Revue de presse

P. Sastre : Darwinisme censuré, "Ce qui m’inquiète, c’est que Sciences Po forme 90% de l’élite française" (lexpress.fr , 9 août 22)

Peggy Sastre, journaliste scientifique et docteur en philosophie des sciences. 10 août 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Après l’annulation de son séminaire intitulé "Biologie, évolution et genre" à Sciences Po, l’essayiste répond aux critiques de l’IEP.

Propos recueillis par Laetitia Strauch-Bonart et Alix L’Hospital

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Lire "Peggy Sastre : "Ce qui m’inquiète, c’est que Sciences Po forme 90% de l’élite française"".

En juin dernier, L’Express révélait que deux séminaires ancrés dans la théorie de l’évolution, dont l’un devait être assuré par la journaliste au Point et essayiste Peggy Sastre, avaient été annulés sans plus d’explication par Sciences Po Paris. Répliquant à notre enquête, la direction de l’IEP répondait entre autres que ces cours avaient été refusés pour des motifs scientifiques ou encore que "les conceptions de Mme Sastre peuvent presque conduire à légitimer le viol". Dans cet entretien, l’auteure de La Haine orpheline (Anne Carrière) réfute fermement ces accusations. [...]

Pour répondre à l’enquête de L’Express, la direction de Sciences Po a avancé de nombreux arguments. Le premier, que "les deux cours avaient été refusés pour des motifs purement scientifiques". "Dans le syllabus, il y était affirmé que "la théorie de l’évolution est la plus grande idée que l’humanité n’ait jamais eue", sans aucune problématisation, mise en perspective ou confrontation des positions comme cela est la norme en sciences sociales". Que pensez-vous de cet argument ?

Que je me demande à quoi aurait pu ressembler la perspective "critique" et la confrontation des positions regrettées par la direction de Sciences Po. À du 15 minutes pour le darwinisme, 15 minutes pour le créationnisme ? En réalité, qu’un établissement d’enseignement supérieur estime qu’une affirmation aussi banale que "la théorie de l’évolution est la plus grande idée que l’humanité n’ait jamais eue", qui n’était en plus que l’accroche du résumé de notre cours, manque de mise en perspective "critique" en dit long sur l’étendue du problème...

M. Orlando a été pris à partie comme ayant validé son cours lui-même sans l’accord de Sciences Po, et n’ayant pas les qualités scientifiques requises pour présenter "la théorie de la psychologie évolutionniste". Qu’en dites-vous ?

Pour la première accusation, c’est matériellement impossible et j’ose espérer que M. Orlando prendra de son temps et de son énergie pour le démontrer plus en détail. Pour le second "argument", il laisse entendre que Sciences Po, son alma mater, n’a pas pris la peine de consulter sa thèse, car il y déploie justement une ébauche d’éclairage évolutionnaire des politiques publiques, qu’il a développée lors d’un cours mené à Paris I en 2021. Ensuite, il faut savoir que les connaissances que nous voulions présenter dans nos cours sont tout à fait basiques. Elles sont de niveau lycée, voire collège en poussant un peu. Là encore, je pense que la justification en dit beaucoup sur la direction de Sciences Po, qui semble en effet mal appréhender les "qualités scientifiques" qu’il fallait posséder pour mener à bien de tels enseignements... [...]

Pourquoi les sciences de l’évolution sont-elles interprétées de façon si caricaturale, y compris dans le monde universitaire, alors que les travaux de ces disciplines satisfont à des critères scientifiques rigoureux ?

C’est une grande et vieille question. On commence à compter pas mal d’études montrant comment les sciences comportementales darwiniennes sont méconnues, diabolisées et caricaturées dans le champ des sciences sociales. Mais ça continue... Une explication simple et courante est de nature territoriale : les questions qu’abordent les sciences comportementales darwiniennes, beaucoup de chercheurs en sciences sociales classiques y voient leur chasse gardée. Sauf que la connaissance de la réalité n’appartient à personne. Par contre, si vous persévérez dans l’erreur, vous nuisez à tout le monde.

"Les conceptions de Mme Sastre peuvent presque conduire à légitimer le viol. Il était impossible de livrer cela à nos étudiants de deuxième année sans un contrepoids scientifique solide. D’où l’annulation", s’est encore justifié Sciences Po. Que pensez-vous de ces propos, qui frisent la diffamation ?

Qu’ils sont grotesques. Mais aussi assez préoccupants en ce qu’ils émanent d’un établissement formant plus de 90 % de l’élite politique française. Des gens censés, littéralement, avoir la vie des citoyens entre leurs mains et auxquels on apprend donc qu’il serait normal de confondre explication - ce que je propose à propos du viol, en m’appuyant sur les sciences comportementales darwiniennes - et justification. Un chercheur en médecine spécialiste du cancer cherche-t-il à le "légitimer" ? Cette confusion est très banale et donc ancienne. À la base, cela procède du biais de contamination symbolique. : si vous travaillez sur un sujet "négatif", et le viol l’est éminemment, alors il déborde sur vous aux yeux de pas mal de gens. C’est la même logique qui faisait qu’à la grande époque de l’opéra, des spectateurs attendaient dans la rue après la représentation pour casser la gueule du ténor qui venait d’interpréter le "méchant" de la pièce. La même qui fait que les avocats de la défense sont si facilement "souillables" des crimes de leurs clients. En ce qui concerne plus précisément les recherches évolutionnaires sur le viol, deux de leurs pionniers, Randy Thornhill et Craig Palmer, ont dû un temps être mis sous protection policière à cause de la gravité et de l’ampleur des menaces qu’ils recevaient. C’était il y a plus de vingt ans...

Par contre, si ces propos peuvent sans doute être jugés diffamatoires, je ne vais pas porter plainte. Il y a plusieurs années, j’avais entendu Alain Finkielkraut dire qu’il ne fallait pas que les tribunaux remplacent l’agora et c’est un principe auquel j’adhère entièrement. Cette confusion, malhonnête et malveillante, entre explication et justification, mérite d’être désinfectée au soleil du débat public.

Dans le syllabus de Sciences Po pour 2021-2022, on trouve des cours tels que "Gender and Queer Law" ou "Masculinities : Probing gender history through the lens of soldiers’ amateur photography", qui ne dégagent pas une scientificité évidente. Comment expliquez-vous que la nébuleuse des "études de genre", qui n’ont pas toujours une démarche scientifique rigoureuse, ne se voie jamais reprocher sa partialité et sa déficience épistémologique ? Pourquoi ce double standard ?

Une explication "proximale" pourrait tenir de la position hégémonique de ce genre d’approches. C’est un problème qui a notamment motivé la création, aux Etats Unis et autour de Jonathan Haidt, de "l’Heterodox Academy" où l’on cultive la contradiction et le dissensus pour minimiser la portée des biais de confirmation, de conformité, briser les spirales du silence, etc. Et contrer les monocultures intellectuelles que sont devenues bien des universités d’élite. Mais d’un point de vue plus "distal", on pourrait mentionner l’extraordinaire efficacité sociale qu’ont ces écoles de pensée issues de la théorie critique et du postmodernisme. On a rarement fait mieux pour souder des chapelles, avec toutes les logiques d’ostracisme que cela comporte. On retombe là sur le fait que notre cerveau n’est pas "fait pour" connaître la réalité, mais pour l’interpréter d’une manière qui profite à nos intérêts vitaux. D’ailleurs, c’est ironique que le post-modernisme soit aussi allergique au darwinisme, car c’est une sacrée petite machine adaptative... [...]

Vous vous dites "profondément féministe". De quel féminisme s’agit-il ?

Je dois sortir un livre sur cette question en 2023, mais pour garder l’essentiel, c’est un féminisme qui défend l’égalité de droits et de statut entre les sexes et qui met la liberté et l’autonomie individuelles au coeur des enjeux. Mon féminisme ne s’offusque pas, par exemple, qu’il y ait des professions majoritairement féminines ou masculines si les individus concernés y trouvent leur compte. Un gros reproche que je ferais au féminisme orthodoxe actuel, c’est qu’il semble juger que les femmes n’auront pas atteint l’égalité tant qu’elles ne seront pas des hommes comme les autres. [...]"



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