Revue de presse

Y. Quiniou : "Dire que « la société n’est pas laïque » est une formule illégitime" (Le Monde, 29 déc. 17)

Yvon Quiniou, philosophe, auteur de "Critique de la religion. Une imposture morale, intellectuelle et politique" (La ville brûle, 2014). 29 décembre 2017

"Le philosophe répond au président Emmanuel Macron, qui, lors d’une rencontre avec les représentants des six principaux cultes, a déclaré que « c’est la République qui est laïque, pas la société »."

"Le président Macron, dans un entretien inédit et chaleureux avec les représentants des différents cultes, a affirmé que « les religions font partie de la vie de la nation ». Affirmation surprenante : on peut y voir un truisme, un constat d’évidence – ce qu’elle n’est pas. Bien plutôt, elle constitue une forme d’apologie des religions, la reconnaissance implicite de leur apport positif à la vie collective.

Or ceci n’a rien d’un truisme et constitue au contraire une thèse tout à fait contestable et d’une rare naïveté, surtout si l’on se souvient qu’il a un minimum de formation philosophique. Car elle oublie un fait, lui incontestable : les religions, qui sont censées unir les hommes (le mot latin religare signifie « relier »), n’ont cessé, tout au long de l’histoire, de se déchirer entre elles et d’abîmer le lien social, donc la vie en société, et ce de plusieurs manières qu’Emmanuel Macron semble oublier ou ne veut pas voir.

Sur le plan intellectuel, ce sont leurs dogmes qui les ont opposées et ont opposé du même coup les communautés qui s’en réclamaient, aux prix de guerres « civiles » atroces. La tolérance interreligieuse n’a guère été leur fait, mais plutôt le dogmatisme et le fanatisme, avec en plus, une haine de l’athéisme qui culmine dans l’islam comme on le voit encore aujourd’hui – haine qu’on trouvait déjà, peu le disent, dans la Lettre sur la tolérance de John Locke sur ce sujet. Donc : lien, en interne, mais rupture du lien en externe. [...]

Leur bilan humain et donc leur sens social sont bien très largement négatifs et il ne faut ni l’oublier ni, du coup, favoriser l’expansion des religions ou stimuler la religiosité ambiante par de pareils propos ou attitudes venant du chef de l’Etat. A-t-il conscience, aussi, qu’il n’a pas le droit de dire que « la République est laïque, pas la société » ? Cette formule est illégitime au regard de notre Constitution, selon laquelle nous vivons dans une « République une, indivisible, laïque et sociale » - la laïcité concernant donc aussi la société et lui évitant des divisions communautaristes qui freinent l’émancipation de la vie sociale : aucune religion n’a le droit d’imposer socialement ses croyances et son culte aux citoyens.

Au final, on est un peu stupéfait par ces propos d’Emmanuel Macron, même si l’on sait par ailleurs qu’il se dit « habité par la transcendance », ce qu’il ne devrait d’ailleurs pas déclarer publiquement, car il rompt ainsi le pacte de neutralité qu’il devrait observer en tant que chef d’Etat !

Stupéfait, aussi, car il devrait se souvenir du diagnostic critique que tous les grands penseurs ont pu faire de la religion : Spinoza, Hume, Kant, Rousseau, en tant que philosophes partisans de la rationalité et du libre examen, puis les esprits de type scientifique du XIXe et du XXe siècle comme Feuerbach, Marx, Nietzsche et Freud. Leurs approches sont différentes (psychologique, sociale, biologique, psychanalytique) mais, sur ce sujet, complémentaires.

On peut les résumer en disant que, au-delà de l’explication humaine de l’origine des religions, ils ont dénoncé leurs effets désastreux sur la vie des hommes, y voyant une source d’aliénation, contribuant à empêcher les êtres humains de réaliser toutes leurs potentialités de vie. Est-ce cela, Monsieur le président, que vous approuvez et même valorisez… ou alors êtes-vous dans le subtil calcul politicien, les croyants étant aussi des électeurs ?"

Lire "Yvon Quiniou : « Aucune religion n’a le droit d’imposer son culte aux citoyens »".



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