Revue de presse

"Ce voile qui ne passe (décidément) pas" (E. Conan, Marianne, 8 av. 16)

10 avril 2016

"[...] Légal, le voile ne passe toujours pas. Une contradiction refoulée depuis l’emblématique affaire de la candidate voilée du NPA d’Olivier Besancenot dans le Vaucluse, lors des régionales de 2010. Elle a fait scandale et le parti d’extrême gauche ne s’en est jamais remis, sans que la question ait vraiment été débattue. Parce que, juridiquement et logiquement, rien ne s’opposait à cette candidature. Mais il n’a jamais été question de logique à propos du voile. Lors de son apparition, il y a une trentaine d’années, les Français ont majoritairement réagi comme Laurence Rossignol aujourd’hui. Et Emmanuel Todd, qui travaillait encore sur les problèmes d’immigration, les soutenait : « On interprète le refus du voile comme signe d’intolérance, voire de xénophobie. C’est exactement le contraire ! Nous sommes pour le métissage, pour le mélange des populations. Et cela est incompatible avec la préservation de cultures immigrées. » Le démographe approuvait l’opposition à la « volonté musulmane d’affirmer sa différence ». Notamment par ce voile, symbolisant « l’enfermement de la femme et le refus de l’échange matrimonial, incompatibles avec les traditions françaises », et complément du machisme d’hommes « élevés par des parents qui leur disent qu’ils sont tout ».

Mais la gauche n’a pas écouté Todd. Ni Jean Daniel, qui mettait alors en garde dans le Nouvel Observateur contre un « droit du sol sans l’intégration dans les traditions du pays d’accueil » : « Ce qui choque, irrite et déconcerte, c’est que les invités d’un Etat n’aient pas la politesse de respecter les lois de leurs hôtes. » La gauche ne les traitait pas encore d’islamophobes. Elle se divisait alors entre les adorateurs d’une altérité que Jack Lang poussait jusqu’à la démagogie (« Je trouve ces foulards très seyants, ils mettent en lumière les beaux visages de ces jeunes filles ! ») et les optimistes sûrs de leur supériorité progressiste, qui rassuraient : « Cela va leur passer ! »

C’est l’inverse qui s’est passé. Il y a vingt ans, Jacques Chirac expliquait : « Il faut chasser ces choses, ce sont de vieux fantasmes qui ne sont ni dans notre culture ni dans notre tradition. » Et son ami Dalil Boubakeur, recteur de la Mosquée de Paris, renchérissait : « Le foulardisme est un intégrisme politique. » L’année dernière, le même Boubakeur, symbole de « l’islam modéré », devenu président du Conseil français du culte musulman (CFCM), créé par Sarkozy pour accoucher d’un « islam français », a promulgué une « Convention citoyenne des musulmans de France pour le vivre-ensemble » dont l’article 5 (« Tenues vestimentaires ») prescrit le port du voile pour les femmes...

Loin de le banaliser, cette officialisation d’un voile de plus en plus visible accroît le malaise qu’il suscite. D’abord chez les femmes découvertes, d’emblée désignées comme coupables de provoquer le désir, et dont la féminité est ravalée en appâts sexuels indécents. Mais aussi chez les hommes, que le voile agresse doublement, signifiant à tous qu’ils sont préjugés obsédés sexuels incapables de se maîtriser à la vue du corps féminin, et aux non-musulmans que celles qui le portent leur sont interdites. Ce refus de l’altérité inquiète aujourd’hui les tenants d’un multiculturalisme qui l’a favorisé au nom de l’altérité. Et laisse impuissants les tenants d’une laïcité qui ne peut rien contre ce puissant séparatisme identitaire qui mine un « vivre-ensemble » dont l’incantation révèle la disparition.

« La mode est laïque ! » s’insurge à tort Agnès B. « La mode est là pour embellir les femmes ! » ajoute Pierre Bergé, estimant que la République n’a pas « inventé les droits de l’homme pour faire ces choses-là ». Mais s’enlaidir est un droit de l’homme. Et les rapports entre sexes ne datent ni de 1789 ni de 1905. C’est une vieille histoire qui s’affine depuis le Moyen Age chrétien, la Cour royale et les salons des Lumières. Une subtile et fragile culture qui soumet le jeu permanent et public de la séduction à la double règle du respect et de la liberté. Des mœurs non écrites aujourd’hui menacées par une immigration de peuplement qui les déteste. Voilà pourquoi Julien Dray s’empresse de nous convaincre que « le vrai débat, ce sont les marques ». Dépassé, l’apôtre du « droit à la différence » préfère se venger sur les marchands du Temple."

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Lire aussi "Voile et mini-jupe : un peu de pudeur Esther Benbassa !" (Elisabeth Lévy, causeur.fr , 7 av. 16), "Se mettre du côté de celles qui n’ont pas le choix" (M. Storti, Libération, 6 av. 16), "Polémique sur la mode islamique" (Le Monde, 3-4 av. 16), Elisabeth Badinter et la "mode islamique" : "Les femmes doivent appeler au boycott de ces enseignes" (marianne.net , 2 av. 16), Elisabeth Badinter : "Une partie de la gauche a baissé la garde" (Le Monde, 3-4 av. 16), L. Bouvet : "Ce que révèle l’affaire Laurence Rossignol" (lefigaro.fr/vox , 31 mars 16), "Mode islamique" : Lettre ouverte à Madame la Ministre Laurence Rossignol (Femmes sans voile, 1er av. 16), "Merci Madame la Ministre pour votre colère à propos de la mode islamique !" (Associations féministes et laïques, 31 mars 16), "Les "nègres" et le voile : Laurence Rossignol "injustement prise à partie"" (marianne.net , 31 mars 16), ""Mode islamique" : soutien à Laurence Rossignol" (Printemps républicain, 30 mars 16), "Le coup de gueule de Laurence Rossignol contre la "mode islamique"" (marianne.net , RMC, 30 mars 16), "Les marques se mettent à la mode islamique" (leparisien.fr , 29 mars 16), "Marché de « la mode musulmane » : extension du domaine de l’islam politique" (I. Kersimon, lefigaro.fr/vox , 25 mars 16), "Ces firmes qui cachent les femmes que l’Arabie saoudite ne saurait voir" (marianne.net , 8 fév. 16), "Quand le voile s’immisce dans le monde de la mode" (bigbrowser.blog.lemonde.fr , 1er oct. 15) (note du CLR).


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