10 janvier 2009
"Hier soir, un journaliste de la Voix du Nord, Lakhdar Belaïd, a été éjecté d’une conférence publique à la mosquée de Lille-Sud sous les yeux de ses confrères. Tariq Ramadan s’y exprimait sur la Palestine. Le recteur de la mosquée, Amar Lasfar, a justifié ce geste devant l’assemblée en l’accusant d’avoir écrit « des mensonges », et précisant que « tout journaliste qui joue de la sorte avec nous, nous saurons lui dire que nos portes ne lui sont pas ouvertes », selon le compte-rendu du journal Nord-Eclair, qui a pu assister au débat.
Entretien avec Lakhdar Belaïd.
Comment se sont déroulés les événements d’hier soir ?
Je suis arrivé vers 20h15, 20h30, je ne sais plus. La porte de la mosquée était ouverte, il y a un grand hall d’entrée. Un homme m’a fait comprendre qu’il fallait retirer mes chaussures, cela s’est passé naturellement, il m’a souri, je lui ai souri. Je suis entré, j’ai salué quelqu’un de la salle, puis je suis allé rejoindre mes confrères. A ce moment-là, quelqu’un de la mosquée, que je connais de vue, a glissé quelques mots à Amar Lasfar. La conférence avait commencé, Tariq Ramadan parlait, il y avait vraiment beaucoup de monde, cette personne a alors traversé la foule, puis a bifurqué et tendu l’index vers moi en me disant, « vous sortez d’ici. » J’étais surpris, je lui ai répondu, « mais attendez, non, je ne sors pas. » Il a répété, « vous sortez, nous avons de la mémoire, il y a un contentieux ». Alors je me rends compte qu’il y a un espèce de brouhaha dans la salle, que la conférence s’est interrompu. Quelqu’un dit alors, « sécurité, sécurité ».
Que se passe-t-il alors ?
Plusieurs mecs se dirigent vers moi, il y en a un qui prend mon carnet de notes, il ne me l’a pas arraché des mains, non, c’était juste pour m’aider à partir plus vite ; un autre pose ses deux mains sur mon dos, sans me pousser, non, elles sont juste posées pour me faire comprendre qu’il faut que je me barre. Il y a tous les éléments de professionnels de la sécurité. Je n’ai pas été agressé, mais ils m’ont accompagné jusqu’à la porte.
Comment expliques-tu cette réaction ?
Il semblerait que j’aurais écrit des choses qui auraient déplu. Sans doute soit sur la mosquée, soit sur le lycée musulman. Le dernier article que j’ai écrit sur ces questions, cela se compte en années. Je crois que c’est une vieille rancune irrationnelle. Dans ce métier, un contentieux peut être tout à fait légitime. On peut venir me voir pour me dire, monsieur, je ne suis pas content de votre article. Si j’ai écrit une connerie et qu’on me le démontre, je rectifie. Mais là, il n’y a rien eu de tout cela.
Tu viens de faire paraître récemment un livre aux éditions du Seuil, « Mon père, ce terroriste », qui évoque l’engagement de ton père dans la guerre d’Algérie, avec le MNA*. Cela aurait-il pu avoir un impact ?
Je ne sais pas, c’est vrai que j’ai reçu beaucoup de commentaires sur ce livre. Ce qui s’est passé m’a profondément blessé, j’avais des amis dans la salle.
Tu crois que tu aurais déçu, en quelque sorte, certains ?
On ne vient jamais te dire, « tu t’appelles Belaïd, tu es algérien, marocain, tu dois être dans notre camp ». Mais c’est vrai que quand tu écris un truc qui déçoit, tu peux avoir des réactions de type social-traître, mais de façon ethnique. Moi, je ne connais pas la frontière de la déception. Et je me suis toujours défini comme journaliste, point.
Mais tu es souvent entre le marteau et l’enclume.
J’explique tout cela de façon générique, cela n’est pas lié à l’épisode d’hier. Quand j’étais journaliste dans des médias nationaux parisiens, il fallait souvent ferrailler avec des chefs de service qui s’imaginaient qu’un Belaïd était forcément le plus à même pour couvrir les banlieues ou les mosquées. Et en face, il y a des gens qui attendent de toi des articles militants.
*MNA : mouvement national algérien, en concurrence avec le FLN.
Précision : Libé Lille a voulu couvrir la conférence de Tariq Ramadan. Mais un proche de la mosquée nous a signifié hier après-midi que la conférence était privée et que notre présence n’était pas souhaitée."
Lire “Un journaliste viré d’une conférence de Tariq Ramadan”.
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