6 août 2015
"Inflexible, le Conseil d’Etat aura fait preuve de constance pendant le long feuilleton – encore inachevé – de la ratification par la France de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Comme en 1996, puis en 2013, la plus haute juridiction administrative vient de rendre un avis défavorable – mais non contraignant – à la ratification de cette charte, adoptée à Strasbourg le 5 novembre 1992 et signée par la France le 7 mai 1999.
Sollicité par le gouvernement le 24 juin sur le projet de loi constitutionnelle qui a été présenté par la garde des sceaux en conseil des ministres vendredi 31 juillet, le Conseil d’Etat, qui l’a examiné la veille, expose les raisons pour lesquelles il « n’a pu donner un avis favorable à ce texte ». Les mots ont varié avec le temps, mais la trame de l’argumentation reste la même : la charte mettrait en cause les principes d’indivisibilité de la République et d’unicité du peuple français.
Ces obstacles juridiques sont connus de longue date. Et les réflexions sur les moyens de les surmonter ne datent pas d’hier. Dans un rapport remis au premier ministre Lionel Jospin, en septembre 1998, le juriste Guy Carcassonne, décédé en mai 2013, avait estimé que la France pouvait souscrire une proportion suffisante des engagements prévus par la charte dans des conditions compatibles avec la Constitution. Il suggérait d’accompagner la signature de la France d’une « déclaration interprétative » rappelant qu’aux yeux de la France le terme de « groupe » visait une addition d’individus et non une entité autonome, titulaire de droits. C’est sur cette base que le processus de signature de la charte a abouti, en mai 1999. La ratification, en revanche, n’a jamais été menée à son terme.
Saisi par Jacques Chirac, le Conseil constitutionnel avait jugé, dans sa décision du 16 juin 1999, que le préambule de la charte, notamment, était contraire à la Constitution. Et que la « déclaration interprétative » française ne levait pas cet obstacle. Il avait ainsi souligné que « les principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français (…) s’opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance ». Une révision de la Constitution devenait dès lors un préalable indispensable à la ratification de la charte.
C’est l’objet du texte qui vient d’être présenté en conseil des ministres, et que François Hollande envisagerait de soumettre en 2016 au Parlement réuni en Congrès. Le Conseil d’Etat adresse au gouvernement une très claire mise en garde. A ses yeux, la charte européenne et la déclaration interprétative du 7 mai 1999 sont deux textes « difficilement compatibles entre eux ». Sans le dire explicitement, il juge donc incohérent d’insérer dans la Constitution, comme le souhaite le gouvernement, que l’autorisation de ratification s’applique à la Charte européenne des langues régionales et minoritaires « complétée par la déclaration interprétative du 7 mai 1999 ».
Cette double référence, estime le Conseil d’Etat, « introduirait une contradiction interne génératrice d’insécurité juridique ». « En second lieu, ajoute-t-il dans son avis, elle produirait une contradiction entre l’ordre juridique interne et l’ordre juridique international, exposant tant à des incertitudes dans les procédures contentieuses nationales qu’à des critiques émanant des organes du Conseil de l’Europe chargés du contrôle de l’application de la charte. »"
Lire "Nouvel obstacle à la ratification de la Charte des langues régionales".
Lire aussi "Feu vert à la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires" (la-croix.com , 31 juil. 15), Les députés favorables à une modification de la Constitution permettant de ratifier la charte européenne des langues régionales (metronews.fr , 28 jan. 14), "Langues régionales : encore de l’enfumage sociétal ?" (E. Conan, marianne.net , 25 jan. 14), M.-F. Bechtel : "La Charte régionale exclut la langue des migrants [...] renvoie à une certaine ethnicité" (Assemblée nationale, 14 jan. 14), "La proposition de loi constitutionnelle pour la charte des langues régionales adoptée par les députés" (AFP, bretagne.france3.fr , 15 jan. 14), "Manuel Valls : pas de coofficialité du français et du corse dans l’île" (AFP, 3 juin 13), "La langue officielle corse en question" (AFP, lefigaro.fr , 17 mai 13), "Des cours de breton à Sciences-po", avec Nolwenn Leroy (Le Parisien, 16 fév. 13), “Eurovision : le ténor Amaury Vassili représentera la France avec une chanson en corse” (nouvelobs.com , 6 fév. 11), “Le collège change de nom, le principal est menacé par les extrémistes flamands” (Libération, 7 juil. 08), Daniel Lefeuvre : “Les langues régionales sont-elles vraiment menacées ?” (Le Figaro, 27 juin 08), A.-G. Slama : “La langue, l’Etat et la loi” (Le Figaro Magazine, 27 juin 08), François Taillandier : “Langues régionales : l’arrière-plan d’une cause « sympa »” (Le Figaro, 24 juin 08), “Le Sénat refuse d’inscrire les langues régionales dans la Constitution” (AFP, 18 juin 08), Les langues régionales dans la Constitution : “Déclaration de l’Académie française” (16 juin 08), “L’Académie française contre l’inscription des langues régionales dans la Constitution” (AFP, 16 juin 08), “Christine Albanel dit non à la Charte des langues régionales” (Reuters, 7 mai 08) et le communiqué du CLR De la préférence régionale au fascisme (5 nov. 04) (note du CLR).
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