Culture / Cinéma

Cry facho, Clint Eastwood l’homme qui aime les hommes (1) (Th. Martin)

par Thierry Martin. 20 février 2022

[Les échos "Culture" sont publiés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Son œuvre se tient, comme une réprimande monumentale à l’ethos de la gauche « wokiste ».

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Bee Vang n’a pas envie de rire. Celui qui interprète Thao dans le film Gran Torino de Clint Eastwood, était âgé de 16 ans au moment du tournage et n’était pas un acteur professionnel. Mais depuis la sortie du film en 2008, il a déjà évoqué le fait que celui-ci avait participé à banaliser le racisme anti-asiatique. On pourrait, sans spoiler le dénouement, évoquer l’ingratitude de celui qui dans le dernier plan conduit la Gran Torino avec la calme Daisy à ses côtés, sur une route au bord du lac Michigan.

La dernière blague était que l’on pouvait tout dire sur les Chinois. Ce n’est plus vrai. En s’émancipant des chinatowns des grandes métropoles occidentales – qui souvent deviennent des zones touristiques, notamment grâce à la gastronomie, l’acupressure ou le foot massage – la diaspora chinoise s’occidentalise et découvre les avantages de la politique des identités minoritaires. La mentalité chinoise étant pourtant peu prompte à regarder en arrière, à utiliser le passé pour justifier les malheurs présents. Qui évoque la guerre de l’opium ? Qui rappelle les méfaits de la révolution culturelle qui enchanta Jean-Luc Godard ?

Qui sait que la bière Tsingtao est une bière allemande ? À l’occasion de la colonisation en 1897 par la flotte allemande de la ville de Qingdao, située sur les rives de la mer Jaune au Nord-Est de la Chine, les Allemands établirent une base navale ainsi qu’une brasserie dès 1903 pour leurs besoins personnels. Les Chinois récupérèrent la ville et la brasserie en 1922.

Gran Torino César du meilleur film étranger

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Gran Torino, film sorti en 2008, a notamment valu le César du meilleur film étranger à Clint Eastwood en 2010. Une récompense prestigieuse pour lui, qui interprète également le personnage principal du film. Un ouvrier retraité d’origine polonaise qui vit dans un pavillon de banlieue (terme à connotation positive en Amérique) de Highland Park dans le Michigan, avec sa chienne Daisy, un labrador retriever jaune. 

J’étais à Chicago l’été 2008 à l’occasion du mariage d’un ami français, Fabrice, avec Kirsten une Américaine fille de pasteur. Enterrement de vie de garçon – le tour des bars de Chicago, dans un karaoké nous avons chanté avec Dean Martin Volare oh oh, Cantare oh oh oh oh, sous les applaudissements américains, nous avons fini dans un lap dancing club, ma carte visa s’en souvient encore –, puis il y a eu répétition du mariage et enfin le jour du mariage où une limousine est venue me chercher au pied de l’hôtel Marriott. En Amérique, comme Eastwood le montre dans Gran Torino, chacun évoque spontanément ses ancêtres européens, et dans une petite ville ou dans un quartier chacun connait ceux des autres. Seuls les latinos n’évoquent pas leurs origines européennes dont la plupart sont pourtant porteurs. C’était la fin du second mandat de George W Bush. Le candidat démocrate Obama est déjà en campagne. Je me plais à dire que la seule chose qui ne me dérange pas en lui c’est qu’il soit noir. Ce n’est pas un afro-américain m’entends-je dire mais un Kényan, de père. On l’appelle Oréo, ce biscuit noir à l’extérieur et blanc à l’intérieur. Sa mère est une Américaine blanche du Kansas, un Etat du Midwest, elle est d’ascendance anglaise et irlandaise.

Walt Kowalski jauge son monde à l’aune de la « common decency » dont parle George Orwell – il y a des choses qui ne se font pas – et d’emblée le veuf est stupéfait par le caractère superficiel de l’éloge de sa femme que fait le jeune curé durant la cérémonie de funérailles. 

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Vétéran de la guerre de Corée, il est volontairement présenté selon les termes de la doxa en raciste irascible. Mais si Eastwood reprend le schéma du méchant, selon les critères du politiquement correct américain, qui s’améliorera en frayant avec autrui, c’est pour montrer autre chose.

Une nuit, il surprend Thao, un de ses nouveaux voisins d’origine Hmong, en train d’essayer de voler sa Ford Gran Torino 1972, dans le cadre d’une épreuve imposée par le gang qui veut le recruter.

Plus tard quand Thao se fait harceler par le gang, la bagarre déborde sur sa pelouse. Alors, Eastwood revêt le costume du Clint salopard et revanchard pour jouer une nouvelle variation autour de la rédemption à partir de son personnage iconique de vengeur. Furieux, il les met en joue avec son fusil M1 Garand.

Malgré ses nombreux préjugés, il va petit à petit changer d’avis. Il va apprendre à Thao que l’American way of life, c’est aussi et surtout l’art de se chambrer en raison des origines des ancêtres des uns et des autres ou de se plaindre de la note du garagiste. Plus tard, Sue (Ahney Her) la jolie grande sœur de Thao se fait bloquer le chemin par un gang d’Afro-Américains, et ils se préparent à la violer. Heureusement, Walt Kowalski passe en voiture dans le coin en revenant de chez le coiffeur, mais armé.

Invité à un barbecue de famille, grâce à Sue, il en apprend un peu plus au sujet des Hmongs, alliés des forces armées américaines durant la guerre du Viêt Nam, et réfugiés politiques. Pendant ce repas, Walt rencontre le shaman de la famille, qui lit en lui, et s’aperçoit que Walt est triste, et qu’il n’a pas une belle vie car il a fait une chose qu’il regrette.

Tout le film court vers cette scène qui n’est pas la scène finale. Il prend une cigarette, se la met à la bouche, demande du feu aux membres du gang asiatique, puis met délibérément la main à l’intérieur de sa veste. Ses derniers mots sont « Je vous salue Marie, pleine de grâce ». Les membres du gang lui tirent dessus, croyant qu’il voulait dégainer une arme. Walt, criblé de balles, tombe à terre, les bras en croix, un Zippo avec le blason de la 1e division de cavalerie dans la paume de sa main droite. 

Le coronavirus, que Donald Trump a souvent appelé le "virus chinois"

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Depuis la sortie du film, Bee Vang a donc relevé que le film avait participé à banaliser le racisme anti-asiatique. Avec le coronavirus, que Donald Trump a souvent appelé le "virus chinois", les violences verbales et physiques contre les Asiatiques ont été en nette augmentation aux États-Unis. Bee Vang a donc pris la parole sur le site de NBC pour dénoncer ces violences et raconter sa propre expérience : "A l’époque, il y avait beaucoup de discussions sur les injures du film : est-ce qu’elles étaient de mauvais goût et gratuites ou simplement des ’blagues inoffensives’ ? Je trouvais ça énervant, les rires que provoquaient ces blagues dans des salles de cinémas au public majoritairement blanc. Et c’était toujours des personnes blanches qui venaient vous dire : tu n’as pas d’humour ?"

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Justement l’humour est une des grandes caractéristiques des films d’Eastwood, et c’est sans doute le point sur lequel il y a le plus de malentendus. Clint Eastwood a longtemps subi des jugements idéologiques plutôt qu’esthétiques. Pour ses cinquante années derrière la caméra, Gary Leva, cinéaste et historien du cinéma, a réalisé un documentaire titré Clint Eastwood l’Héritage cinématographique. De l’avis de tous ses confrères, le grand cinéaste observe et parle peu, mais quand il parle on l’écoute. Il laisse faire les acteurs, filme longtemps sans multiplier les prises, tranquille il sait que tout se décidera au montage. Vrai professionnel mais cool, fidèle à son équipe ; il travaille sérieusement sans jamais se prendre au sérieux.

Son œuvre se tient, comme une réprimande à l’ethos de la gauche « wokiste »

Au printemps 2020, j’ai été confiné comme vous tous, et pour passer ses longues heures à ne rien faire, j’ai regardé presque tous les films de Clint Eastwood, depuis le milieu des années 1960. En revisionnant Dirty Harry, The Outlaw Josey Wales, High Plains Drifter, Pale Rider, Gran Torino et tant d’autres, j’ai commencé à réaliser que la contribution la plus durable de Clint Eastwood à la culture américaine se résume à : C’est un homme. Et comme un homme, il se tient debout, et son œuvre se tient, comme une réprimande monumentale à l’ethos de la gauche « wokiste » d’aujourd’hui.

Florilège d’une détestation annoncée :

  • 1973 L’Homme des hautes plaines (High Plains Drifter) : « Un Mein Kampf de l’Ouest » (Positif).
  • 1973 Breezy : « Tout, dans ce film, est question d’individualismes » (Libération, époque maoïste).
  • 1975 La Sanction (The Eiger Sanction) : « Clint Eastwood. C’est un des plus dangereux, parce qu’il n’est pas bête, ses adversaires vous le diront. Sa clientèle : l’immense majorité silencieuse américaine. Une majorité légèrement masochiste, car, observez-le : il n’y a pas plus antipathique que Clint Eastwood… » (Le Nouvel Observateur).
  • 1975 Josey Wales hors-la-loi (The Outlaw Josey Wales). « Une réduction jusqu’à l’absurde du macho d’aujourd’hui » (Times)
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Déjà en 1983, Starfix voyait juste à propos du Retour de l’inspecteur Harry (Sudden Impact) : « Défenseur des vieilles valeurs libérales américaines ? Certainement pas. Harry renie autant la société qui l’emploie que les déments qui y évoluent. Non, ce type-là travaille pour son propre compte, réagit seul face aux divagations bestiales de ses concitoyens. » De même que Valeurs Actuelles en 1988 pour Bird : « Clint Eastwood ne dénonce rien, même pas le racisme, en racontant pourtant l’histoire d’un Noir aux Etats-Unis. » Nous devrions plutôt parler d’a-racisme, plus universel que l’anti-racisme qui a tourné en racialisme.

Thierry Martin

(Voir la deuxième partie)



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