Revue de presse

J.-É. Schoettl : « Du caprice du prince au caprice du juge » (lefigaro.fr , 22 mars 22)

Jean-Éric Schoettl, conseiller d’Etat honoraire, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel. 15 avril 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Jean-Eric Schoettl, La Démocratie au péril des prétoires. De l’État de droit au gouvernement des juges, éd. Gallimard, coll. Le Débat, mars 2022, 256 p., 18,00 €.

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"Il fut un temps, pas si lointain (je l’ai connu en qualité d’auditeur lorsque je suis entré au Conseil d’État en 1979), où la loi trônait en majesté au sommet de l’édifice juridique.

La loi fixait les règles ou les principes fondamentaux, selon les cas prévus à l’article 34 de la Constitution de 1958 ; le décret en déterminait les modalités d’application ; le juge interprétait la loi dans le strict respect de l’intention du législateur, telle qu’elle se dégageait des travaux parlementaires ; la loi postérieure au traité faisait écran à ce dernier, du moins aux yeux du juge administratif.

Tout cet édifice s’est retrouvé cul par-dessus tête au terme d’une évolution insidieuse, mais irrésistible, couvrant un demi-siècle. Cette évolution conjugue divers phénomènes : la primauté du droit international et européen ; l’expansion des droits fondamentaux, qui déborde, notamment du côté sociétal, ce que l’on nommait pompeusement dans les années 1980 « la troisième génération des droits de l’homme » ; la montée en puissance du pouvoir juridictionnel ; des révisions constitutionnelles contraignant toujours davantage les représentants de la nation. Ces phénomènes sont liés et se renforcent mutuellement (…).

La loi promulguée n’est plus une valeur sûre. Elle est devenue un énoncé précaire et révocable, grevé de la double hypothèque du droit européen et - surtout avec la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) - du droit constitutionnel. Elle n’exprime plus une volonté générale durable, mais une règle du jeu provisoire, perpétuellement discutable, continuellement à la merci d’une habileté contentieuse placée au service d’intérêts ou de passions privés.

L’intensité du contrôle (du juge administratif) s’est accrue. Nous sommes passés, en matière de conciliation entre libertés et intérêt général, de la vérification qu’il n’y avait pas d’« erreur manifeste d’appréciation » à un examen pointilleux de l’adaptation, de la nécessité et de la proportionnalité de la mesure contestée.

Le juge administratif substitue ainsi son appréciation à celle du pouvoir réglementaire. En témoigne l’ordonnance de référé du Conseil d’État du 22 juin 2021 sur l’assurance-chômage, à rapprocher de sa décision « Commune de Grande-Synthe » du 1er juillet 2021 sur les émissions de gaz à effet de serre. Dans la première affaire, il enjoint au gouvernement de ralentir la mise à exécution d’une mesure. Dans la seconde - « L’affaire du siècle » -, il lui ordonne de hâter le pas. Dans les deux cas, le juge détermine le rythme des réformes.

Le Conseil constitutionnel agit depuis longtemps de même avec le législateur. [...]

Nous assistons à un chassé-croisé des égards codifiés par le droit : toujours plus pour ce qui différencie, toujours moins pour ce qui unit. Le politiquement correct inverse la hiérarchie des ordres voulue par l’universalisme républicain. Celui-ci faisait régner l’égalité des droits dans la sphère publique (et proscrivait donc toute autre distinction que celle des vertus et des talents) et laissait les particularités héritées (sexe, religion, langue et culture) s’exprimer librement dans la sphère privée. L’air du temps exacerbe, au contraire, la prise en compte des singularités natives (sexe, religion, handicap, origines, etc.) dans la sphère publique et les nie dans la sphère privée (pour le sexe avec la théorie du genre, mais aussi pour les autres « singularités natives » qu’il tient pour contingentes et reconfigurables selon les « ressentis » individuels).

L’engouement pour les droits fondamentaux, pavé des meilleures intentions humanistes, évince toujours davantage l’intérêt général, les valeurs collectives et les devoirs de chacun au profit de prétentions individuelles et catégorielles."

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