Revue de presse

"Universités, IEP… Les dérives d’un « wokisme » toujours plus influent" (lefigaro.fr , 9 déc. 21)

13 décembre 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Annoncé il y a dix mois par la ministre de l’Enseignement supérieur, le rapport sur l’islamo-gauchisme est au point mort. Des universitaires dénoncent l’emprise de cette idéologie confondant recherche et militantisme.

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Alors que les idéologies « décolonialistes », « racialistes », et « woke » sont au cœur des débats, où donc est passée l’enquête sur l’« islamo-gauchisme » et le militantisme dans le monde de la recherche universitaire, annoncée il y a maintenant dix mois par la ministre de l’Enseignement supérieur ? Au point mort.

Satisfaction dans les rangs de ceux qui ironisent sur un « fantasme » et une « obsession » de l’extrême droite et font valoir la « liberté académique ». Consternation du côté de ceux qui décrivent, derrière le terme « islamo-gauchisme », un phénomène bien réel dans le monde des enseignants-chercheurs, et dénoncent une confusion entre liberté académique et liberté d’expression. Forgée au début des années 2000 par le philosophe Pierre-André Taguieff, la notion désigne « une alliance militante de fait entre des milieux d’extrême gauche se réclamant du marxisme et des mouvances islamistes ».

En février 2021, sur le plateau de Cnews, Frédérique Vidal avait déclenché une vive polémique en affirmant que « l’islamo-gauchisme gangrén(ait) la société dans son ensemble » et que l’université n’y était « pas imperméable ». À coups de tribunes interposées dans la presse, les universitaires étaient montés au créneau, les uns dénonçant des « idéologies indigéniste, racialiste et décoloniale » présentes dans les universités, les autres une arme rhétorique inventée par la droite. La ministre avait alors annoncé vouloir confier au CNRS « une enquête sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université », afin de « distinguer ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève du militantisme et de l’opinion ».

Fin de non-recevoir du CNRS, qui, en février, condamnait « avec fermeté » ceux qui en « profitent » pour « remettre en cause la liberté académique », à commencer par « les tentatives de délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études postcoloniales, les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de “race” ». L’islamo-gauchisme, « slogan politique utilisé dans le débat public, ne correspond à aucune réalité scientifique », écrivait l’organisme de recherche. Oubliant au passage que les notions de « réalité » et de « scientificité » n’ont jamais fait bon ménage…

« La démarche de Frédérique Vidal a été doublement maladroite, assène Nathalie Heinich. Elle a réagi à contretemps, bien après les propos de Jean-Michel Blanquer sur l’islamo-gauchisme “qui fait des ravages”, après l’assassinat de Samuel Paty. Elle a ensuite voulu confier son rapport au CNRS, ce qui n’avait pas de sens. C’est le rôle du HCERS (une autorité administrative indépendante chargée de l’évaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche publique, NDLR). » Auteur en mai de l’ouvrage Ce que le militantisme fait à la recherche (Gallimard), et en septembre d’Osez l’universalisme (le Bord de l’eau) - cette idée forte des Lumières, aujourd’hui remise en question par le courant décolonialiste -, la sociologue vient de publier une note pour le think-tank libéral Fondapol dans laquelle elle alerte sur le risque de confusion entre recherche et militantisme au sein de l’université.

Ce texte de 40 pages titré « Défendre l’autonomie du savoir » traduit, selon son auteur, « une inquiétude d’une partie des universitaires » qui ont encore du mal à se faire entendre « au-delà de leurs petits groupes et de l’université ». À l’opposé, elle pointe les « académo-militants » qui veulent « le beurre et l’argent du beurre » : « ils voudraient voir leurs propos militants entrer dans le cadre protégé au nom de la liberté académique », explique-t-elle.

« Dans le domaine des sciences de l’homme, la “militantisation” de la recherche n’est pas nouvelle, poursuit la chercheuse. Après la période stalinienne, puis le maoïsme, les choses s’étaient tassées. Mais, depuis la fin des années 1990, on observe une recrudescence des atteintes à l’autonomie du savoir, liée à la fois à l’influence de Bourdieu, puis à l’importation des courants américains du postmodernisme et plus récemment, le mouvement woke. » Si, depuis les années 1960, ces mouvements présentent des « ressemblances » - la légitimation d’atteintes à la liberté académique au nom de la défense de causes progressistes et « une tendance forte au totalitarisme, dont relève la “cancel culture” » -, il existe « une différence majeure » par rapport aux périodes antérieures, explique Nathalie Heinich.

« C’est à l’intérieur de l’université et au niveau même des institutions que s’organise la remise en question de l’autonomie du savoir », avec des organismes de gestion de la recherche qui encouragent la politisation des travaux de recherches. « Les appels à projet, français et européens, flèchent les crédits vers des thèmes comme l’islamophobie et l’égalité entre les sexes. Les spécialistes de l’islam ont du mal à travailler sur la radicalisation ou le halal. Un collègue physicien, en Suède, m’a expliqué qu’en déposant un projet de recherche, il doit préciser en quoi celui-ci favorise l’égalité entre les hommes et les femmes », raconte-t-elle. À cela, s’ajoutent des « trous dans la raquette structurels », comme le recrutement local, par la cooptation au sein des universités, ou encore les limites posées par la loi de 1984 à la liberté académique au nom de la « tolérance ».

Relancée en septembre par le Sénat et en octobre sur Franceinfo au sujet de sa fameuse enquête, Frédérique Vidal a évoqué « un observatoire européen des libertés académiques ». « La question des libertés académiques se pose maintenant à l’échelon européen, puisque la Commission s’en empare », affirme-t-elle. Mais pour Nathalie Heinich, « confier cette mission à un observatoire européen risque d’orienter le rapport en faveur des académo-militants, étant donné les orientations prises par le Conseil de l’Europe, gagné par le mouvement “woke” »."

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