Guylain Chevrier, formateur et enseignant à l’Université, membre du Conseil d’administration du Comité Laïcité République. 30 juin 2023
[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"La montée des revendications identitaires à caractère religieux n’a pas laissé indemne le travail social (secteur social et médico-social), à l’image du secteur socioculturel, aux difficultés mieux connues. On a vu apparaître des signes religieux ostensibles chez des professionnels, abandonnant une tradition de discrétion de longue date. Une situation qui s’aggrave, selon les témoignages que nous recueillons par le Réseau Vigilance travail social, récemment créé. Un travail social qui, par son action de soutien, d’aide, voire de réparation, est essentiel aux personnes qu’il concerne, mais aussi par là, au maintien de la cohésion sociale qui repose sur les valeurs et principes républicains.
Dans un dossier consacré à la laïcité réalisé par la revue Gazette Santé-Social, le constat était déjà fait que « les professionnels connaissent souvent mal les règles qui s’appliquent à leurs propres croyances et à celle des usagers ». Un principe qui concerne pourtant largement les missions confiées. On y rappelait que, si l’action charitable des Églises a précédé le travail social, celui-ci s’est constitué au travers de l’émancipation de l’État de la tutelle religieuse. Constat qui montrait l’urgence à revenir sur ce principe essentiel.
La laïcité est un principe d’organisation de l’État qui sépare le domaine politique, le sien, de celui du croyant. Les politiques sociales qui en émanent, sous forme de lois, portent cette marque, car absente de toute référence religieuse. C’est la condition de l’égalité de traitement de tous selon les mêmes droits. Un message qui n’est pas toujours simple à faire passer, car si dans le secteur public, la neutralité des professionnels s’impose comme dans toute la fonction publique, dans le secteur privé, il en va différemment. Les associations qui gèrent des réseaux d’établissement sociaux ou/et médico-sociaux, qui contribuent à la mise en œuvre des politiques publiques (Centre d’hébergement et de réinsertion sociale, Maison d’enfants à caractère social, Maison d’accueil spécialisé…), dépendent comme les entreprises du Code du travail, où donc ne s’applique pas automatiquement l’obligation de neutralité religieuse aux salariés.
DÉFENDRE LA NEUTRALITÉ
Pour appliquer ce principe de neutralité dans le privé, il faut, depuis les dispositions de la loi Travail, et des arrêts rendus par la Cour de Justice de l’Union européenne en 2017 et 2021, introduire un article dans le règlement intérieur qui le précise, relatif aux relations avec les usagers. Cette politique doit être générale, « philosophique, politique et religieuse ». Ce qui implique un travail en interne qui peut passer par le dialogue social, voire une charte explicative. C’est le choix d’une partie des établissements du secteur, parfois en réaction à de vraies difficultés. Alors que notre société est de plus en plus diverse, certains travailleurs sociaux en viennent à manifester leurs convictions religieuses en effet miroir avec des usagers.
C’est du côté des droits de l’usager, auxquels s’applique le principe de laïcité, que l’on trouve la réponse à cette problématique. La loi 2002-2 du 2 janvier 2002, rénovant l’action sociale et médico-sociale, reconnaît à chaque usager des établissements du secteur des droits fondamentaux, dont le « consentement éclairé » à son projet. Ce qui implique la prise en compte de son libre arbitre, de sa « liberté de conscience » qu’assure la loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905. Des usagers souvent fragilisés par les situations qui les conduisent à une demande d’aide, au regard de laquelle le travailleur social occupe une position d’ascendant, de guidant, qui implique des précautions, une réserve dans l’intervention, pour qu’ils puissent se saisir de leurs droits. La nature du travail social implique cette approche éthique, pour garantir à l’usager la liberté de ses choix.
Prenons le cas d’une jeune fille mineure faisant une grossesse précoce, accueillie dans un établissement de l’enfance en danger, qui pense à l’IVG : peut-elle librement aller vers sa référente pour se confier, si celle-ci affiche ses convictions religieuses ? Un témoignage rapporte qu’une stagiaire éducatrice spécialisée a refusé de participer à une campagne de prévention dans les collèges, sur le thème « santé, sida, prévention des MST » sous prétexte de sa religion. Un autre témoignage, qu’une aide médico-psychologique (AMP) a refusé d’accompagner un couple d’homosexuels dans une maison d’accueil spécialisé, pour le même motif. On voit bien le problème. La distance professionnelle avec l’usager, à laquelle participe une attitude de neutralité du travailleur social, est aussi une protection pour lui-même, au regard du risque d’interférence nuisant à l’action menée.
LES VALEURS DU TRAVAIL SOCIAL
La citoyenneté est réaffirmée dans toutes les politiques sociales, telle la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté de la personne handicapée, sous sa triple dimension de liberté individuelle, politique, économique et sociale. La juste prise en compte de la singularité de chaque personne ou famille accompagnée ne doit pas masquer cette réalité qui soutient les dispositifs sociaux. Maîtriser le principe de laïcité, pour les travailleurs sociaux, c’est une exigence de respect des mêmes lois pour tous, quelle qu’en soit la diversité.
Un courant favorable au multiculturalisme à l’anglo-saxonne est présent dans ce secteur, fondé sur la reconnaissance des communautés. Certains journaux spécialisés font écho à la pratique du community organizing, modèle venu des États-Unis qui, au nom de la participation des personnes précaires, promeut les communautés dans l’action sociale sur un mode « multiracial », « multiculturel » où s’ajoute le religieux. On sait combien, derrière la logique communautaire, les droits des individus tendent à s’effacer. On s’étonnera de voir que l’une des recommandations du rapport de l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales) sur « l’accompagnement social » y encourage, à l’opposé du principe républicain de laïcité et d’égalité, à mille lieues de la lutte contre « le séparatisme ». Ceci, d’autant plus dans un contexte où le communautarisme s’accentue, concernant plus « spécifiquement l’islam », ce que souligne un autre rapport de l’IGAS.
Le travail social est porteur de valeurs-clés, qui relèvent de l’héritage des luttes pour l’égalité des droits et l’égalisation des conditions. Prendre le chemin d’une « politique des identités » à l’américaine, de « chacun sa communauté », c’est contribuer à une division des forces sociales qui ne peut conduire qu’à la perte d’acquis sociaux. Il en va donc pour le travailleur social, de ne pas se tromper de combat. Défendre l’égalité d’accès aux mêmes droits pour tous, qui implique cette neutralité des professionnels, dans un esprit laïque, y compris dans le privé, est capital pour protéger un modèle de société qui a fait largement ses preuves sur le plan social, au regard de pays où le multiculturalisme va en général avec moitié moins de droits sociaux."
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dans la Revue de presse "Le réseau Vigilance Travail Social défend une vision plus émancipatrice que le repli identitaire" (marianne.net , 10 mars 23) ; "Dans le privé, les employeurs peuvent édicter une obligation de neutralité face à l’expression religieuse" (AFP, leparisien.fr , 19 av. 19), "L’entreprise peut interdire le port de signes religieux face aux clients" (usinenouvelle.com , 23 nov. 17), R. Malka : "Un désaveu cinglant de l’Observatoire de la laïcité de Jean-Louis Bianco" (causeur.fr , 15 mars 17), UE : "Les entreprises peuvent interdire le voile sous conditions" (lemonde.fr , 14 mars 17) dans Entreprise privée (note de la rédaction CLR).
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