Revue de presse

"Ramenons la langue arabe au sein de l’école de la République" (M. Lahoud, H. El Karoui, Le Monde, 26 mai 16)

Par Marwan Lahoud, DG délégué d’Airbus Group ; Hakim El Karoui, ancien conseiller à Matignon et fondateur du Club XXIe siècle. 27 mai 2016

"Laisser aux associations religieuses cet apprentissage est une lourde erreur. Plutôt que de renvoyer les élèves vers les mosquées, l’éducation nationale devrait répondre à cette véritable demande sociale

Annus horribilis, 2015 restera dans les mémoires des Français comme l’année de la violence commise au nom de la religion, du meurtre perpétré au nom de l’islam. Face au danger terroriste, des mesures de sécurité ont été prises, qui doivent être assumées sur le long terme : nous nous en félicitons. Vient maintenant le temps des réponses qui doivent viser à prévenir la radicalisation de certains jeunes Français, tentés par une idéologie totalitaire et meurtrière, le djihadisme terroriste.

Les causes de cette dérive sont multiples : malaise identitaire, séparatisme social, questionnement ontologique adolescent, acculturation à marche forcée qui déstabilise les repères familiaux, absence d’autorité de parents ayant perdu leur légitimité, dans une société d’accueil qui a utilisé leur force de travail quand elle en avait besoin et n’a plus su que faire d’eux quand la désindustrialisation a commencé. Parmi les multiples explications données jusqu’à présent, une manque souvent à l’appel : l’inculture. La méconnaissance de la culture d’origine permet en effet à toutes sortes de charlatans de l’idéologie terroriste de se présenter comme les " vrais tenants " de l’islam, comme les " savants de la religion ", comme les vrais maîtres de la culture arabe.

Aucune solution miracle n’existe, bien sûr, mais nous pensons qu’il faut s’attaquer à la racine de ce mal : l’ignorance, que peut combattre l’enseignement de la langue arabe. Pourquoi ? Parce que l’école de la République est encore le meilleur lieu pour transmettre à ceux qui n’ont pas pu la recevoir la culture de leurs parents, des perspectives sur l’histoire de l’islam, des éléments pour mesurer la profondeur de leurs identités multiples. Et puis, évidemment, l’arabe est un atout dans la mondialisation vu le poids pris par les pays du Golfe et le Maghreb dans nos échanges économiques. Mais, malheureusement, la réalité est très loin de cette exigence.

L’éducation nationale rechignait à enseigner l’arabe aux enfants d’origine arabe : l’enseignement secondaire compte seulement 9 000 élèves en arabe. Au nom de l’assimilation républicaine probablement : " On a empêché les Bretons d’apprendre le breton au début du XXe siècle, on ne va pas permettre aux “Arabes” d’apprendre l’arabe ! " Les proviseurs renâclaient par ailleurs à ouvrir des classes d’arabe dans leur établissement, car ils craignaient d’attirer des enfants d’immigrés… et donc selon eux des problèmes. Enfin, argument ultime, l’arabe favoriserait le " communautarisme ", ce qui fait franchement sourire quand on connaît la surreprésentation des enfants d’immigrés dans les banlieues. Pas besoin de classes d’arabe pour avoir des écoles-ghettos.

Et pourtant, la demande est là. Et si l’éducation nationale n’y répond pas, qui en profite, depuis longtemps déjà ? Les pays d’origine, d’abord, qui financent des professeurs détachés (les ELCO) qui viennent hors temps scolaire apprendre la " langue et la culture d’origine " aux enfants venus du Maroc, d’Algérie, de Tunisie, de Turquie. Cette politique, conçue au moment où l’on pensait que les travailleurs immigrés allaient rentrer chez eux, est devenue obsolète : les enfants et petits-enfants des travailleurs venus reconstruire la France dans les années 1950 et 1960 sont français et bien français. L’éducation nationale a heureusement pris conscience du problème, a professionnalisé cet enseignement avec des professeurs mieux formés, plus contrôlés et bientôt intégrés à l’enseignement général par la création d’une filière " internationale ". Mais, cela ne suffit pas. D’autant que le nombre d’enfants qui apprennent l’arabe au primaire (environ 50 000) dépasse très largement l’offre proposée dans les collèges (8 000).

Les mosquées sont les autres institutions qui répondent à la demande d’enseignement de l’arabe. On estime à plus de 60 000 le nombre de jeunes Français qui apprennent l’arabe dans des mosquées, des associations cultuelles ou caritatives ou des instituts liés à des centres religieux. Aucun contrôle n’est opéré sur le contenu des formations, les valeurs qui sont transmises, la qualité des manuels, les méthodes d’apprentissage. Nous ne tomberons pas dans le piège qui consisterait à faire d’une mosquée un lieu dangereux : la très grande majorité des mosquées en France ne sont pas des lieux de radicalisation. On y prône la paix du croyant et le respect de l’environnement politique.

Mais, faute de manuels français d’apprentissage de l’arabe, les jeunes apprennent la langue avec les livres des pays d’origine dont la pédagogie, souvent fondée sur l’apprentissage par cœur, ne favorise pas l’esprit critique. Les valeurs transmises par les manuels sont celles des pays maghrébins et de la Turquie, qui ne sont pas toujours les mêmes que celles de la République. Enfin, l’imbrication de la langue et de la religion est telle dans l’islam, a fortiori quand on enseigne l’arabe dans les mosquées, que l’apprentissage de la langue est évidemment une occasion de prosélytisme, notamment dans les mosquées salafistes. Sauf que l’arabe existe indépendamment du Coran, c’est une langue vivante, une langue de culture, une langue des affaires.

En laissant le champ libre aux associations religieuses, la République leur donne des moyens puisque l’enseignement de l’arabe est devenu pour elle une source de revenus important. En n’assumant pas l’enseignement de l’arabe, elle envoie ses enfants dans les mosquées : c’est une drôle de conception du projet laïc et républicain. Il est temps de ramener l’enseignement de l’arabe à l’école de la République."

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