Revue de presse

L. Bouvet : "Prétendre que la loi de 1905 est libérale, c’est une fable" (marianne.net , 25 jan. 19)

Laurent Bouvet, professeur de science politique, cofondateur du Printemps républicain. 28 janvier 2019

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Laurent Bouvet, La Nouvelle question laïque, Flammarion, 2019, 336 p., 18 e.

"[…] En 300 pages, le co-fondateur du Printemps républicain et membre du Conseil des sages de la laïcité balaie les problématiques ayant trait à la loi de 1905 : place de l’islam dans la société française, critiques de la laïcité venues de la gauche (décoloniaux, indigénistes) et de la droite (identitaires chrétiens)… Surtout, et c’est là son principal mérite, l’ouvrage revient en détail sur une conception de la laïcité qui, d’après Laurent Bouvet, détourne l’esprit de la loi de 1905 et travestit la vision de ses pères fondateurs, tout en s’en réclamant bruyamment : c’est cette laïcité libérale, portée par l’Observatoire de la laïcité et profondément influencée par le multiculturalisme anglo-saxon, qui s’est peu à peu imposée jusqu’à devenir majoritaire parmi les élites médiatiques et politiques.

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[…] La spécificité de l’islam peut s’apprécier à différents niveaux. C’est tout d’abord un nouveau venu dans le paysage français des cultes, notamment en termes institutionnels : la loi de 1905 ne s’applique pas à l’islam puisque le culte musulman n’a pas été pris en compte à l’époque. Il n’existait alors pas sur le territoire métropolitain, même s’il était très présent dans l’empire colonial. Le deuxième problème, c’est l’émergence très rapide de l’islam en France, qui vient d’une immigration issue de l’ancien empire colonial, ce qui le différencie fondamentalement du catholicisme, du protestantisme et du judaïsme, cultes installés de longue date et qui ont connu une croissance « interne » – même si une immigration catholique a eu lieu au XXe siècle (italienne, polonaise, espagnole, portugaise). Troisième élément, « l’islamisation » de l’islam dont nous avons parlé plus haut : partout dans le monde, l’islam est travaillé par des courants radicaux qui poussent à une visibilité plus grande de la religion et de ses pratiques. Ce qui joue un rôle important en France aussi. De tels courants radicaux existent aussi dans les autres religions sur le sol national mais ils sont bien moins forts et surtout bien moins visibles que dans l’islam.

Enfin, se pose la question de la nature même de l’islam et du rapport du théologique au politique dans l’islam. C’est un sujet qu’abordent aujourd’hui de nombreux intellectuels, par exemple Pierre Manent ou Alain Finkielkraut. À leurs yeux, il y a une incompatibilité fondamentale entre l’islam avec la civilisation française, avec notre manière de résoudre d’une certaine façon la question théologico-politique. Dans l’islam, le théologique et le politique ne peuvent séparés, c’est une différence fondamentale avec le christianisme. D’une part parce que le Coran est un texte « incréé », il ne s’agit pas d’une interprétation de la parole de Dieu mais de la parole de Dieu elle-même. Dans cette optique, le prophète Mahomet est celui qui comprend, enfin, par rapport à tous les faux ou mauvais prophètes qui l’ont précédé, la parole de Dieu et qui la retranscrit exactement. Donc il n’y a pas d’interprétation, d’amélioration ou de changement possible du texte divin. Pour les plus fondamentalistes des musulmans, la politique ne peut dès lors, comme toute chose, qu’être l’application de la parole de Dieu.

D’autre part, si l’on aborde la question sous l’angle historico-politique et non plus théologique, l’islam est né et s’est imposé dès sa naissance les armes à la main et non par la soumission à une autorité politique extérieure. Sans se battre, Mahomet n’aurait pas pu diffuser l’islam. Pour les fondamentalistes, l’islam est une religion de combat dont l’objet même est d’apporter dans un monde de ténèbres et d’incroyance, la parole de Dieu et donc d’imposer les pratiques qu’elle prescrit. Cela pose, au fond, la question de l’incompatibilité de l’islam avec toute règle politique, sociale, culturelle… qui n’en procède pas. Ce problème se pose de manière particulièrement aiguë lorsque l’islam est minoritaire dans une société : comment vivre pleinement sa foi et surtout cette conception absolue de la foi dans une société où cela n’a pas de sens pour la majorité de la population ? Ce sont tous ces aspects mis bout à bout qui constituent la spécificité de ce que l’on pourrait appeler le « problème » musulman aujourd’hui, dans une société comme la nôtre. […]

On cherche ainsi à normaliser la laïcité française en la faisant rentrer au chausse-pied dans le cadre d’une simple tolérance religieuse et des droits de l’Homme – il suffit ainsi d’observer l’évolution de la jurisprudence du Conseil d’Etat ou du Conseil constitutionnel ces dernières décennies sous l’influence notamment du droit européen. Par exemple, pour la Cour européenne des droits de l’Homme, la « liberté de conscience » de la loi de 1905 se réduit à la « liberté religieuse » de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH). Le « grand penseur » français de cette laïcité-là – institué ainsi par Le Monde dans un article hagiographique – c’est l’historien Jean Baubérot qui a fait de sa lecture très particulière de l’Histoire, résolument ancrée du côté des religions minoritaires, hier le protestantisme, aujourd’hui l’islam, la matrice de la compréhension de la laïcité, contre le gallicanisme, le jacobinisme, le bonapartisme et le radicalisme républicain entre lesquels il trace une ligne continue. Cette lecture anti-étatique se trouve très à l’aise avec la conception individualiste et ancrée dans la « résistance » de la société civile contre l’Etat du libéralisme d’origine anglo-saxonne. Celui qui domine précisément aujourd’hui nos représentations culturelles et influence très fortement notre droit. […]

La liberté ne peut se résumer à « c’est mon choix » tout comme la communauté ne peut se résumer à « c’est notre identité ». Il faut pouvoir opposer l’une à l’autre mais surtout permettre à la liberté d’exister au sein de la communauté elle-même. L’idée laïque protège ainsi chacun d’entre nous à l’intérieur d’un espace de citoyenneté commun parce qu’on y a adhéré volontairement et non parce qu’il nous est assigné en raison de tel ou tel aspect de notre identité. Elle permet de choisir un modèle de société en même temps qu’une manière de se gouverner, et pas seulement une manière de se comporter en raison de ses droits individuels. C’est bien un message universel dont il s’agit, mais d’un universalisme réitératif et non de surplomb, c’est-à-dire qui ne s’impose pas mais qui se répète dans chaque société, par delà les différences culturelles. […]"

Lire "Laurent Bouvet : "Prétendre que la loi de 1905 est libérale, c’est une fable"".


Voir aussi Appel des 113 : nous nous opposons aux modifications de la loi de 1905 (Collectif laïque national, 1er jan. 19), Non à la dénaturation de la Loi de 1905 (Collectif laïque national, 6 déc. 18), Loi du 9 décembre 1905, sur la séparation des Eglises et de l’Etat, Ne touchez pas à la loi laïque de 1905, loi de liberté séparant les Eglises de l’Etat ! (G. Chevrier), Appel aux partis politiques : Défendre et promouvoir la Loi de 1905 et les bienfaits de la Laïcité (CLR, 1er déc. 18), P. Kessel : Pourquoi il ne faut pas modifier la loi de 1905 (Colloque du 1er déc. 18), Colloque "La laïcité et les partis" (Paris, 1er déc. 18), dans la Revue de presse J.-P. Sakoun : "Les préoccupations, légitimes, sur les relations avec l’islam n’ont pas à être traitées à travers la Loi de 1905" ("28 Minutes samedi", Arte, 5 jan. 19), J.-P. Sakoun : Qui va croire qu’on fait trembler Daech en révisant la Loi de 1905 ? ("On va plus loin", Public Sénat, 28 nov. 18) , J.-P. Sakoun : "On a tous les moyens d’intervenir sans modifier la Loi de 1905" ("28 Minutes", Arte, 19 nov. 18) , Foulard islamique : « Profs, ne capitulons pas ! » (Le Nouvel Observateur, 2 nov. 89), J.-M. Sauvé : Le Conseil d’Etat "adapte" la Loi de 1905 (6 déc. 16), "Crèches de Noël et laïcité : le détricotage de la loi de 1905 continue…" (B. Bertrand, F. Braize et J. Petrilli, marianne.net , 5 déc. 16), "Le Conseil d’Etat ouvre une nouvelle brèche dans la loi de 1905" (B. Bertrand, F. Braize et J. Petrilli, marianne.net , 25 av. 16), "Laïcité : que reste-t-il de la loi de 1905 ?" (F. Braize et J. Petrilli, slate.fr , 21 nov. 13), la rubrique Macron et la Loi de 1905 (note du CLR).


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