Revue de presse

Tariq Ramadan fait « de la défense du dogme un axe politique » (D. Leschi, Le Monde, 25 mai 16)

Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration. 24 mai 2016

"Tariq Ramadan assure que les réticences vis-à-vis du foulard, porté dans une volonté de réaffirmation de l’identité musulmane depuis la victoire de l’islam politique en Iran, ne seraient que le résultat d’une " obsession française ". Ce faisant, il souhaite mobiliser un public de fidèles musulmans avec la volonté d’utiliser ce débat comme porte d’entrée de la remise en cause de notre laïcité publique. C’est dans ce contexte que s’inscrit sa demande de la nationalité française qui a suscité dimanche 22 mai l’ire du premier ministre.

Comme le soulignait le grand historien de la loi de 1905 qu’était Emile Poulat, aucune histoire du mot " laïcité ", apparu après la guerre franco-prussienne de 1870, n’a été entreprise. Avant cette date, seul l’adjectif faisait partie du vocabulaire. On parlait de République laïque, d’école laïque, pas d’une laïcité attribut possible de notre devise républicaine. Et c’est parce que le mot ne dit pas grand-chose qu’il n’a pas été repris dans la loi de 1905.

Alors, comment définir la laïcité ? La meilleure réponse est de rappeler qu’elle est née de la volonté de rompre avec la " catholicité " – c’est-à-dire avec le régime juridique d’Ancien Régime où tout procédait de la Vérité de l’Eglise, et où ceux qui la refusaient étaient au mieux tolérés, quand ils n’étaient pas fondamentalement exclus de tous droits. Dans son violent apogée que fut l’Inquisition, c’est l’époque où les juifs persécutés peuvent trouver refuge au sein du monde musulman.

Après la laïcisation de l’état civil, en donnant la pleine citoyenneté au Français juif, la Révolution française établit un régime où chacun est porteur des mêmes droits indépendamment de son identité religieuse. Ainsi débute une longue lutte contre la prétention du religieux à vouloir contrôler la vie sociale. Et si le temps n’est pas si loin où il était impensable, en France comme en Europe, qu’une femme sorte dans la rue ou entre dans une église " en cheveux ", la disparition progressive de cette pression issue de la morale religieuse accompagna le mouvement pour l’égalité juridique entre les sexes.

Car ce qui alimente aujourd’hui notre crise laïque à partir de l’islam, c’est le sentiment, et même la réalité, que des prédicateurs veulent réinstaurer en France un régime où la soumission à la loi de Dieu devrait être le prédicat. Il est conforté, ici, par l’évolution que connaît le monde musulman, en particulier sunnite, qui, pour des raisons historiques et postcoloniales, est aussi le nôtre.

Du Maghreb au Pakistan, par la cœrcition juridique ou par l’imposition d’une violence sans limite, il est devenu le strict inverse du refuge possible qu’il avait été, le monde où la différence, religieuse, culturelle, sexuelle, est traquée de plus en plus souvent jusqu’à l’éradication, avec son lot d’atrocités, en même temps qu’est réactivé le port du foulard.

En feignant d’ignorer ce contexte pour ne souhaiter qu’une confrontation avec notre cadre juridique pour faire de celles qui portent le foulard des victimes, Tariq Ramadan se refuse à penser le rapport qu’entretient, pas seulement le monde musulman, mais l’islam, en tant que profession de foi, à l’altérité.

Car au regard de cette profonde involution, quel sens donner au geste de ces étudiantes en foulard inscrites dans des filières où les seuls débouchés sont ceux de la fonction publique ? Comment empêcher que d’aucuns ne s’interrogent sur le fait que l’étape suivante sera une demande de grignotage régressif des règles de neutralité ? Ou encore, comment ne pas être inquiété par le surgissement, dans de trop nombreuses entreprises, de ces vestiaires transformés en salles de prière, avec le soutien de représentants syndicaux, sous prétexte que toutes les revendications sont légitimes, oubliant que le mouvement ouvrier s’est construit sur le principe que seule la confrontation de " classe " entre le patron et le salarié est porteuse de progrès et que, à l’inverse, la division religieuse entre salariés ne peut être que régressive ?

C’est du reste ce qu’avait compris le patronat le plus réactionnaire de l’automobile qui, à la fin des années 1970, n’autorisait dans ses usines que les " syndicats maison " et les salles de prière.

Face à ces phénomènes, la contrainte juridique ne peut certes tout résoudre. Surtout, elle ne peut remplacer une parole musulmane portée par des intellectuels pieux montrant qu’ils s’interrogent sur le rapport que l’islam entretient avec l’altérité, et non qu’ils éludent le pourquoi de la régression historique d’un monde musulman qui fait peur.

Tariq Ramadan s’oriente vers un choix inverse. S’il souhaite obtenir la citoyenneté française, c’est pour participer à la vie politique de notre pays et faire de la défense du dogme un axe politique. Alors que, depuis des années, une organisation comme l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) ne cesse de faire la preuve qu’elle ne veut pas sortir du champ cultuel qui est le sien, Tariq Ramadan veut entraîner les responsables musulmans vers la construction d’un " islam politique ". Il n’est pas certain que sa démarche soit utile à la société française et en particulier aux fidèles musulmans."

Lire "Tariq Ramadan fait « de la défense du dogme un axe politique »".


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