par Thierry Martin. 13 avril 2021
[Les échos "Culture" sont publiés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
(Voir la première partie)
Kojak et son universalisme intégratif a disparu des écrans
Les patois ont été combattus au nom de l’unité de la France et de ses principes républicains, et il devrait en être de même avec les langues maternelles des immigrés, dans la cour, sous le préau comme dans la classe. Mais les patois chassés par la porte de l’instruction publique reviennent en langues vernaculaires par la fenêtre de l’Education nationale. Et voilà pourquoi Kojak et son universalisme intégratif a disparu des écrans.
« Tout en protégeant le système, la loi et l’ordre américain, ce policier doit, en douceur, favoriser l’intégration et l’assimilation des minorités… Par ce propos, écrit Ignacio Ramonet [1], directeur du Monde Diplomatique, cette série réaliste, conçue à la fin des années 1960 au moment de l’explosion politique des minorités, renouvelle le mythe de l’Amérique terre d’asile et pays de la liberté. »
C’est au nom de l’universalisme de la république américaine qu’on a laissé venir « la vogue du multiculturalisme » sans s’apercevoir qu’elle portait en son sein la politique des identités et son pendant la cancel culture. Mais c’est en renonçant à l’universalisme de la république française qu’on laisse se produire les mêmes effets.
En revanche, Colombo, encore diffusé tous les samedis sur TMC (groupe TF1), s’attaque tout simplement à la haute bourgeoisie blanche anglo-saxonne, ce qui plus que jamais, est dans l’air du temps. D’autant plus que la spécificité narrative jamais égalée de Columbo, qui a fait son succès à travers les décennies, que le meurtrier soit connu dès le début, est complétement raccord avec les procès médiatiques instruits par les acteurs de la politique des identités : sans enquête - il y a les moteurs de recherche pour ça - sans procès, le mâle blanc hétérosexuel chrétien est condamné d’emblée. Et puis juste une dernière chose, ce culte du détail révélateur, être à l’affût d’un comportement coupable à un moment ou à un autre, le woke… googlise : C’est fou ce qu’un détail peut avoir son importance quand on s’y attache. Même l’alibi historique disant qu’il n’était pas né tombe. Si ce n’est toi, c’est donc ton père. Je n’en ai point. C’est donc quelqu’un des tiens.
Mais, attention comme sous Staline, avec la politique des identités on n’est jamais à l’abri de la cancel culture, autrement dit la censure politique et l’effacement. Ainsi dès qu’il lassera, le fameux lieutenant risque lui-même gros avec son gimmick « C’est ma femme qui va être contente ! » Femme reléguée au rang d’épouse, invisible, au foyer, qu’il ne fait parler qu’à travers lui. Ouh là !
L’imper vs la sucette, Colombo vs Kojak. Le marxiste Ignacio Ramonet plantait cette dualité dans la tête des cinéphiles du début des années 1980 grâce à son livre Le chewing-gum des yeux, dont nous discutions les arguments dans le cours de filmologie de Louisette Faréniaux à l’Université de Lille. Colombo, la gauche aux prises avec la upper-class et Kojak, la droite régentant la lower-class défendaient les frontières de la classe moyenne américaine. Le paradoxe, c’est que les illégaux, artistes, marginaux, LGBTetc… allaient devenir aux Etats-Unis les alliées de la upper-class globaliste, anywhere qui se rachètent en adhérant à l’idéologie de la politique des identités, laissant sur le carreau les somewhere avec les questions de sureté publique, d’insécurité culturelle, identitaire et sociale, et que la France suivrait ce chemin. Le monde médiatique et artistique proposant le nouveau modèle pour tous, celui de la marge qui a remplacé la page. L’interprétation du Capitaine Marleau, à sa manière, exprime cette idéologie.
"C’est pas un préfet qui va me niquer mes RTT !" Dans cette nouvelle aventure intitulé "L’arbre aux esclaves", tout un programme pour la gauchiste indigéniste Corinne Masiero, le capitaine de gendarmerie a posé ses valises chez son ami Loïc (Maxence Vandevelde), en Guadeloupe, le temps d’une semaine de vacances. Marleau est en vacances : une première ! Et une première invraisemblance : confier une enquête pour meurtre à un fonctionnaire en congé. Capitaine Marleau, enquêtrice intermittente, se présente-t-elle. Un musicien a été assassiné la veille au soir au club Caraïban. Firmine Richard participe à l’aventure en tant que médecin légiste. A un chef d’entreprise : « Oui, vous êtes un esclavagiste quoi, avoir des salariés ou des esclaves, c’est du pareil au même ». Néanmoins lucide, elle dira à un autre : « Si t’écoutes toutes les conneries que j’dis t‘as pas fini ». De mensonges en secrets de famille, de menaces en kidnapping, bien qu’insoupçonnable, Anne Duplessis (Virginie Ledoyen), championne de voile au caractère bien trempé, et sa fille Océane (Léa Lopez), en proie à des problèmes existentiels en tant que fille de béké, se retrouvent au cœur de l’intrigue. Un tournage en Guadeloupe où l’actrice Virginie Ledoyen qui n’est que l’ombre d’elle-même, rejoint la longue liste des guest de la série comme Laura Smet, Benjamin Biolay ou encore Christophe Lambert.
Malgré un tournage dans la ville de Saint-François, au cimetière noir et blanc de Morne-à-L’Eau ou dans une maison coloniale en pleine montagne, et une enquête exceptionnellement écrite à huit mains, Télé Cable juge que la mise en scène met peu en valeur la magnificence du décor naturel guadeloupéen, et Le Parisien concède qu’il est difficile parfois de croire à la crédibilité de certaines scènes. Malgré les stars, beaucoup de téléspectateurs se lassent.
Les Enquêtes de Vera transfigure la traditionnelle série réaliste
Les Enquêtes de Vera, c’est une façon de filmer la côte sauvage balayée par les embruns, l’atmosphère humide d’un comté du Nord-Est de l’Angleterre où les meurtres surviennent sur fond de paysages magnifiés par un cadrage, une composition, une prise de vue à couper le souffle, sublimés par une musique originale de Ben Bartlett, Vera End Credits [2] qui vous emporte dès le générique, Hidden Depths, Polytunnels, bande-son inséparable de l’image sans être trop appuyée. Une esthétique qui transfigure la dimension réaliste d’une série aux personnages pleins d’humanité.
La détective inspectrice en chef (DCI Stanhope) de l’unité Northumberland & City Police au Royaume-Uni nommée Vera Stanhope, célibataire, la cinquantaine, ses chemisiers et son imper caméléon de ménagère, cache une profonde solitude qui la torture derrière la façade d’un caractère vif et caustique. On dit Vera guidée par ses propres démons, euphémisme pour évoquer l’alcool. Elle a un penchant pour la bouteille. Rôle de composition sans rapport avec Miss Bottle, son nom de jeune fille, auquel Brenda Blethyn a eu la bonne intuition de préférer le nom de son premier mari pour continuer sa carrière.
Workaholic, obsédée par son travail, DCI Vera Stanhope, véritable meneuse d’hommes quand il s’agit de pousser son équipe pour accélérer l’enquête, l’inspectrice en chef peut amadouer des témoins d’un sourire, appeler tout le monde pet [animal de compagnie] ou love, ce qui donne en français ma belle, ma chérie, mon grand, mon chou. Vera prend son temps, fouine, réfléchit. Epaulée par le sergent Joe Ashworth [3] (David Leon), elle finit par confondre un suspect grâce à son sens aiguisé de l’observation, du détail.
Joe a épousé son amour de lycée, Céline (Sonya Cassidy). La jeune épouse est une mère au foyer modèle. Joe et Céline sont catholiques pratiquants. Ils ont trois enfants, deux filles et un garçon. Ce qui lui vaut des moqueries en raison de son côté bien élevé, bien propre sur lui ou encore ses façons de jeune père de famille catho. Néanmoins Vera le considère comme son fils. Le seul, semble-t-il, à supporter ses sautes d’humeur parfois spectaculaires. Même si paradoxalement elle lui reproche vouloir la dorloter en s’inquiétant pour sa santé ou son alimentation. Mais en général, elle réserve ses piques à l’agent Kenny Lockhart (Jon Morrison), un de ses plus anciens collaborateurs et ami fidèle, chambré pour sa réputation d’homme à femmes. Kenny a déjà été marié et divorcé deux fois.
Vera a été créée par Elaine Collins, d’après les romans policiers de l’écrivain Ann Cleeves à qui l’on doit la dimension enracinée d’histoires chaque fois tellement liées au paysage. La série produite par ITV Studios en Angleterre qui fait alterner réalisateurs et scénaristes, a rassemblé 6,6 millions de fidèles lors de la diffusion de la saison 1 sur ITV en 2011... Elle est diffusée sur France 3 depuis le 11 janvier 2015.
« Parce qu’une femme doit toujours être belle ? »
"Le Testament du sang" (S10 - E1 des Enquêtes de Vera) placera France 3 en tête des audiences avec un peu plus de 4 millions de téléspectateurs.
Le cadavre du propriétaire est retrouvé dans la villa d’une banlieue chic. En passant devant la voiture de la victime en train d’être inspectée Vera remarque le pare-soleil baissé côté passager (côté droit).
Vera à la personne qui relève les empreintes :
- Vous avez touché à ça ? Le pare-soleil.
- Non Madame, répond la personne interpelée.
- Qu’est-ce qu’il y a ? interroge l’agent Aiden Healy qui remplace Joe, celui-ci ayant été promu.
- Comme tu peux voir il est abaissé… et on a ouvert le volet occultant du miroir… peut-être qu’il y avait un passager ?
- Probablement une femme, répond spontanément le jeune agent.
- Pourquoi probablement une femme ? semble s’interroger l’inspecteur chef à voix haute.
- Pour se refaire une beauté, répond innocemment Aiden en faisant le geste de la main.
- Parce qu’une femme doit toujours être belle ? rétorque cinglante Vera Stanhope. C’est ça ? renchérit-elle froidement en le toisant en contre-plongée
- Non, mais elles se servent souvent de mir…, puis se ravisant, et affichant une moue approbative devant son supérieur : Non vous avez raison c’est peut-être un homme…
- Non, c’est probablement une femme !
Le jeune agent décontenancé laisse entendre un soupir de découragement, une sorte de ha ! contrarié. Tandis que Vera sérieuse s’interroge :
- La question est : où est cette femme maintenant ?
Tout l’intérêt des Enquêtes de Vera est dans ce bout de dialogue tout en subtilité qui prend le contrepied des gros sabots du Capitaine Marleau. Ici on joue avec les codes du politiquement correct plutôt que de les surjouer.
La paillardise qui ressort du Capitaine Marleau, qui est à la série télévisée ce que la chanson à boire est à la chanson, montre par contraste une common decency qui semble parcourir Les enquêtes de Vera, cette série anglaise avec laquelle nous n’avons pas fini de boire notre tasse de thé.
Thierry Martin
[1] Ignacio Ramonet, Le chewing-gum des yeux, 1980, Alain Moreau.
[3] Saisons 1 à 4, puis le sergent Aiden Healy, à partir de la saison 5.
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dans la Revue de presse la rubrique Liberté d’expression : culture (note du CLR).
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