Revue de presse

"Se mettre du côté de celles qui n’ont pas le choix" (M. Storti, Libération, 6 av. 16)

Martine Storti, présidente de Féminisme et géopolitique. 6 avril 2016

"Le port du voile et la « mode islamique » doivent pouvoir être critiqués. Si pour certaines, c’est un acte volontaire, il peut aussi signifier pour d’autres enfermement et ségrégation entre les sexes.

En 2004, le philosophe Alain Badiou qualifiait la loi interdisant le voile à l’école de « loi capitaliste pure », ordonnant que « la féminité soit exposée, autrement dit que la circulation sous paradigme marchand du corps féminin soit obligatoire ». Une décennie plus tard, « la mode islamique » lancée par certaines marques, permet de prendre la mesure de la pertinence de l’analyse !

Pour vendre, le capitalisme, encore appelé « paradigme marchand », ou néolibéralisme économique, comme on voudra, s’accommode de tout, des corps féminins dénudés comme des corps couverts, des fesses exposées comme des cheveux cachés, du string comme du burkini. Pourquoi ne pas s’y mettre puisqu’il y a un marché de la burqa à fleurs et du tchador à carreaux ? Pourquoi, de surcroît, ne pas les qualifier, trouvaille géniale de communicant, de « mode pudique » ? Et c’est là que la mode versus loi du marché rejoint des propos, des textes, des injonctions concernant les femmes musulmanes ou d’origine musulmane qui ne portent pas le foulard. Elles sont sans pudeur, dit tel imam, elles sont des violées potentielles, affirme un autre. Houria Bouteldja, porte-parole du Parti des indigènes de la République, et autoproclamée antiraciste, affirme quant à elle que le foulard envoie « un message clair à la société indigène : nous appartenons à la communauté et nous l’assurons de notre loyauté » et un message tout aussi clair à la société blanche : « Nous ne sommes pas des corps disponibles à la consommation masculine blanche. » Que faut-il comprendre ? Que les femmes qui ne portent pas le foulard envoient un message de disponibilité à « la consommation masculine blanche » et accessoirement non blanche ?

Sans doute des femmes portent-elles le voile par choix, comme elles disent, et pour des raisons multiples et hétérogènes : piété religieuse, positionnement politique, affichage identitaire, réponse à la stigmatisation, pudeur ou au contraire impudeur exhibitionniste - à se cacher on se montre - ou encore pour rendre visibles le racisme et l’islamophobie, ou pour provoquer les « féministes occidentalo-centrées » ou « franco-centrées ». Ou bien pour signifier un refus de la modernité ou pour au contraire la mettre en œuvre, façon « c’est mon choix et je vous emmerde »… Mais est-il permis, sans être traitée de raciste ou d’islamophobe, de considérer aussi le voile comme une façon de faire porter aux femmes le poids de l’identité, ou encore comme un signe de subordination et de contrôle des femmes ? Est-il permis de le considérer comme pouvant être un signe politique, renvoyant à l’islam politique ? Est-il permis d’y voir aussi un consentement à l’oppression ? C’est le point de vue de la ministre des Droits des femmes. Laurence Rossignol n’aurait certes pas dû utiliser le mot « nègre » ni comparer le port du voile à l’esclavage des Noirs. Elle a reconnu avoir eu tort, attitude qui n’est guère fréquente du côté du personnel politique. Il semble que, pour certains, ce mea culpa soit insuffisant. Que veulent-ils ? Inscrire au fer rouge sur son front une marque d’infamie ?

En critiquant la dite « mode islamique », Laurence Rossignol se met du côté de celles qui n’ont pas le choix. Elle a raison. Il faut toujours être du côté de celles et ceux qui ne peuvent pas choisir. Et qui se battent pour la liberté, la leur et celle des autres. On a pu entendre, à propos des caricatures de Mahomet, une invitation et même parfois une sommation à la prudence : avec la mondialisation, avec Internet, le local n’existe plus, ce qui est publié ici, est immédiatement regardé là-bas. Et ce qui est toléré ici peut être jugé là-bas insupportable.

Ce lien entre ici et là-bas vaut aussi pour le voile. Porté ici, il peut signifier, pour d’autres femmes là-bas, une caution à ce qu’elles refusent, cet enfermement qui, peu importe le nom, burqa, tchador, abaya, niqab, hijab, est un enfermement dans le sexe, une négation de la personne, un interdit de liberté. Des milliers de femmes ont lutté au long du XXe siècle contre cet enfermement. D’autres ont pris aujourd’hui le relais, pour affirmer que les droits des femmes sont des enjeux politiques et non de mœurs, comme ils sont une composante de la démocratie. Ces femmes sont encore loin, très loin d’avoir partout gagné leur combat. Raison de plus pour ne pas les affaiblir en cautionnant ici ce qu’elles refusent là-bas."

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