Saluons rapidement certaines d’entre elles.
Est créé un nouveau délit : celui de mise en danger de la vie d’autrui par diffusions d’informations relatives à la vie privée « aux fins de l’exposer, elle ou les membres de sa famille, à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens que l’auteur ne pouvait ignorer ».
L’instruction à domicile est davantage encadrée. Elle passera d’un régime de déclaration à un régime d’autorisation. Elle ne sera autorisée que pour raison de santé, handicap, pratique artistique ou sportive, itinérance de la famille, éloignement d’un établissement, et aussi en cas de « situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif ».
Les écoles hors contrat sont davantage contrôlées, notamment par « un régime de fermeture administrative » en cas de « dérives ».
Les fédérations sportives reconnues par l’Etat passent elles d’un « régime de tutelle » à un « régime de contrôle ». Pour les fédérations agréées, le « respect des principes et valeurs de la République » sera inscrit dans l’agrément
Les « certificats de virginité » sont interdits.
Il est interdit de délivrer un quelconque titre de séjour aux étrangers vivant en France en état de polygamie.
L’obligation de neutralité religieuse ne s’applique plus seulement aux fonctionnaires mais aussi aux salariés d’entreprises délégataires d’une mission de service public.
La notion de « carence républicaine » permet désormais au préfet de suspendre les décisions ou actions de toute collectivité qui méconnaîtrait gravement la neutralité du service public.
En ce qui concerne les associations, les motifs de dissolution sont élargis à celles qui se révèleraient être des relais d’endoctrinement. Le « contrat d’engagement républicain » implique que toute demande de subvention fera « l’objet d’un engagement de l’association à respecter les principes et valeurs de la République » (une disposition que réclamaient les organisation laïques [19]).
Il est décidé de mettre fin progressivement au régime des « imams détachés », financés par des pays étrangers.
Concernant les mosquées, leurs financement et fonctionnement sont l’objet d’un contrôle renforcé, en leur imposant l’abandon du statut Loi 1901 au profit de celui des associations cultuelles Loi 1905, plus transparent. Les dons étrangers dépassant 10 000 euros seront soumis à un régime déclaratif de ressources. La déclaration de toute aliénation d’un lieu de culte français à un Etat étranger sera obligatoire. Les préfets pourront s’y opposer.
Est instaurée une procédure de fermeture pour deux mois par les préfets des lieux de culte théâtres de propos, idées, théories, activités incitant à la haine ou à la violence, ou tendant à les encourager.
Parallèlement, l’Observatoire de la laïcité est remplacé par un « comité interministériel de la laïcité » [20].
Le gouvernement travaillait aussi à l’organisation du culte musulman à travers la rédaction d’une Charte pour l’islam de France et la mise en place d’un Conseil national des imams. Ce qui interroge la Séparation. « Favoriser l’émergence d’un « Islam des Lumières » ? Qui s’en plaindrait ? Mais ce n’est pas à l’État de se substituer aux « fidèles » pour favoriser une réforme de l’islam », écrit Patrick Kessel [21].
Ce chantier achoppe en particulier sur la question du droit de quitter une religion, l’« apostasie », composante évidente de la liberté de conscience. Résumé du Figaro [22] :
« « Les signataires s’engagent à ne pas criminaliser un renoncement à l’islam, ni à le qualifier d’apostasie, encore moins de stigmatiser ou d’appeler, de manière directe ou indirecte, d’attenter à l’intégrité physique ou morale de celles ou de ceux qui renoncent à une religion. » Parmi les grands principes du projet de charte rédigé par le Conseil français du culte musulman, c’est en particulier l’acceptation de l’apostasie qui a soulevé l’hostilité de plusieurs associations représentatives des musulmans en France. Ainsi quatre d’entre elles, sur les neuf qui composent le CFCM, ont refusé de signer la charte en estimant notamment que « certains passages et formulations du texte soumis sont de nature à fragiliser les liens de confiance entre les musulmans de France et la Nation. » »
Conclusion
La confusion entre laïcité et neutralité est une insulte à l’intelligence. Elle illustre la méconnaissance de la laïcité dans notre pays. Méconnaissance utilisée par les adversaires de la laïcité.
Il y a quelques jours, le Conseil des sages de la laïcité de l’Education nationale publiait un communiqué relatant des faits ahurissants. Au lycée Marcelin Berthelot de Pantin, deux inspecteurs pédagogiques, membres de l’équipe « Valeurs de la République » de l’académie de Créteil, se sont fait traiter de « roquets », « serpents », par des enseignants ! [23]
L’Etat et en général la puissance publique sont tenus à une stricte neutralité. Mais la République française est laïque, donc la laïcité s’applique à l’ensemble de la société.
Or, comment ne pas constater qu’elle y recule, en particulier en ce qui concerne la liberté de conscience ? Oui, « la société n’est pas laïque », elle est de moins en moins laïque, on pourrait même dire que depuis la Loi de Séparation qui pose « La République assure la liberté de conscience », la société n’a jamais été aussi peu laïque.
Il faut y remédier.
Au fond la question est de savoir si nous souhaitons adopter le communautarisme à l’anglo-saxonne, une société qui serait une superposition de communautés, un racialisme où chacun serait assigné à résidence selon sa « communauté » de naissance.
Donc, a contrario du déni, il importe de se mobiliser.
Parmi les pistes, signalons les propositions du Comité Laïcité République : « 14 mesures pour une laïcité libératrice » [24].
Il faut
. aller vers l’abrogation progressive et concertée du concordat et des statuts dérogatoires à la séparation des Églises et de l’État sur le territoire métropolitain et les territoires ultra-marins,
. désengager progressivement l’État et les collectivités du financement des établissements privés d’enseignement,
. conforter le statut de neutralité dans les entreprises privées où la liberté de témoigner une appartenance ne doit entraver ni le travail, ni le respect des principes affirmés par la Constitution de la République, en premier lieu, l’égalité entre hommes et femmes
. inscrire dans la loi le droit à mourir dans la dignité et de faire en sorte que chaque individu qui le souhaite puisse librement disposer de lui-même...
[1] En fait il faut écrire "laïque" (note de la rédaction CLR).
[2] Voir Loi du 9 décembre 1905, sur la séparation des Eglises et de l’Etat (note de la rédaction CLR).
[3] « Si le cerveau de l’humanité était là devant vos yeux, à votre discrétion, ouvert comme la page d’un livre, vous y feriez des ratures ! »
[4] Voir l’intervention de Yannick Guin vers 30’ dans la Conférence "La Laïcité : Histoire d’une singularité française", CLR Pays de la Loire, Nantes, 9 décembre 2021, youtube.com/watch ?v=G-XVw9b1TyM.
[5] Voir VIDEO Conférence "La Laïcité : Histoire d’une singularité française" (CLR Pays de la Loire, Nantes, 9 déc. 21) (note de la rédaction CLR).
[6] Voir dans la Revue de presse le dossier Campagne électorale dans un lieu de culte dans Lieux de culte (note de la rédaction CLR).
[7] « La laïcité en France depuis la Révolution : chronologie » www.vie-publique.fr/eclairage/20200-la-laicite-en-france-depuis-la-revolution-chronologie.
[8] Marianne, 24 novembre 2017, marianne.net/culture/1905-la-republique-chasse-la-religion-de-l-espace-public.
[9] Éric Anceau, Laïcité, un principe. De l’Antiquité au temps présent, éd. Passés/composés, janvier 2022, 386 p., 23 €.
[10] H. Peña-Ruiz, « Principes fondateurs et définition de la laïcité », intervention à l’université d’été du MRC, septembre 2003.
[11] Catherine Kintzler, « La laïcité face au communautarisme et à l’ultra-laïcisme », mezetulle.net, 14 octobre 2007 http://www.mezetulle.net/article-13078343.html.
[12] Résumait Jérémy Mercier dans Humanisme (septembre 2008).
[13] Voir le dossier Marianne toujours ! 50 ans d’engagement laïque et républicain, par Patrick Kessel (L’Harmattan, 2021) (note de la rédaction CLR).
[14] Caroline Fourest, La dernière utopie, Menaces sur l’universalisme, Grasset, 2009.
[15] Patrick Kessel, Marianne toujours ! 50 ans d’engagement laïque et républicain, L’Harmattan.
[16] « Gérard Delfau - Macron et la Lutte contre les Séparatismes », debatslaiques.fr/Gerard-Delfau-Macron-et-la-Lutte-contre-les-Separatismes.html.
[17] « Stop au déni sur la montée de l’islam politique » (G. Abergel, 19 mai 21), laicite-republique.org/stop-au-deni-sur-la-montee-de-l-islam-politique-g-abergel-19-mai-21.html.
[18] « Ce que contient le projet de loi « confortant le respect des principes de la République » », lefigaro.fr/actualite-france/ce-que-contient-le-projet-de-loi-confortant-le-respect-des-principes-de-la-republique-20210131 .
[19] « Les associations percevant de l’argent public doivent s’engager à respecter les principes de la République », Collectif laïque national, 2 février 2021, laicite-republique.org/les-associations-percevant-de-l-argent-public-doivent-s-engager-a-respecter-les.html.
[20] AFP, lefigaro.fr , 4 juin 2021.
[21] « Laïcité : Emmanuel Macron, lutter contre le "séparatisme" implique d’aller au-delà des symboles », Patrick Kessel, 4 mars 2020 marianne.net/agora/humeurs/laicite-emmanuel-macron-lutter-contre-le-separatisme-implique-d-aller-au-dela-des.
[22] « Dans les familles musulmanes, le grand tabou de l’apostasie », lefigaro.fr, 30 mars 2021, lefigaro.fr/actualite-france/dans-les-familles-musulmanes-le-grand-tabou-de-l-apostasie-20210330.
[23] « "Roquet", "serpent" : des enseignants insultent des formateurs Laïcité » (Conseil des sages de la laïcité, 14 jan. 22), laicite-republique.org/roquet-serpent-des-enseignants-insultent-des-formateurs-laicite-conseil-des.htm.
Voir aussi
dans la Revue de presse
Y. Quiniou : "Dire que « la société n’est pas laïque » est une formule illégitime" (Le Monde, 29 déc. 17), "La laïcité n’est ni radicale, ni une menace pour la France" (F. Boudjahlat, C. Pina, C. Valentin, B. Lefebvre, W. al-Husseini, marianne.net , 28 déc. 17), "La laïcité, combien de morts ?" (J.-M. Bouguereau, larepubliquedespyrenees.fr , 23 déc. 17), "Monsieur le Président, il n’y a pas de risque de radicalisation de la laïcité" (A. Meguini, laicart.org , 23 déc. 17), "Devant les chefs religieux, Emmanuel Macron dénonce une "radicalisation de la laïcité"" (AFP, nouvelobs.com , 22 déc. 17), la rubrique Ecole,
dans les Initiatives proches C. Kintzler : « La République est laïque, mais non la société » : des propos mal ficelés (mezetulle.fr , 29 déc. 17), C. Kintzler : “La laïcité face au communautarisme et à l’ultra-laïcisme” (mezetulle.net , 14 oct. 07),
dans Livres "La séparation de la sphère publique et de la sphère privée" (Collectif, 30 ans de République - extrait) dans 30 ans de "République". Une loge du Grand Orient de France à Paris (Conform, 2023) (note de la rédaction CLR).
Comité Laïcité République
Maison des associations, 54 rue Pigalle, 75009 Paris
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