21 avril 2019
Depuis le 18 avril 2019, il s’écrit beaucoup d’inexactitudes, en particulier dans la presse et sur les réseaux sociaux, à propos de la décision de la Cour d’appel de Versailles « d’autoriser le port du voile en entreprise », interprétée comme une victoire par les intégristes de toute religion, qui en font une nouveauté. La réalité est qu’ il a toujours été possible de porter des signes religieux en entreprise. Mais la situation s’est modifiée de manière assez nette depuis 2017 en faveur de la neutralité en entreprise, dans une pièce en cinq actes.
Acte 1 - Une employée recrutée tête nue par l’entreprise Micropole, Asma Bougnaoui, ingénieur informaticienne, se met à porter le voile. En particulier en clientèle. Les employés d’un très gros client de ladite entreprise, Groupama, signifient leur refus de travailler avec elle. Son patron lui demande de retirer son voile en clientèle. Elle refuse. Il la licencie en 2009.
Acte 2 - Elle le poursuit en justice et perd aux prud’hommes et en appel en 2011. Elle se pourvoit alors en cassation. La cour de cassation, prudente, sollicite l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en 2017. En effet la cour de cassation a reçu de la part de la CJUE une rebuffade, quelques mois avant, dans l’affaire Baby-Loup, l’instance européenne considérant que le licenciement de l’employée voilée est justifié.
Entre temps, la loi El Khomry et la jurisprudence qui suit (y compris la jurisprudence de la CJUE de 2017 dans l’affaire Baby-Loup) ouvrent la porte à l’interdiction des signes religieux, politiques et philosophiques en entreprise, au nom du bon fonctionnement économique de l’entreprise (art. 16 de la Convention européenne des droits de l’homme) sous certaines conditions :
Deux types d’entreprises ne sont pas concernés :
Acte 3 - La CJUE, qui rappelons-le, confirme les législations nationales (exemple : le blasphème en Autriche) constate divers manquements dans le licenciement et en particulier l’absence de règlement intérieur. Tout le monde savait que l’employée gagnerait parce qu’il n’y avait pas de règlement intérieur dans l’entreprise qui l’a licenciée et qu’un autre poste éloigné des relations avec la clientèle en raison de la neutralité inscrite au règlement intérieur, sans obligation de dépenses supplémentaires pour l’entreprise, n’avait pas été proposé à la plaignante, rendant ainsi l’entreprise coupable de discrimination indirecte. Mais, et c’est essentiel, la CJUE confirme dans ses attendus la Loi El Khomry et les jurisprudences de niveau national et européen qui y sont attachées, dont la jurisprudence Baby-Loup.
Acte 4 - En réponse à la décision de la CJUE, la cour de cassation casse automatiquement le jugement de la cour d’appel de 2011. Le conflit revient donc devant une nouvelle cour d’appel française, celle de Versailles. La cour française ne peut que reprendre la décision de la CJUE confirmée par la cour de cassation. L’employée doit donc être réintégrée et indemnisée. Mais la cour d’appel confirme elle aussi dans ses attendus la Loi El Khomry et sa jurisprudence.
Acte 5 - C’est donc une victoire à la Pyrrhus pour les intégristes. En effet, désormais, grâce à ces décisions rappelant la jurisprudence dans leurs attendus, qui peuvent être lus comme un véritable mode d’emploi, il est possible pour une entreprise d’interdire les signes religieux dans son règlement intérieur pour les raisons exposées plus haut. Il faut pour cela que l’entreprise ait adopté un tel règlement intérieur ou en adopte un (il s’applique à tout employé même entré dans l’entreprise avant que le règlement ait été adopté ; il doit être soumis pour avis au CSE de l’entreprise ; il peut être modifié par la direction par simple note), pour être en mesure de relicencier la dame en toute légalité. Et surtout désormais, c’est légalement possible pour toutes les entreprises.
Ces décisions successives et définitives constituent non pas une défaite mais une victoire pour la neutralité et l’universalisme en entreprise. En tout état de cause, elles démontrent que la neutralité en entreprise est le résultat d’un combat et d’un rapport de force à maintenir, les décisions jurisprudentielles étant sujettes à revirement…
Comité Laïcité République
le 20 avril 2019.
Lire aussi 11 & 12 mai 19 : 6e édition des Utopiales Maçonniques : "Universalisme" (GODF), 14 mesures pour une laïcité libératrice (8 mars 2019), Neutralité des salariés en contact avec la clientèle : un progrès (G. Chevrier, 29 nov. 17), Elections 2017 Des propositions pour promouvoir la laïcité (CLR, 17 av. 17), Manifeste du Comité Laïcité République : Candidats, osez la laïcité ! (31 mars 17), "La liberté de religion ne saurait l’emporter sur celle de manifester toute autre conviction" (GODF, 17 mars 17), G. Chevrier : "L’avancée de la Cour de justice européenne reste à confirmer en droit français" (atlantico.fr , 15 mars 17), le communiqué du CLR Une avancée juridique pour la neutralité dans les entreprises (15 mars 17), "Signes religieux en entreprise : une bonne nouvelle pour la laïcité" (J. Glavany, 14 mars 17), dans la Revue de presse "Dans le privé, les employeurs peuvent édicter une obligation de neutralité face à l’expression religieuse" (AFP, leparisien.fr , 19 av. 19), "L’entreprise peut interdire le port de signes religieux face aux clients" (usinenouvelle.com , 23 nov. 17), R. Malka : "Un désaveu cinglant de l’Observatoire de la laïcité de Jean-Louis Bianco" (causeur.fr , 15 mars 17), UE : "Les entreprises peuvent interdire le voile sous conditions" (lemonde.fr , 14 mars 17) dans Entreprise privée (note du CLR).
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