19 décembre 2009
"Certes, la comparaison, à première vue, a de quoi sembler incongrue. Interrogé jeudi sur le débat sur port du voile intégral, le ministre de l’Immigration, Eric Besson, répond... lancer de nains. La veille, son collègue du gouvernement chargé du Travail et des Affaires sociales, Xavier Darcos, auditionné par la mission d’information parlementaire qui planche sur le même sujet avait, lui aussi, cité l’interdiction de cette pratique.
Sur Internet, le parallèle a fait sursauter. Quel rapport entre le niqab et le lancer de nains ? L’invocation de la « dignité de la personne humaine ». C’est à ce titre que cette compétition saugrenue avait été interdite. Un grand classique chez les juristes. Explication rapide.
Au cours des auditions menées par la mission parlementaire présidée par André Gerin, les députés ont exploré les différentes pistes permettant d’encadrer, voire d’interdire, le port du voile intégral : trouble à l’ordre public, laïcité, égalité hommes-femmes, dignité de la personne ?
Evoquant cette dernière éventualité, Eric Besson, invité de RMC-BFM TV, soulève « l’idée que vous ne pouvez pas aliéner votre dignité, même volontairement ». « Application pratique », poursuit le ministre : le lancer de nains, « ces nains, dans des boîtes de nuit, qui étaient lancés dans des filets. Ils étaient volontaires, ils gagnaient de l’argent. Et qu’a dit la République française ? Le lancer de nains est intolérable. »
Allusion à la décision du Conseil d’Etat du 27 octobre 1995, confirmant l’interdiction du lancer de nains dans la commune de Morsang-sur-Orge (Essonne). Le Conseil d’Etat avait alors estimé qu’« une attraction de ce type » portait « atteinte, par son objet même, à la dignité de la personne humaine ». Par cette considération, il voulait montrer que « l’ordre public ne pouvait se définir comme purement "matériel et extérieur” mais recouvrait une conception de l’homme, que les pouvoirs publics doivent faire respecter ».
Le lancer de nains, précédent juridique ? Comme l’expliquait Xavier Darcos, se référant également au lancer de nains, « l’atteinte à la dignité de la personne, y compris lorsque cette atteinte porte sur soi-même, est un motif déjà admis par la jurisprudence pour restreindre la liberté individuelle ». Quant à fonder sur ce même principe une éventuelle loi sur le voile intégral ? Le ministre du Travail émet une réserve : « Le risque est cependant de condamner implicitement la croyance sur laquelle repose cette pratique. »
Guy Carcassonne, professeur de droit public à Paris-X, ne cache pas, de son côté, son désaccord avec la démonstration du Conseil d’Etat, qui « avait, déjà à l’époque, fait hurler les juristes », sur l’air du « mêlez-vous de ce qui vous regarde ».
Selon lui, « on ne peut pas opposer la dignité à la liberté ». On peut, certes, brandir cette notion de « dignité de la personne » dès lors qu’il s’agit de « traitement inhumains et dégradants, comme la torture », mais « sûrement pas pour interdire à des adultes libres de faire ce qu’ils veulent », détaille-t-il pour débiner un argument, pertinent à ses yeux, ni pour le lancer de nains - « même si c’est un spectacle stupide » - ni pour le voile intégral. Lorsqu’il avait été auditionné par la mission parlementaire, le constitutionnaliste avait, lui, conseillé de fonder une éventuelle loi sur le niqab ou la burqa, « sur l’ordre et la sécurité publics ». [...]"
Lire “Burqa : pourquoi Darcos et Besson ont parlé du lancer de nains...”.
Voir aussi Mission parlementaire sur le voile intégral : intervention de Patrick Kessel (16 sept. 09), Mission parlementaire sur le voile intégral : intervention de Philippe Foussier (16 sept. 09),
sur la burqa, La burqa pour quoi faire ? par Marc Antoine, Proposition de création d’une commission d’enquête sur la pratique du port de la burqa ou du niqab sur le territoire national (Assemblée nationale, 19 juin 09), Fête de la laïcité (5 juil. 09) : intervention de Marie-Danielle Gaffric, “On va commencer par interdire tel vêtement, et demain où cela s’arrêtera-t-il ?” (Libre Pensée, 29 août 09),
sur les signes religieux à l’école, les prises de positions du CLR “Commission Stasi” : audition du CLR, “Ni croix, ni voile, ni kippa, ni aucun signe ostentatoire d’appartenance dans le sein de l’école de la République” (2003), A propos de la loi sur l’interdiction des signes religieux à l’école (12 mai 04) et Accompagnatrices voilées de sorties scolaires (note du CLR).
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