Culture

Ce que parler le Sardou veut dire (Th. Martin, 8 juin 22)

Mélenchon à Sardou : « Je vais t’aimer comme on ne t’a jamais aimé » 8 juin 2022

[Les échos "Culture" sont publiés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Mélenchon, « s’il gagne, je me tire », a déclaré Michel Sardou dans un entretien à Paris Match le 2 juin. Le lendemain, sur France Info, le leader de LFI a tenté d’amadouer le chanteur et comédien. « Il y a beaucoup de Français qui l’aiment, il fait partie du patrimoine ».

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Il faut attendre les années 1990 pour voir des mannequins faire la gueule à la une des magazines chics. Comme dans l’art contemporain, où une exposition “où l’on s’amuse” est considérée comme “facile”, la mode considère que le sourire et la bonne humeur “font peuple”. Le sourire, l’attitude décontractée, est réservé au prêt-à-porter bas-de-gamme, aux magazines féminins pour ménagères et à la publicité “cheap”.

Entre Vogue et Femme Actuelle y-a-pas-photo, comme on dit.

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D’ailleurs, les candidates à l’élection Miss France, comble du ringard, dit-on, ne sourient-elles pas de toutes leurs dents en prenant la célèbre position de la théière ?

Pourquoi Michel fait la gueule sur les photos à la une des magazines ? Michel Sardou fait la gueule parce qu’on le fait chanter alors qu’il préférerait jouer au théâtre comme papa-maman, Fernand et Jackie Sardou.

Même si Michel nous dit qu’à 19 ans, il écrivait huit chansons par jour, ajoutant : « Je n’ai jamais cherché à provoquer. » C’est la gauche qui voit des provocateurs partout, et cela atteint un paroxysme aujourd’hui avec les chouffes [1] du web, les islamo-gauchistes et les wokistes.

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En tout cas Michel ne fait pas la gueule sur la photo du siècle de Jean-Marie Périer à la une de Salut les copains le 12 avril 1966, parce qu’il n’est pas dessus.
Mais il finira par épouser, beaucoup plus tard, en 1999, la sœur du photographe, Anne-Marie Périer, l’ancienne directrice du devenu très #metoo magazine Elle, avec qui il coule désormais des jours heureux en Normandie.
Ma mère m’a dit que moi-même je n’étais jamais sur les photos de classe parce que toujours malade ce jour-là. Diableries !

A dix-huit ans - ô tempura, ô mores - dans son premier 45-tours, Le Madras [2], il chante : « Ayez l’air de filles étant des garçons [...] Et vous serez dans le vent ». On frémit quand il s’en prend aux « hypocrites / Moitié pédés moitié hermaphrodites » [3], il a fait s’amuser la France avec la "folle du régiment" [4] et que dire des « nuées de pédales / Sortant de Carnegie Hall » [5] ?

« Dans le River Café, au pied du pont de Brooklyn
Buvaient d’anciennes Marilyn, de vieilles femmes
Des nuées de pédales sortaient de Carnegie Hall
En soldats de carnaval, en gitanes
Des enfants de couleur, lunettes aveuglées
Revendaient du bonheur à fumer »

Son premier succès, alors que la France de De Gaulle avait claqué la porte de l’Otan et filait le parfait amour avec l’Allemagne d’Adenauer, disait : « Si les Ricains n’étaient pas là / Vous seriez tous en Germanie » [6].
Et le poignant couplet :

« Un gars venu de Géorgie
Qui se foutait pas mal de toi
Est v’nu mourir en Normandie
Un matin où tu n’y étais pas »

Aime-t-il particulièrement l’Amérique de La Java de Broadway [7] ? Quoi qu’il en soit, « Yankee go home » écrit au feutre sur les blousons des babas, ça l’agace plutôt. En pleine affaire Patrick Henry, assassin d’un enfant, il chante : « Tu n’as plus besoin d’avocat / J’aurai ta peau tu périras » [8].

Et nous chausserons nos petits souliers pour aborder Le temps des colonies, un grand succès en cet été 1976 caniculaire, tandis que nous arborons un tee-shirt du bicentenaire des Etats-Unis d’Amérique, et que le choc pétrolier fait ressentir ses premiers effets.

« On pense encore à toi, oh Bwana.
Dis-nous ce que t’as pas, on en a.
Y a pas d’café, pas de coton, pas d’essence
En France, mais des idées, ça on en a » [9]

Depuis nous avons eu « Voilées pour ne pas être vues »… « Le long sanglot des musulmanes » [10], et les you-yous.

Quant au mouvement #metoo évoqué plus haut, ne l’avait-t-il pas résumé à l’avance d’un tacle par :

« Toutes les femmes sont belles
Et méchantes et cruelles
Mais elle nous font si bien l’amour
Que Dieu leur pardonne
D’avoir brisé des hommes » [11].

Mais le Sergent ne fait plus rire, on lui préfère la chanson leçon de tolérance avec Le Privilège - « Est-ce une maladie ordinaire/Un garçon qui aime un garçon » [12] - ou la "femme des années 80" reprise aujourd’hui :

« Enceinte jusqu’au fond des yeux,
Qu’on a envie d’app’ler monsieur,
En robe du soir, à talons plats,
Qu’on voudrait bien app’ler papa » [13].

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Quand j’ai envoyé dimanche à mon petit frère Patrice un sms de Meudon accompagné d’un autoportrait pris à l’aide un « photo booth », machine proposée parmi les activités de la Garden Party en l’honneur du jubilé de platine de la reine d’Angleterre, il me répondit : « Et ça swingue ? » me défiant de comprendre.

Mon petit frère qui est ingénieur, est aussi musicien de jazz à ses heures. Mais il ne faisait pas allusion à l’écriture jazzy de Louis-Ferdinand Céline qui a fini ses jours à Meudon… Ses jours jusqu’au dernier… Juste après qu’il avait achevé le manuscrit de Rigodon… comme si ça pouvait nourrir sa veuve Lucette et son chat Bébert. Non, c’est à Sardou qu’il pensait, c’est le Sardou qu’il parlait.

Comme au passant qui chante, on reprend sa chanson, écrit Aragon dans Le Roman inachevé, les ritournelles de Sardou demeurent dans nos têtes, et nous finissons par le parler.

Dès l’entame, quand les cœurs de Michel balancent « When we sing the java Saturday in Broadway It swings like in Meudon », c’est comme qui dirait toute la province qui chante en anglais, comme chantait la Patricia Kass. Et le chanteur de reprendre :

« Quand on fait la java, le samedi à Broadway
Ça swingue comme à Meudon. »

Votre serviteur lui-même n’a-t-il pas écrit un papier intitulé Régine, femme des années 80 (Th. Martin). Consciemment ou inconsciemment nous parlons tous le Sardou.

« Mais voilà  : j’habite en France
Et la France c’est pas du tout c’qu’on dit.
Si les Français se plaignent parfois,
C’est pas d’la gueule de bois.
C’est en France qu’il y a Paris
Mais la France c’est aussi un pays
Où y a quand même pas cinquante millions d’abrutis » [14].

Désormais on tourne autour de 65 millions.

A la dernière élection présidentielle, les droites faisaient 29%, à peine plus que les 28% qui sont restés sur l’Aventin et les gauches, de Nathalie Artaud à Emmanuel Macron, 43%.

En septembre 2019, Michel Sardou a profité de son passage chez RTL pour balancer : "Et les Gilets jaunes, et les Gilets rouges, et les Gilets bleus, et les Gilets verts... Et merde ! Merde, ça va ! La seule politique que je pratique, c’est que je fais partie du Parti animaliste. Je défends les petites bêtes. Je me présente aux élections de la présidence du Parti animaliste !"

Il faut dire que les Gilets jaunes, s’étant soulevés au début sur des positions anti-taxes et anti-réglementations, s’étaient retrouvés phagocytés par les positions paléo-communistes de la CGT.

En mai, il avait signé une pétition, regroupant plus de 170 000 personnes. Celle-ci mentionnait la demande de la mise à l’arrêt d’un festival chinois qui vendait de la viande de chien et de chat.

Mais qui d’autre que lui pourrait chanter quelque chose d’aussi simple et exemplaire que, comme sur son dernier album : « J’aime les Français / Tous les Français / Même les Français que je n’aime pas » ?

Une idée qui n’a jamais traversé l’esprit de celui que certains appellent T’choupi, l’actuel président.

« Mais parce que l’un d’entre eux a dit cett’phrase immense :
"Ma liberté s’arrête où la vôtre commence"... » [15]

Michel Sardou comme son ami Johnny n’avait pas caché son soutien à Nicolas Sarkozy en 2007. Seulement voilà, déçu de la politique du président, il avait voté blanc en 2012. En même temps, pendant les cinq années d’un sarko-bashing hallucinant, les carrières d’un Faudel, d’un Doc Gynéco se sont défaites, si bien qu’en 2012 Johnny n’a pas eu le cran de soutenir son ami et Enrico Macias a recommencé de se faire passer pour un arabe. Seule Mireille Mathieu a miraculeusement échappé à cette déflagration.

Ce qui n’empêcha pas Sardou d’avoir des propos virulents concernant la politique de François Hollande : "Si j’avais vingt-cinq ans, je quitterais la France [...]. Les gens s’imaginent que les petits vont grandir et que les gros vont maigrir, mais en fait, c’est les gros qui maigrissent, et les petits qui maigrissent encore plus".

Cette fois, le chanteur a affirmé, un peu désabusé, dans les colonnes de Paris Match, qu’il quitterait l’Hexagone si le chef de file de la Nupes (Nouvelle union populaire écologique et sociale) trouvait place dans le gouvernement Macron, dans le cas d’une victoire significative aux législatives. « Mélenchon est toujours dans les excès. Maintenant, il se déclare Premier ministre… Attention, danger ! S’il passe, je me tire. Ou alors je déclare la Normandie duché et je mets des barrières partout. »

Le duché de Normandie a existé de l’an 911 à l’an 1469, même si la partie continentale a été rattaché à la France de Philippe Auguste dès 1204. Les îles anglo-normandes demeurent liées à la couronne britannique. De fait la reine d’Angleterre qui fête ses 70 ans de règne est aussi Duc de Normandie.

Jean-Luc Mélenchon a formulé à travers un tweet le vœu de rencontrer l’artiste. « Monsieur Michel Sardou, m’accordez-vous un entretien ? Je veux vous convaincre de rester en France quand nous aurons gagné. Beaucoup de Français vous aiment et le pays a besoin de votre affection aussi », avait-il écrit sur le réseau social.

« Puisqu’aucun dieu du ciel ne s’intéresse à nous
Lénine relève toi, ils sont devenus fous » [16].

Il a sans doute pensé à Vladimir Ilitch oubliant que dans le débat culturel opposant les tenants d’un art prolétarien aux défenseurs de l’art dit bourgeois (en fait universel), Lénine et à sa suite Staline optèrent pour le dépassement hégelien (Aufhebung) contre la rupture, et soutinrent l’idée d’une réappropriation de l’Art dit bourgeois par les masses, contre les iconoclastes trotskistes plus proches des surréalistes, des dadaïstes et désormais de la déconstruction de l’art contemporain.

Invité de la matinale de France Info vendredi 3 juin, le vieux trotskiste roué et démagogue a fait mine de le prendre au mot, l’a invité à rester, et n’a pas tari d’éloges sur le chanteur. « Il fait partie du patrimoine et il aime son pays. Faites pas ça, ça sert à rien. Ne partez pas, restez. On vous aime trop et vous aimez trop votre pays », lui a lancé le candidat de la France insoumise à la présidentielle.

Au fond, Sardou n’est pas de droite, il est juste normal, c’est notre patrimoine.

Prenez François Hollande, qui se disait président normal. Il s’est cru au théâtre à l’Elysée où, à la réflexion, il nous a joué un Vaudeville bien français et pas bien méchant, pendant que T’choupi son assistant, un constructiviste compulsif globaliste, s’apprêtait à détricoter la France – d’aucuns disent déconstruire. Et le T’choupi en question vient de rempiler pour cinq ans.

« Ne m’appelez plus jamais France, la France elle m’a laissé tomber » [17], semble lâcher Zemmour, assis à l’une des tables rouges triangulaires de la terrasse de chez Sénéquier, face aux yachts amarrés dans le port de Saint Tropez, à la place où Jacques Chirac s’installait pour - disait-il sans filtre - « mâter les culs qui passent ».

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Comme l’étudiant de gauche sartrien que je fus, assommé par les bourdieuseries [18] universitaires, pouvait se donner des frissons en lisant Drieu La Rochelle, voire pire Notre Avant-guerre de Robert Brasillach, le bourgeois de gauche, forcément de gauche, laisse les milieux du spectacle intégralement gauchisés s’amuser à le choquer en montant Je vais t’aimer, un spectacle transgressif à partir des chansons digérées de Michel Sardou. Un West Side Story franchouillard qu’il pourra partager avec les petites gens.

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Désormais réfugié en Normandie avec ses chevaux, comme Brigitte Bardot à La Madrague, Saint-Tropez. Réfugié à deux pas de Deauville, situation qui eut fait rêver une Françoise Sagan dont le manoir du Breuil à Barneville-la-Bertran était quand même à 15 kilomètres du célèbre casino du groupe Barrière.

Sardou, c’est la bande-son des 60 dernières années. Johnny, Cloclo, Eddy, Michel Sardou, on les voyait à la télé le samedi soir chez les Carpentier.

« Ça m’a touché énormément quand maman est partie. D’un seul coup, elle m’a manqué alors qu’elle me cassait les c*, elle n’a pas arrêté de me casser les c* toute ma vie. Je n’étais d’accord sur rien avec elle et d’un seul coup, je me suis rendu compte qu’il me manquait quelque chose », dira-t-il.

C’était un temps bien raisonnable, où il y avait encore des familles qui mangeaient autour de la table, et qui le samedi soir ensemble regardaient la télévision.

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Même si avec le temps est venu le moment où nous sortions, non plus dans Les Bals populaires [19] mais en boites de nuit, où il n’est plus question de ne pas payer nos verres, et qui nous mettent dehors non pas à grand coup d’arrosoir mais avec l’inoxydable :

« Terre brûlée au vent
Des landes de pierre,
Autour des lacs,
C’est pour les vivants
Un peu d’enfer,
Le Connemara » [20].

Et c’est pourquoi « justement ce qui fait que votre fille est muette » comme disait Molière, et que tout le monde parle le Sardou.

Thierry Martin

[1Mot arabe des cités signifiant Ceux qui surveillent – littéralement qui regardent - l’arrivée de la police et donnent l’alerte dans les zones de trafics de drogue.

[2Le Madras, 1965, coécrit avec Michel Fugain et Patrice Laffont.

[3J’Accuse, 1976, paroles de Michel Sardou et Pierre Delanoë, musique de Jacques Revaux.

[4Le Rire du sergent, 1971, paroles de Yves Dessca et Michel Sardou, musique de Jacques Revaux.

[5Chanteur de jazz, 1985, paroles de Michel Sardou et Jean-Loup Dabadie, musique de Jacques Revaux et Jean-Pierre Bourtayre

[6Les Ricains, 1967, paroles de Michel Sardou, musique de Guy Magenta.

[7La Java de Broadway, 1977, paroles de Michel Sardou et Pierre Delanoë, musique de Jacques Revaux.

[8Je suis pour, 1976, paroles de Michel Sardou, musique de Jacques Revaux.

[9Le temps des colonies, 1976, paroles de Michel Sardou et Pierre Delanoë, musique de Jacques Revaux.

[10Musulmanes, 1987, paroles de Jean-Loup Dabadie et Michel Sardou, musique de Jacques Revaux.

[11Dans la même année, 1979, paroles de Michel Sardou et Pierre Billon, musique de Jacques Revaux.

[12Le Privilège, 1991, paroles de Michel Sardou et Didier Barbelivien, musique de Jacques Revaux et Jean-Pierre Bourtayre.

[13Être une femme, 1981, paroles de Michel Sardou et Pierre Delanoë, musique de Michel Sardou, Jacques Revaux et Pierre Billon.

[14J’habite en France, 1970, paroles de Michel Sardou et Vline Buggy, musique de Jacques Revaux.

[15Français, 2000, paroles de Michel Sardou et Didier Barbelivien, musique de Michel Fugain.

[16Vladimir Ilitch, 1983, paroles de Michel Sardou et Pierre Delanoë, musique de Jacques Revaux et Jean-Pierre Bourtayre.

[17Le France, 1975, paroles de Michel Sardou et Pierre Delanoë, musique de Jacques Revaux.

[18Les théories de la domination de Pierre Bourdieu en vogue aujourd’hui chez les wokistes, les indigénistes, les décolonialistes et les écoféministes.

[19Les Bals populaires, 1970, paroles de Michel Sardou et Vline Buggy, musique de Jacques Revaux.

[20Les Lacs du Connemara, 1981, paroles de Pierre Delanoë et Michel Sardou, musique de Jacques Revaux.



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