Revue de presse

"Peut-on se préparer à mourir ?" (La Croix L’Hebdo, 28 oct. 23)

(La Croix L’Hebdo, 28 oct. 23) 28 octobre 2023

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"C’est la direction vers laquelle nous allons tous… en prenant souvent bien soin de regarder ailleurs. La mort nous attend, mais peut-on s’y préparer ? Est-ce utile, ou même nécessaire ? Derrière ces questions difficiles, ce qui palpite, c’est la vie.

Texte : Aziliz Claquin
Illustration : Quentin Vijoux

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Au cœur d’une nuit d’été, il a dressé la table. Soigneusement disposé la jolie vaisselle sur une nappe, pour son épouse et ses deux jeunes enfants. Quelques heures plus tard, une ambulance l’a emmené à l’hôpital, où il est mort du cancer qui le rongeait depuis trois ans.

Aux obsèques de Sébastien*, Sophie avait raconté cette jolie table trouvée au matin. Face à l’assemblée affligée par la mort du jeune homme, son épouse, pâle et debout, encourageait à voir cette scène comme une invitation de Sébastien à poursuivre sans lui le banquet de la vie. « J’ai voulu le comprendre ainsi, témoigne Sophie aujourd’hui. Mais est-ce ce qu’il a voulu dire ? Quel était son niveau de conscience, lors de cette une nuit blanche sous morphine, peut-être déjà un peu ailleurs ? » interroge-t-elle prudemment.

Qui peut en effet savoir quelles pensées traversent l’esprit de ceux qui mourront dans quelques heures, quelques jours ? Ce qu’ils ressentent au plus profond d’eux-mêmes, ce qu’ils en disent réellement ? L’expérience de la mort reste insondable, obstinément. Même ceux qui la côtoient de près, accompagnant un proche très âgé ou gravement malade, ou travaillant en soins palliatifs, gardent face à cette expérience éminemment intime la plus grande humilité. Pourrait-on vraiment se préparer à un tel saut dans l’inconnu ?

Cette interrogation existentielle taraude l’humanité depuis toujours. Pourtant, rares sont ceux qui se répètent chaque matin « Memento mori » (« Souviens-toi que tu es mortel ») et se couchent chaque soir dans un cercueil pour méditer, à la manière de Charles Quint. On préfère généralement vivre en regardant ailleurs, et notre société y aide bien. Quand la maîtrise et la croissance sans fin sont érigées en valeurs cardinales, comment s’étonner que la vieillesse, la maladie et plus encore la mort soient repoussées aux lisières de notre champ de vision ? Pourtant, malgré les rêves de transhumanisme, l’homme n’a pas encore tué la mort. Elle est moins visible qu’avant, moins familière, mais frappe toujours autant – selon les dernières estimations, 100 % des humains seraient concernés. Peut-on apprivoiser cette expérience inéluctable quand elle est ainsi dissimulée ? Pour tenter de saisir ce que la mort fait aux vivants, nous avons poussé les portes de refuges discrets où elle s’impose chaque jour.

Bordé de collines couvertes de garrigue, le service d’accompagnement et de soins palliatifs de l’Hôpital privé du Grand Narbonne propose des espaces chaleureux aux patients et visiteurs : terrasses ouvertes sur la nature, fauteuils et tables colorés, bibliothèques et jeux de société… Jouxtant les chambres d’hospitalisation, l’accueil de jour offre aux patients des soins de support précieux pour se sentir mieux : massages, sophrologie, soins esthétiques, méditation… Hospitalisée ici, Marie, la cinquantaine, se remet difficilement de la rechute de son cancer. Les ongles joliment nacrés, elle a les traits tirés, masse son ventre douloureux. La mort, elle l’a côtoyée, beaucoup trop à son goût. Des parents et un frère décédés quand elle était jeune, ce qui lui a imprimé « la hantise » de ne pas voir ses enfants grandir. « La mort m’a tellement angoissée, et à quoi bon ? lâche-t-elle dans un sourire amer. Ça ne m’aide en rien aujourd’hui, pour ce qui m’attend. » Infirmière libérale pendant vingt-cinq ans, cette brune aux pommettes rondes a accompagné des patients dans leurs toutes dernières heures. Elle se sent malgré tout désarmée : « Quand on est soi-même concerné, c’est tout autre chose. » Ce qui l’inquiète le plus, c’est « souffrir, et voir les autres souffrir ». Elle s’est penchée sur ses « papiers, un peu. Il faudrait que je m’y remette, tant que je peux m’en occuper moi-même ». Mais, en elle, quelque chose résiste. [...]"



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