Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur en travail social, vice-président du Comité Laïcité République. 27 août 2018
[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Le Comité des droits de l’Homme de l’ONU a critiqué le licenciement d’une salariée voilée de la crèche française Baby-Loup, crèche associative et donc à caractère privé. Il y voit une "atteinte à la liberté de religion", et a invité la France à l’indemniser. Contrairement à l’idée qu’on laisse curieusement trainer dans certains médias, il rend des avis mais n’a pas de pouvoir de contrainte.
On se rappelle, de ce qui était devenu « l’affaire Baby Loup », dans un contexte de débats animés autour de la place de l’islam dans notre pays. Une employée s’était présentée du jour au lendemain portant le voile à son poste de travail à la crèche, alors que dans le règlement intérieur de cette dernière était inscrit le principe de laïcité et de neutralité, s’appliquant dans l’ensemble de ses activités en rapport avec les enfants. La directrice de la crèche avait licencié l’employée voilée, en cohérence avec un règlement intérieur que la mise en cause connaissait parfaitement. La justice française avait finalement confirmé le licenciement, après divers rebondissements et cinq ans de procédure.
Que dit le Comité des droits de l’Homme de l’ONU ?
Ce Comité, qui dépend du Haut-Commissariat pour les droits de l’Homme de l’ONU, est composé d’experts, 18, présentés comme indépendants. Il est chargé de veiller au respect, par les Etats membres, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Dans ses conclusions, il considère, relativement à l’employée licenciée, que "l’interdiction qui lui a été faite de porter son foulard sur son lieu de travail constitue une ingérence dans l’exercice de son droit à la liberté de manifester sa religion". Aussi, que la France "n’explique pas en quelles mesures le port du foulard serait incompatible avec la stabilité sociale et l’accueil promus au sein de la crèche". Selon lui, la France "n’a pas apporté de justification suffisante qui permette de conclure que le port d’un foulard par une éducatrice de la crèche porte atteinte aux libertés et droits fondamentaux des enfants et des parents la fréquentant".
Il conclut donc que l’obligation imposée à l’employée voilée de retirer son foulard lors de sa présence à la crèche constitue "une restriction portant atteinte à la liberté de religion" de la salariée, "en violation" du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est aussi considéré que la France "n’a pas suffisamment étayé la façon dont le licenciement (…) sans indemnité de rupture", "en raison du port du voile, avait un but légitime ou était proportionné à ce but", concluant que le licenciement "ne reposait pas sur un critère raisonnable".
Le Comité indique que la France "est tenue, entre autres, d’indemniser" l’employée licenciée "de manière adéquate et de prendre des mesures de satisfaction appropriées, incluant une compensation pour la perte d’emploi sans indemnités et le remboursement de tout coût légal". Le Comité a souhaité que les autorités françaises lui transmettent, dans un délai de 180 jours, des renseignements sur les mesures prises.
Des conclusions qui ignorent les valeurs qui fondent notre lien social, le droit français, et sont en contradiction avec le droit européen.
Mais qu’avait donc pris à cette crèche, d’inscrire dans son règlement intérieur le principe de laïcité et de neutralité concernant ses personnels ?
La diversité même des enfants et donc des familles accueillies, leur égalité de traitement et leur autonomie, justifiaient aux yeux des fondatrices de cette crèche implantée dans un quartier populaire de Chanteloup-les-Vignes (78), le respect de ces principes. C’était une condition de son bon fonctionnement.
Ouverte 24 heures sur 24, elle poursuivait le but d’aider avant tout des femmes de condition modeste, souvent seules pour élever leur enfant, à accéder au marché du travail ou à s’y maintenir, à participer à leur émancipation parfois d’un cadre où elles étaient reléguées. N’était-ce pas ce rôle porté par la crèche qui était le plus insupportable à certains, sentiment que cet avis vient renforcer ? On s’est empressé d’aller questionner l’intéressée et sa famille en jouant sur l’émotion, qui parle d’une victoire contre une injustice, mais c’est en réalité un nouvel appel à ouvrir la boite de Pandore du multiculturalisme.
Ayant épuisé, nous dit-on, toutes les voies de recours devant les juridictions internes, les représentants de l’employée voilée licenciée, les avocats Claire Waquet et Michel Henry, ont formuler une requête auprès du Comité des droits de l’Homme de l’Organisation des Nations unies. "Nous avons choisi de saisir le comité des droits de l’Homme de l’ONU moins directement efficace mais plus constant dans ses décisions que la Cour européenne des droits de l’Homme, qui a tendance à laisser une large marge d’appréciation aux Etats."
Ben voyons, pourquoi donc respecter les décisions propres aux Etats qui découlent de leur droit interne et de leurs juridictions, ainsi que celles des instances juridictionnelles internationales reconnues ? On mesure là l’acharnement à user de tous les moyens pour faire passer la foi au-dessus du droit.
Sur quels articles du Pacte international relatif aux droits civils et politiques s’appuie ce comité, pour prendre une telle position ? L’article 18 qui affirme « la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement ». Si on suit ce texte qui ressemble à celui de Convention européenne des droits de l’Homme en son article 9, on devrait tout laisser faire en matière de religion dans notre pays.
Mais il n’en est pas ainsi en raison d’un principe politique qui est constitutif de l’Etat en France, à savoir la laïcité, reconnue d’ailleurs dans les décisions de la Cour européenne des droits de l’Homme. La discrétion des convictions philosophiques et religieuses en est même devenue une valeur dominante dans notre pays, allant avec le respect d’autrui et de différences vivant en bonne intelligence. Une culture commune, comme en témoigne toutes les enquêtes d’opinion. Ceci, évidemment en dehors de ceux qui entendent imposer la loi religieuse au-dessus de la loi civile.
Ce qui a pour conséquence, entre autres, le fait que le nombre de fois où les cloches des églises sonnent dans nos villes est arrêté sur décision de l’exécutif local, que les signes religieux ostensibles, dont le voile fait partie, soient proscrits dans l’école publique, et qu’on condamne le prosélytisme à l’entreprise, nul ne devant être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi, comme cela peut être le cas de prières de rue ou d’y procéder à l’office religieux, que l’on peut interdire.
L’article 26 est aussi évoqué pour justifier cette critique de la France, qui dit : « la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ». Il pourrait être résumé en le traduisant à un appel à l’égalité de traitement des différences, en totale opposition avec l’égalité de traitement de tous devant la loi.
On comprend que l’égalité de traitement qui impose la neutralité aux personnels dans le cas d’entreprises en contact avec la clientèle ou des usagers, soit totalement incompréhensible pour ceux qui ne peuvent penser qu’à travers un modèle qui est celui du multiculturalisme. La France et quelques autres pays font ici, il est vrai, exceptions. Mais parce que nous sommes à l’avant-garde dans ce domaine, ne laissant pas les différences prendre le pas sur ce qui nous est commun ou s’en serait fini de notre « République indivisible, laïque, démocratique et sociale », égalitaire, telle qu’elle est définie à l’article Premier de notre Constitution.
Les droits de l’Homme, dans le cadre desquels il a été si difficile de faire entrer les droits des femmes, ne sont pas que des droits détachés les uns des autres, ils ont pour sens commun la citoyenneté, l’intérêt général, la responsabilité politique de choisir un destin commun contrairement à une vision religieuse d’un autre âge qui considère que cela ne relève que du pouvoir d’un dieu. Des droits inaliénables à quiconque, pas plus qu’à une Eglise, qui sont portés au-dessus des différences, comme propriété collective.
Enfin, on se remémorera ici ce que les grands médias n’ont cessé d’omettre, de France 2 (20h, JT du 26 août) à l’Obs, depuis qu’a été connue la prise de position de ce Comité des droits de l’Homme, à savoir, que la Cour de Justice de l’union européenne en mars dernier avait statué sur deux cas d’employées voilées licenciées, et qu’elle en avait conclu qu’il était possible d’interdire les signes religieux ostensibles pour les entreprise ou établissements privés associatifs qui y sont assimilés, par la voie de leur règlement intérieur, mettant en contact leur personnel avec la clientèle et donc a fortiori des usagers, comme le sont les enfants fréquentant une crèche privée, et leurs parents.
Le principe de neutralité peut être appliqué ainsi à l’entreprise à la condition que ce soient toutes les convictions et croyances qui soient concernées. Ce qui a été confirmé en novembre dernier par la Cour de cassation. Ce licenciement se produirait aujourd’hui, il n’y aurait donc pas de cas Baby Loup. On considère du côté des instances judiciaires ayant un réel pouvoir de contrainte, formés de juristes et non simplement « d’experts en droits de l’Homme », comme « raisonnable » d’interdire le port de signes religieux dans ce cas.
Les graves contradictions de l’ONU concernant les droits de l’Homme, de la Femme et de l’Enfant
Ces droits de l’Homme, dont se réclame ce Comité, sont galvaudés à l’ONU elle-même. Comment l’Arabie saoudite a pu donc s’être vue promu à la tête de commissions des droits de l’Homme de l’ONU jusqu’à celle pour le droit des femmes ? « Élire l’Arabie saoudite à la protection des droits des femmes, c’est comme nommer un pyromane chef des pompiers », expliquait au moment de cette promotion, Hiller Neuer, le directeur général de l’ONG de défense des droits de l’Homme, UN Watch. Réunion non-mixte : « À la Commission pour le droit des femmes, 13 hommes discutent, sans aucune femme. Les organisateurs les ont installées dans une salle séparée. » [1] [2] Un régime qui s’est montré intraitable avec le blogueur et militant Raif Badawi, condamner à recevoir 1000 coups de fouets et à 10 ans d’emprisonnement, en prison depuis 2012…
Il est fort surprenant de voir dans ces conditions l’importance donnée à cet avis, en commentant dans les médias français, que la France n’aurait pas le choix et devrait obtempérer. C’est de la désinformation de la part de ceux qui prennent leurs rêves pour la réalité !
On pourrait immédiatement se remémorer un autre litige récurant avec l’ONU, celui concernant la Convention internationale des droits de l’enfants (1989), assez révélatrice du fait que la France ne saurait se conformer aux exigences de cet organisme dominé par des Etats religieux ou multiculturalistes. Elle a mis des réserves sur deux articles de cette Convention qui mettent directement en cause, au nom d’exigences religieuses et culturelles, notre droit et les libertés de nos concitoyens, protégés par notre Constitution et ses lois.
L’article 6 qui affirme que « tout enfant a un droit inhérent à la vie », formulation directement sous influence religieuse, qui si elle était admise dans notre pays remettrait en cause le droit à l’IVG voire à la contraception. D’autre part, l’article 30, qui porte sur le droit des enfants au regard des minorités linguistiques et culturelles, et donc religieuses ainsi qu’ethniques, dont il ne devrait pas être privé. Cet article balaye ainsi d’un revers de main l’affirmation de cette convention à reconnaitre des droits et libertés à l’enfant, en le prédestinant ainsi à l’emprise de groupes communautaires où il disparaitrait comme individu de droit, au nom de considérations multiculturalistes.
Au nom de l’article 2 de notre Constitution, qui affirme la langue française comme seule langue commune, l’Etat s’y est opposé. Le Conseil économique et social des Nations Unies ne cesse de demander à la France le retrait de ces réserves. Rien d’étonnant, dans ce contexte, à l’orientation donnée à l’avis de ce Comité, alors que les droits des femmes sont bafoués dans bien des pays en toute impunité jusqu’à ceux de ces experts, et alors qu’en Arabie saoudite « les défenseures des droits des femmes sont la cible du régime d’apartheid sexuel dont l’abaya et la tutelle masculine sont les symboles, et que l’une de ces activistes, Israa al-Ghomgham, y risque la décapitation » [3] [4].
Territoires perdus de la République, montée de l’islamisme et aveuglement de l’ONU
La crèche après sa victoire devait subir des pressions, avec des actes de dégradation et des menaces, la poussant à déménager dans une autre commune, à Conflans-Sainte-Honorine. Ce qui devait révéler combien avec ce combat judiciaire, il s’agissait en réalité de défendre notre lien social, ses valeurs et règles communes, un de ces territoires de la République qui depuis a été perdu.
C’est une certaine idée de faire société comme égaux avant tout qui est porté par Baby Loup, et non contre les différences mais pour leur permettre de vivre ensemble, que vient télescoper cette prise de position du Comité des droits de l’Homme de l’ONU. Depuis ce que l’on a qualifié d’« affaire Baby Loup », la montée du communautarisme n’a cessé de s’affirmer dans notre pays, spécialement à travers la multiplication du voile et l’enferment religieux de nombreux quartiers où l’offensive islamiste a fait exploser le nombre de radicalisés.
L’ONU a décidément bien du mal à impulser un mouvement d’émancipation, dont de nombreux membres de notre communauté humaine ont un impérieux besoin, au regard de la tradition ou de l’intégrisme religieux, à commencer par les femmes qui en paient le plus lourd tribut."
Lire "Crèche Baby Loup : l’ONU critique le licenciement de la salariée voilée à tort et à travers".
[1] "L’étonnante intégration de l’Arabie saoudite au Conseil pour les femmes de l’ONU", Figaro Madame, le 25 avril 2017.
[2] Lire aussi "Non, l’Arabie saoudite ne peut défendre les droits des femmes à l’ONU !" (note du CLR).
[3] LIGUE DU DROIT INTERNATIONAL DES FEMMES, Communiqué : Affaire Baby Loup : l’ONU contre les droits des petites filles à l’émancipation. Le 26 août 2018.
[4] Lire aussi Arabie saoudite : la militante Israa al-Ghomgham risque la peine de mort (courrierinternational.com , 23 août 18) (note du CLR).
Voir aussi Crèche Baby-Loup : le Comité des droits de l’homme de l’ONU désapprouve la France (nouvelobs.com , 24 août 18) dans la rubrique Voile dans une crèche de la Revue de presse, "Une loi qui assure la liberté de conscience pour la petite enfance" (Collectif laïque, 18 mai 15), Neutralité dans les crèches : une avancée législative importante (14 mai 15), Baby Loup : une victoire en attendant une loi (30 oct. 14), Babyloup - Cour d’appel : une avancée importante (28 nov. 13), Pour une loi sur la neutralité confessionnelle dans le secteur associatif de la petite enfance (Collectif laïque, 25 oct. 13), "Baby-Loup : il faut légiférer !" (Collectif laïque, 6 mai 13), "Crèche Baby-Loup : Appel à toutes les consciences républicaines !" (pétition), Baby-Loup : nouveau coup de pouce au communautarisme (20 mars 13), Natalia Baleato et Nadia El Fani, Prix de la Laïcité 2011 (29 juin 11), Lettre du CLR Ile-de-France à la directrice de la crèche Baby Loup (16 déc. 10) (note du CLR).
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