par Thierry Martin. 6 avril 2021
[Les échos "Culture" sont publiés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
La retransmission télévisée de la 46e édition des César aurait réalisé l’un de ses plus mauvais scores d’audience, selon Médiamétrie. Ma faute, pas regardé. L’essentiel n’est-il pas invisible pour les yeux, suggérait déjà Saint Exupéry. Pourtant, pour remettre le prix du meilleur costume, Corinne Masiero, alias capitaine Marleau, en ôtant un costume de Peau d’Âne faussement sanguinolent comme les tampons qu’elle portait aux oreilles, s’y est retrouvée entièrement nue sur scène. Lol. « No culture, no futur » côté face, « Rend-nous l’art, Jean » côté pile.
Une révolutionnaire en peau de lapin comme aurait dit Eugène, le vieux secrétaire de section d’Auchy-les-Mines, de la fédération communiste du Pas-de-Calais, qui aurait corrigé : le verbe rendre à l’impératif prend un s, et « future » en anglais prend un e. Eugène ne parlait pas l’anglais, mais il n’aimait pas les punks.
Brenda Blethyn incarne depuis 2011 DCI Vera Stanhope, le détective inspecteur en chef dans la série britannique Vera, Les Enquêtes de Vera en français, diffusée sur France 3. Série qui se situe dans le Nord-Est de l’Angleterre où la diversité, comme on dit, est présente, et qui à l’écran est largement représentée. C’est une série marquée à gauche comme souvent, mais tempérée par un conservatisme anglais qui est un fond culturel commun au Royaume-Uni. La gauche anglaise, plus réaliste et plus positive, a longtemps été imprégnée par ce conservatisme, comme l’a très bien noté le philosophe anglais Roger Scruton.
« Un milieu prolo et coco à fond les ballons »
A écouter Corinne Masiero, l’explication de son être et de sa condition trouve sa source dans son décor d’enfance : "Un milieu prolo et coco à fond les ballons, avec réunions de cellule chez mes parents." Elle ajoute que ces parents divorcent quand elle n’a que 13 ans. A l’école, Corinne s’ennuie à mourir. Résultat, elle goûte à l’alcool et à diverses drogues. "Acides, coke, un peu l’héro... Tu vis dans un milieu où tout le monde est au chômage, où y’a rien pour te faire bander, là tu trouves des orgasmes synthétiques" (sic).
Arrivée en fac de lettres à Lille III comme une boulette de papier tombée à côté de la poubelle, « démocratisation » oblige, Corinne Masiero sèche les cours et se finance avec les moyens du bord : petits boulots, mais aussi prostitution-vente de drogue, et vice versa... Elle confesse à Télérama : « Avant d’être actrice, j’ai tenu un bistrot, j’ai été femme de ménage, j’ai gardé des gosses, j’ai vendu de la came, j’ai vendu mon cul. » Question métaphysique : « Le vrai problème, ce n’est pas la came, mais pourquoi tu te cames."
En tout cas, cela n’aurait pas été du goût d’Eugène, pas trop le ton des discussions de cellule. Le PCF ne rigolait pas avec la drogue, ni Georges Marchais avec la submersion migratoire, clandestine ou pas. La « môme » de Jean Ferrat [1] ne jouait pas les starlettes, et même si Roger dansait « le jerk » [2], il croyait en l’amour conjugal avec Joséphine, nous étions loin du « mariage pour tous », les camarades ne parlaient pas d’abomination, mais tout simplement de « vice bourgeois ».
En revanche, au moment où la Corinne entre dans la carrière en 1993, le décor change. Dans sa communication, le PCF oublie volontiers son F, remplaçant la France par la République. Bien que maintenu dans le logo officiel, le PC perd alors son F comme on perd son âme, en devenant PC politicaly correct, après l’échec d’une tentative de restauration. Vingt à trente ans plus tôt, la droite nationale déniait au PCF son F, tandis que l’extrême gauche diversitaire lui contestait son C. On voit qui a gagné... Le Parti se vautre dans les dérives trotskisantes du « tout ce qui bouge est rouge ». Le F de France renié sur le plan allégorique est devenu définitivement, et pour toute la gauche, jusqu’à ces dernières années un F comme Facho.
C’est Stanhope qui boit mais c’est Marleau qui est « kervé »
Si d’emblée, voir le capitaine Marleau, mais surtout entendre la Corinne, son accent non pas écrasé mais surjoué – je suis un natif – m’a désolé, la comparaison de ces deux femmes de plus de 50 ans, le capitaine Marleau et le DCI Vera Stanhope m’a consterné. C’est Stanhope qui boit mais c’est Marleau qui est kervé, – ivre en bon français.
Quand l’une surgit de son 4x4 tel un épouvantail avec sa chapka de travers, l’autre descend de son vieux Range Rover Defender - côté gauche of course - coiffé d’une manière de bob de la même teinte que son Flasher Mac, un imperméable kaki qui la confond avec le paysage. On laissera le côté Colombo sans l’imperméable au Capitaine Marleau, voyant forcément chez Vera un faux air de Miss Marple, même si moi j’ai plutôt pensé à mémé Lisa, ma grand-mère maternelle.
Brenda Blethyn a été révélée au grand public à l’âge de cinquante ans lors du 49e Festival de Cannes, en 1996, où elle décroche le Prix d’interprétation féminine pour son rôle dans le drame social Secrets et Mensonges, réalisé par Mike Leigh. Brenda Blethyn y interprète le rôle d’une ouvrière blanche, mère célibataire, vivant dans un quartier populaire, qui reçoit un jour l’appel de sa fille qu’elle abandonna une vingtaine d’années plus tôt. Le film triomphe avec la Palme d’or. Ce rôle lui fera par la suite remporter le Golden Globe de la meilleure actrice ainsi que le British Academy Film Award.
Sont-elles féministes, comme le pense Stephanie Fuzeau, de Télé-Loisirs ? « Vera et Marleau ont un flair imparable lorsqu’il s’agit de débusquer un criminel. Résultat, elles ont beau exaspérer leurs collègues, ceux-ci ne peuvent se passer d’elles », constate-t-elle. Et de conclure : « Tout ça nous change des beautés fatales arpentant les scènes de crimes sur leurs talons aiguilles, et se dandinant dans des robes fourreau en secouant négligemment leurs crinières de sirènes. Si elles ne mettent pas leur féminité en avant, nos [deux] héroïnes, elles, sont de vraies féministes ! Et c’est aussi pour ça qu’on les aime tant. » [3]
Volubile comme un pandore cocaïnomane
Corinne Masiero incarne donc l’excentrique capitaine de gendarmerie Marleau qui ne se sépare jamais de sa chapka, brute de décoffrage et volubile comme un pandore cocaïnomane dont les mantras seraient issus de cette fameuse politique des identités victimaires, c’est-à-dire un politiquement correct puissance 10. Cette logorrhée fatigante qui combine argot chtimi façon Dany Boon, identité victimaire, mâtinés de syndrome de Gilles de la Tourette ferait dire à un habitant du Nord-Pas-de-Calais qu’elle est surtout « bien malhonnête » comme on dit là-bas pour parler d’un « malpoli ».
Le personnage du capitaine Marleau a l’instinct du chasseur sous des manières voulues caricaturales, ostensiblement grossières. Elle guette ses proies, les piste et les surprend à l’improviste. Ses traques s’organisent, dans chaque épisode, autour d’un personnage central qui au fond la valorise. La réalisatrice José Dayan a malicieusement compensé la prise de risque de ce personnage borderline - sur youtube vous pouvez même trouver les meilleures répliques rouges de capitaine Marleau -, en y ajoutant à chaque fois des célébrités qui vont y jouer un grand rôle. Victoria April, Irène Jacob, Muriel Robin et Pierre Arditi, succèderont chacun leur tour au Gérard Depardieu du premier épisode.
Un maximum d’effet commercial pour un minimum d’effort cinématographique
Combien de fois José Dayan l’hyperactive, qui lit tout en diagonale, répète-t-elle sur son plateau : « Alors, on peut tourner ou pas ? » « On en est où ? », tout en pianotant sur son smartphone, incapable de rester inactive ? Elle peut faire plusieurs choses en même temps : demander qu’on prépare la lumière, caler les séquences, penser au montage, imaginer un autre téléfilm, appeler pour un casting, mais surtout être odieuse. Néanmoins Dayan, tâcheronne sans talent aux yeux de ses détracteurs, obtient à chaque fois, grâce à un name droping mix – langage politico-ordurier et célébrités – un maximum d’effet commercial pour un minimum d’effort cinématographique. Le Capitaine Marleau se laisse regarder par 6,7 millions de téléspectateurs, si bien que la série migre de France 3 à France 2.
Corinne Masiero a peiné à se faire caster mais a finalement réussi à s’imposer. Il faut dire que depuis l’outing de Dany Boon, la ch’ti touch est bankable, même si la réussite sociale, jusqu’à preuve du contraire, et quoiqu’en disent les démagogues socialistes, nécessite en France la maîtrise de la langue française. Le français est, depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539, la langue officielle du droit et de l’administration à la place du latin, et plus récemment, pour l’article 2 de la Ve république, « La langue de la République est le français ». Mais les instituteurs, les hussards noirs de la troisième République, n’ont pas attendu pour faire respecter l’usage du français à coup de règles sur les doigts ou en claquant les chères petites têtes blondes contre le pupitre, au point de casser le nez de certains, comme ce fut le cas pour le petit Pierrot dans le Pas-de-Calais.
Pierre Doupeux, né en 21 à Vichy, son père Lucien, Auvergnat ayant rencontré sa mère, Julia, 16 ans, une Legrand, à la suite de l’exode des habitants du bassin minier envahi par les Boches en 14-18. Le petit Pierrot, bon élève, qui n’était pas un natif, ne parlait sans doute pas patois en classe mais il avait fait du bruit en effaçant son ardoise. C’était mon grand-père maternel. L’époque était comme ça, mais elle fabriquait de bons petits Français. Pour ces provinciaux qui avaient pris l’habitude de s’assimiler, les travailleurs maghrébins ou africains qui s’installeraient cinquante ans plus tard ne seraient que des provinciaux plus lointains ayant eux-mêmes vocations à s’intégrer. D’où leur surprise de voir se multiplier des pratiques communautaires exotiques sur le sol français.
(Voir la deuxième partie)
Voir aussi toute la rubrique Télé dans Culture,
dans la Revue de presse C. Fourest : "César : rendez-nous Isabelle Adjani !" (Marianne, 19 mars 21), la rubrique Liberté d’expression : culture (note du CLR).
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