Revue de presse

"Le débat sur le voile dans le sport rebondit aux Jeux asiatiques" (lemonde.fr , 25 sept. 14)

Mahfoud Amara, de l’Université du sport de Loughborough (Angleterre). 4 octobre 2014

"Le Qatar a retiré son équipe féminine de basket des Jeux asiatiques, mercredi à Incheon, car la moitié de ses joueuses recouvraient leur tête d’un voile islamique, formellement interdit par la Fédération internationale de basket (FIBA). Un responsable qatari a expliqué que la FIBA interdit le port de voile pour des raisons de sécurité, ce qui contredit, selon lui, le principe olympique de diversité. [...]

Le chercheur algérien Mahfoud Amara, de l’Université du sport de Loughborough (Angleterre), auteur d’un ouvrage sur le sport, la politique et la société dans le Monde Arabe (Palgrave and Mcmillan), revient sur cet épisode et sur la place des femmes dans le sport, source de conflit entre les pays du Golfe et les instances sportives internationales.

La participation d’équipes féminines est-elle le principal contentieux entre les pays du Golfe et les instances sportives internationales ?

Effectivement, cela reste un problème même si l’année 2012 a constitué un tournant avec les derniers Jeux olympiques. Comment définit-on l’universalité du sport ? Qui définit l’universalité du sport ? Peut-être que les pays arabes sentent qu’ils n’ont pas participé à l’élaboration de cette définition. Le sport tel qu’il est pratiqué est plus un sport avec des valeurs séculaires, occidentales. Il est le produit de l’histoire de la pratique sportive en Occident, ce qui produit parfois un conflit de valeurs.

Il existe des différences entre les pays musulmans sur cette question...

Oui. Et il en existe au sein même des pays du Golfe. Entre l’Arabie saoudite et le Koweït, l’écart est grand. Seuls l’Iran et l’Arabie saoudite obligent leurs sportives à porter le voile. Elles n’ont pas le choix. Au Koweït, au Qatar ou aux Emirats-arabes-Unis, le voile tient de la tradition culturelle, dans des pays avec des valeurs tribales fortes. Il y est commun de porter le voile mais il n’existe aucune loi qui l’oblige.

Pourquoi, lors de ces Jeux asiatiques, le conflit est-il venu du Qatar ?

Le Qatar veut apparaître comme un modèle où l’on réconcilie la pratique arabe sportive et les valeurs universelles. On peut souligner que la délégation qatarie compte 55 femmes sur 260 sportifs, un record. Pour répondre, il faut revenir à 2012. Grâce à l’intervention de certaines personnalités du monde arabe, comme le prince jordanien Ali Bin Al-Hussein, vice-président de la FIFA, un terrain d’entente a été trouvé pour autoriser les sportives musulmanes à porter le voile lors des JO de Londres.

Des négociations ont été menées entre le CIO, les fédérations internationales sportives et les comités nationaux olympiques. Plusieurs fédérations, dont la puissante FIFA, ont accepté de lever l’interdiction. La Fédération de basket (FIBA) ne s’est, en revanche, pas prononcée. Les Qataris savaient cela et ils voulaient certainement pousser cette fédération à se prendre position. Preuve que les choses avancent (sic) [1], lors de ces Jeux asiatiques, les haltérophiles iraniennes ont porté le voile et ont même remporté des médailles. L’équipe féminine de Jordanie de football participe également au tournoi avec des joueuses voilées.

Revenons aux JO 2012 qui ont été le théâtre de premières historiques en matière de présence féminine...

Pour la première fois, l’Arabie Saoudite et le Qatar ont envoyé des athlètes féminines aux Jeux olympiques. On se souvient du cas de la judokate saoudienne (Wodjan Ali Seraj Abdulrahim Shahrkhani). Les négociations ont permis d’adapter le voile à la pratique sportive, la raison pour l’interdire étant souvent un problème de sécurité. Pour certains conservateurs, le « voile sportif » ne peut pas être considéré comme un vrai voile (le voile conventionnel).

En tout cas, les choses évoluent et cela créé des références et des modèles nouveaux. On assiste à une augmentation de la pratique sportive féminine dans le Golfe. En Arabie saoudite, on commence à développer l’activité physique à l’école, les religieux acceptent cela depuis peu.

Plusieurs observateurs estiment que le port du voile est une régression de la femme. Entendez-vous cette critique ?

Est-ce imposé ou est-ce un choix ? Comme on l’a dit plus haut, cela tient plus de prosélytisme d’état ou aperçu comme tel dans des pays comme l’Arabie saoudite ou l’Iran. On peut donc penser que c’est parfois une régression de la condition de la femme, au moins selon les mouvements féministes. Mais il y a plus de possibilités pour les femmes non voilées que pour les femmes voilées de pratiquer du sport. Celles qui veulent porter le voile et pratiquer le sport de haut niveau se sentent discriminées plus que les autres. D’un côté, on milite pour une augmentation de la participation de la femme et de l’autre, des crispations continuent d’exister sur le port du voile libre. Cela représente une certaine contradiction. A la société et aux instances de choisir la priorité.

En Tunisie, depuis que les partis islamistes ont été intégrés à la vie politique et sociale, de plus en plus de femmes athlètes performantes se prononcent pour porter le voile. Elles le justifient comme une décision émancipatrice. C’est certain que ce n’est pas compris par tout le monde.

Certaines critiques mettent en lumière le double langage du CIO ou de fédérations internationales comme la FIFA, qui autorisent désormais le voile mais interdisent tout message politique...

Depuis longtemps, le débat anime les philosophes, les sociologues et les exégètes musulmans : le voile est-il religieux ou politique ? En effet, l’obligation du port du voile pour les athlètes iraniennes n’est-il pas politique ? C’est un vaste sujet. En l’occurence, la réponse du CIO est de dire qu’il n’y a pas d’autres alternatives. Soit on accepte le voile, soit on certains pays n’enverront pas d’athlètes féminines. Pour le moment, un certain pragmatisme (sic) [2] l’a donc emporté.

La société française n’est-elle pas traversée, elle aussi, par ce débat ?

Oui, on assiste régulièrement à ce genre de débat qui concerne les communautés musulmanes dans les pays occidentaux. Par exemple, les créneaux réservés aux femmes dans les piscines publiques ont suscité des polémiques et ne sont pas acceptés. Dans des pays comme la France ou le Canada (le Québec), la question du religieux dans l’espace public reste très importante. En Europe même, il existe des différences entre le Royaume-Uni et la France. Au Royaume-Uni, cette question pose moins de problèmes mais le modèle est différent, celui du multiculturalisme."

Lire "Le débat sur le voile dans le sport rebondit aux Jeux asiatiques".

[1Note du CLR.

[2Note du CLR.



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