Prix de la Laïcité 2009 : accueil de Philippe Foussier

président du Comité Laicité République 24 janvier 2009

Citoyennes, citoyens, chers amis,

Bienvenue à cet après midi de débats organisé à l’occasion de la remise des 4e Prix de la laïcité.

Pour ceux d’entre vous qui ne le connaissent pas, le Comité Laïcité République [1] a été créée en 1990 dans la foulée de l’appel signé par Elisabeth Badinter, Régis Debray, Catherine Kintzler, Elisabeth de Fontenay et Alain Finkielkraut : « Profs ne capitulons pas ! », après l’affaire de Creil. Nous sommes attachés à ce que les citoyens, et notamment les plus jeunes, ceux qui sont « en devenir » à l’école de la République, puissent se construire hors de la pression des dogmes, qu’ils puissent acquérir les instruments de la raison, les outils de la critique qui en feront, nous pouvons l’espérer, ensuite des citoyens accomplis, libres de choisir en conscience, adultes, s’ils ont envie de croire ou de ne pas croire. Cet appel est pour nous symbolique car il intervenait dans une période de grande confusion des valeurs et des principes.

Nous y sommes encore. C’est parfois le camp politique qui historiquement a porté le principe de laïcité qui lui assène les coups les plus féroces. Mais, heureusement, il y a des laïques de différentes opinions politiques – c’est le cas au CLR - et nous ne confondons pas la laïcité – comme elle est souvent caricaturée - avec la condamnation de la religion ou de la croyance. Nous comptons dans nos rangs des croyants et des pratiquants et nous défendons, précisément au nom du principe de laïcité, leur liberté de croire et, bien sûr, celle de ceux qui préfèrent ne pas croire. Cela ne nous regarde pas. Ce qui nous regarde en revanche, c’est la place qu’occupent ou que prétendent occuper dans l’espace public les représentants des religions et les tenants d’un ordre clérical. Nous y reviendrons.

Nous sommes très heureux de nous retrouver une fois encore à l’Hôtel de Ville de Paris qui nous accueille depuis 2005 pour la remise des Prix de la laïcité [2] et nous remercions la municipalité de nous y convier une nouvelle fois. Le Prix de la laïcité est destiné à récompenser une action, un combat, un écrit en faveur de la liberté de conscience, de l’émancipation. Nous distinguons tous les deux ans un lauréat national et un lauréat international. C’est ainsi que, les années précédentes, Chahdortt Djavann, Caroline Fourest, le député danois Naser Khader ou Fadela Amara, entre autres, ont été distingués par un Jury dont la composition change au fil du temps [3]. Présidé successivement par Elisabeth Badinter, Christian Bataille et Antoine Sfeir, il était placé cette année sous la présidence du Professeur Jean-Pierre Changeux, dont les titres et les distinctions sont innombrables mais que je me cantonnerai à présenter comme neurobiologiste, professeur au Collège de France et à l’Institut Pasteur, et qui présida le Comité national d’éthique.

C’est une grande joie pour nous et un grand honneur que l’éminent scientifique qu’est Jean-Pierre Changeux nous ait fait l’amitié de présider cette édition. Nous sommes au CLR attachés à la laïcité et à la République parce que nous sommes des défenseurs et des promoteurs inlassables des valeurs héritées du Siècle des Lumières, celui qui nous fit sortir dans tant de domaines de l’obscurité, et de l’obscurantisme, dans lequel des siècles de domination des dogmes religieux et d’oppression de l’absolutisme monarchique avaient maintenu les hommes et les femmes.

C’est ce siècle qui a permis que les progrès scientifiques puissent s’affranchir des prescriptions de l’Eglise. Copernic et Galilée en firent la triste expérience avant. Pour nous laïques, la science, le progrès scientifique, sont indissociables de l’aspiration des hommes à la connaissance, à la soif de repousser toujours plus l’étendue de son savoir, d’un savoir qui doit se construire dans la liberté absolue de conscience, sans dogme. Pour nous laïques, tout mérite interrogation, même les mystères les plus intenses, et tout peut être soumis à l’analyse de la raison. C’est en ce sens que l’école républicaine et laïque a été pensée, notamment par Condorcet, afin que la République puisse être adossée à l’exercice par tous d’une citoyenneté accomplie. C’est le sens de la République démocratique, laïque et sociale que proclame notre Constitution, même si la réalité est souvent différente…

Mais le sens du progrès n’est pas linéaire. Et la science a parfois accompagné des retours en arrière, personne ne le nie. Mais certains en profitent pour épancher leur nostalgie de l’ordre ancien. Ainsi l’ancien cardinal Lustiger, bien loin d’un Grégoire ou d’un Siéyès, stigmatisait en 1989 le Siècle des Lumières comme porteur, comme responsable des plus épouvantables tragédies du XXe siècle. C’est dire si beaucoup d’autorités ecclésiastiques sont encore loin d’avoir admis ne serait-ce que les Lumières, et la décision toute récente du chef de l’église catholique de réintégrer les lefèbvristes schismatiques est de ce point de vue éclairante…

On ne conteste plus aujourd’hui Copernic ou Galilée, sans doute les églises n’y ont-elles pas trouvé d’enjeu intéressant, mais vous le savez, c’est Darwin qui est quotidiennement mis en cause. Ce n’est pas seulement l’action des évangélistes protestants américains qui est ici concernée, c’est la grande connivence des chrétiens et des musulmans qui fait aujourd’hui avancer les élucubrations créationnistes en les présentant comme des théories au même titre que celle de l’évolution des espèces fondée, elle, scientifiquement.

L’Intelligent design est l’appellation moderne du combat créationniste [4], contre lequel, tant au plan scientifique que politique, nous devons exercer notre vigilance. Pour les scientifiques, je laisserai de plus qualifiés que moi en parler. Mais sur le plan politique, sachez qu’au Conseil de l’Europe, en 2007, un rapport présenté par le député Guy Lengagne, ancien ministre, avait été censuré, clairement interdit de débat devant l’enceinte de cette Assemblée parlementaire par un vote des chrétiens-démocrates pilotés en sous main par des responsables religieux de très haut niveau. Il dénonçait dans ce rapport les dangers du créationnisme dans les systèmes éducatifs des pays d’Europe. L’enjeu est donc loin d’être théorique. Si demain nos enfants sont instruits avec l’idée que la théorie de l’évolution des espèces et le créationnisme sont deux hypothèses de nature équivalente et qu’aucune ne s’impose plus qu’une autre, alors, à coup sûr, nous aurons rompu avec l’un des acquis déterminants du Siècle des Lumières.

L’un des autres acquis des Lumières, c’est l’idée d’universalisme. C’est quand, le 26 août 1789, les représentants de la Nation, à Versailles, proclament que « Tous les hommes naissent libres et égaux en droit » et que ce principe a vocation à concerner toute l’humanité, quel que soit la couleur de peau, l’ethnie ou le sexe. C’est lorsque le 10 décembre 1948, ces principes sont en quelque sorte transcendés pour être étendus juridiquement à travers la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Cette idée d’universalisme, ce principe, ils sont actuellement combattus avec ardeur par les tenants du différentialisme, qui contestent que les droits de l’homme doivent s’appliquer partout et pour tous. Un certain nombre d’Etats, la plupart du temps peu recommandables s’agissant du respect des droits, s’allient pour expliquer que l’universalisme des droits de l’homme s’apparente à du colonialisme et que ici, chez eux, il est normal que les femmes aient un statut juridique inférieur à l’homme ou que là, la dictature se justifie par une culture particulière.

Ce combat, il se mène aujourd’hui même, dans le cadre de la préparation de la Conférence sur les droits de l’homme dite de Durban 2, qui se réunit à Genève en avril prochain. Malka Marcovich, dans son livre Les Nations désunies, en décrit les enjeux avec une lucidité et une vigueur qui nous encouragent à nous mobiliser massivement [5].

Le Comité Laïcité République est de ce combat. D’autant qu’il est aussi un combat direct pour la liberté d’opinion et d’expression. Certains Etats tentent ainsi d’inscrire dans les textes des Nations Unies l’idée selon laquelle critiquer une religion serait désormais assimilé à du racisme. Rien de moins. Le débat sur les caricatures, que nous avons connu en France avec Charlie Hebdo [6], nous a démontré il y a peu que les nostalgiques de l’ordre clérical veulent renouer avec le délit de blasphème. Le combat de Voltaire, le supplice du Chevalier de la Barre et de tant d’autres n’auraient donc servi à rien ?

J’évoquais l’universalisme sur le plan international. Il est aussi en danger sur notre sol. Le différentialisme, cette idée selon laquelle le droit à la différence doit conduire à la différence des droits, est une idéologie qui se porte bien. Elle a fort heureusement connu un destin un peu contrarié il y a quelques semaines avec les conclusions du Comité pour la révision du préambule de la Constitution, présidé par Mme Simone Veil. Ce comité avait été chargé début 2008 de soumettre au président de la République des propositions de réforme du préambule du texte constitutionnel afin que, notamment, celui-ci s’adapte à la « diversité » [7]. Derrière cette apparence de bonnes intentions se cache, ce n’est un secret pour personne, la notion de discrimination positive qui ne peut s’appliquer qu’en recourant au fichage ethno-racial [8], des concepts et des instruments qui sont certes défendus par des gens aux sentiments généreux mais aussi par beaucoup de militants d’une organisation communautarisée de la société.

Or pour nous, le principe d’égalité ne peut souffrir d’exception, car il garantit précisément qu’il ne saurait y avoir de discrimination, fut elle positive, et donc de hiérarchie entre les citoyens. Dans la conception essentialiste chère aux théoriciens de la discrimination positive et de la différence des droits, le principe même de la citoyenneté –républicaine– est dévoyé car l’individu n’existe que rattaché à une « communauté » qui le définit indépendamment de ses qualités et caractéristiques propres. Cette conception, à la fois collectiviste et réactionnaire, de l’homme, l’enferme dans une catégorie selon des critères de classification qu’il n’a pas choisis : sa couleur de peau ou son origine ethnique ou géographique ; niant ainsi la capacité propre de chaque citoyen de pouvoir se projeter au-delà de ce que le passé et les liens du sang lui ont légué. C’est en ce sens que cette conception de l’être humain est profondément réactionnaire.

Bien entendu, on sait quelle motivation pousse certains à défendre cette évolution. L’égalité en droit serait, nous dit-on, purement formelle et n’offrirait en réalité, derrière un universalisme qualifié d’abstrait, que la reproduction des inégalités, la discrimination et la ségrégation pour ceux dont la couleur de peau ou la consonance du patronyme les renvoie de fait à leur « origine ».

Ce constat est imparable et il n’est nul besoin de ficher les citoyens selon des critères ethno-raciaux pour savoir qu’il est plus difficile à une personne d’origine berbère ou malienne d’obtenir un logement ou un travail s’il dispose de talents équivalents à ceux d’un Français « de souche ». Il serait irresponsable de le nier. La promesse républicaine n’est pas tenue. Depuis quelques décennies, les principes républicains apparaissent désincarnés, car ceux là mêmes qui sont en charge de les faire vivre dans la réalité se révèlent déficients, c’est un euphémisme. On troque la liberté pour le libéralisme, l’égalité pour l’équité et la fraternité pour la charité.

Les principes constitutionnels de 1946 confirmés en 1958 nous disent pourtant que la République est démocratique, laïque et sociale. De toute évidence, les deux derniers termes paraissent souvent ne plus figurer au rang des priorités de l’action publique. Mais ce n’est pas parce que des responsables publics sont déficients qu’il faut pour autant abandonner des principes d’égalité et d’émancipation qui ont inspiré depuis 220 ans, bien au-delà de nos frontières, tous les hommes et toutes les femmes épris de liberté, aspirant à l’égalité et à la fraternité.

Et l’actualité récente nous a montré comment on pouvait instrumentaliser par exemple l’élection de M. Obama à la présidence des Etats-Unis. Durant sa campagne, le candidat démocrate a très clairement dé-racialisé sa désignation par son parti et son parcours politique [9]. Il a mis en avant les données sociales qui expliquent son ascension et a fait litière des arguments de ceux qui ne voulaient voir en lui qu’un Noir, de ceux qui n’ont de lecture de l’espèce humaine qu’à travers la « race », cette « obsession raciale » porteuse de tant de dérives. Ceux qui voient le Noir, le Juif, l’Arabe avant de voir l’homme ou la femme. Le président américain a dit ce qu’il fallait sur le sujet.

Pour nous en France, cela signifie que ceux qui ont la charge d’appliquer les principes républicains doivent faire en sorte que la promesse de la République sociale soit une réalité effective. Pour tous. Au risque sinon d’alimenter les revendications des propagandistes du communautarisme ethno-racial, du différentialisme, au niveau national comme international. Tout se tient. C’est le sens du combat que nous menons au CLR.

[1Voir Le CLR (note du CLR).

[3Voir Prix de la Laïcité (note du CLR).

[9Voir dans notre Revue de presse la rubrique Etats-Unis d’Amérique (note du CLR).



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