Jean-Éric Schoettl, conseiller d’État honoraire, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel (de 1997 à 2000). 19 août 2022
[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Jean-Eric Schoettl, La Démocratie au péril des prétoires. De l’État de droit au gouvernement des juges, éd. Gallimard, coll. Le Débat, mars 2022, 256 p., 18,00 €.
"[...] Entre souci des droits individuels et considérations de sécurité publique, le juge, comme le législateur, doivent alors accepter de modifier la « pesée » qu’une démocratie pratique par temps calme. Une atteinte profonde et prolongée à la cohésion nationale commande plus que des états d’urgence temporaires : elle appelle un déplacement net et durable du curseur. La République ne peut épuiser ses énergies et se diviser contre elle-même à chaque affaire de fermeture de mosquée intégriste, de dissolution d’association salafiste, d’effacement de contenus en ligne djihadistes ou d’expulsion d’imam frériste. Elle doit, pour son salut, passer à la vitesse supérieure.
Le juge causerait un grand dommage à la nation s’il faisait prévaloir les droits des fanatiques (expression, association, droits de la défense, vie privée …) sur le droit indivis de l’ensemble de nos concitoyens à vivre dans une société libre et sûre. Or telle est la tentation que reflètent les hésitations, les crispations, les contradictions et les volte-face de nos cours. Nous n’en donnerons que quatre exemples.
Le 18 juin 2020 le Conseil constitutionnel censurait les dispositions de la loi « visant à lutter contre les contenus haineux sur internet », dite loi Avia, qui permettaient à l’autorité administrative, lorsque les nécessités de la lutte contre la provocation à des actes terroristes ou l’apologie de tels actes le justifiaient, de demander aux hébergeurs ou éditeurs de services en ligne de retirer ces contenus dans l’heure. [...]
Le Conseil constitutionnel n’en vient pas moins de juger conformes à la Constitution des dispositions très semblables à celles censurées en 2020. Le 13 août 2022, il s’est en effet prononcé, sur recours de députés de la Nupes, sur une loi relative à la prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne. [...]
Le deuxième exemple est emprunté à un domaine crucial pour notre sécurité collective, tant nationale qu’européenne : la conservation et l’utilisation des données des communications électroniques aux fins de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée ou de contre-espionnage. L’arrêt de la Cour de justice de l’union européenne du 8 avril 2014 « Digital Rights », suivi des arrêts « Quadrature du Net » et « Privacy International » du 6 octobre 2020, imposent des conditions restrictives incapacitantes pour la sécurité des États. La Cour de cassation en a tiré aveuglément les conséquences le 12 juillet 2022 en privant les magistrats du parquet du pouvoir de recourir, dans les enquêtes, aux données de téléphonie mobile, aux « fadettes », aux SMS et à la géolocalisation des suspects.
Troisième exemple : le 23 juin 2022, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) condamne la France parce que ses tribunaux ont prononcé à l’encontre de Jean-Marc Rouillan une peine de dix-huit mois de prison, dont huit ferme (sous bracelet électronique), pour apologie du terrorisme. [...]
Quatrième exemple : le 5 août dernier, le tribunal administratif de Paris suspend l’arrêté d’expulsion du prédicateur islamiste Hassan Iquioussen au motif que ses propos (pourtant talibanesques) sur la condition de la femme ne justifient pas que soit portée à sa vie privée et familiale l’atteinte « disproportionnée » qui résulterait de l’exécution de cet arrêté. Que jugera le Conseil d’État en appel ?
La démocratie aurait-elle plus à craindre des mesures prises contre les fanatiques que du fanatisme lui-même ? Nos juridictions nationales et européennes, au diapason de toute une bien-pensance, semblent habitées par ce doute. [...]"
Lire "Jean-Éric Schoettl : « Face au fanatisme, l’État de droit ne doit plus tergiverser »".
Voir aussi dans la Revue de presse J.-É. Schoettl : « L’emprise du juge sur la démocratie est réelle » (marianne.net , 18 avril 22), J.-É. Schoettl : « Du caprice du prince au caprice du juge » (lefigaro.fr , 22 mars 22), J.-É. Schoettl : « Pour résister aux attaques contre la laïcité, une révision constitutionnelle s’impose » (Le Figaro, 7 fév. 20), Marcel Gauchet : « Remettre à sa juste place l’État de droit par rapport à la souveraineté populaire » (lefigaro.fr , 25 oct. 20), M. Gauchet : "Les droits de l’homme ne sont pas une politique" (Le Débat, juillet-août 1980), J.-É. Schoettl : Lutter contre l’islamisme impose une révision de la Constitution et une renégociation de nos engagements internationaux (Le Figaro, 22 oct. 20) , A.-M. Le Pourhiet : "Soumission à la Cour de cassation" (Causeur, nov. 18),
J.-M. Sauvé : Le Conseil d’Etat "adapte" la Loi de 1905 (6 déc. 16), "Crèches de Noël et laïcité : le détricotage de la loi de 1905 continue…" (B. Bertrand, F. Braize et J. Petrilli, marianne.net , 5 déc. 16), "Le Conseil d’Etat ouvre une nouvelle brèche dans la loi de 1905" (B. Bertrand, F. Braize et J. Petrilli, marianne.net , 25 av. 16), "Laïcité : que reste-t-il de la loi de 1905 ?" (F. Braize et J. Petrilli, slate.fr , 21 nov. 13),
dans les Initiatives proches Res Publica Jean-Éric Schoettl : "La notion européenne d’Etat de droit et les souverainetés nationales" (Res Publica, 21 nov. 22) (note du CLR).
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