Jacques Schellhorn, membre du Conseil d’administration du CLR. 25 avril 2021
[Les tribunes libres sont sélectionnées à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
Cette organisation politique, éducative et religieuse a été fondée en Turquie en 1969 par un ancien premier ministre turc, Necmettin Erbakan. Ce dernier fut membre du Parti de la justice puis d’autres mouvements par la suite et exerça comme chef de gouvernement en 1996-97. Il fut poussé à la démission par les militaires turcs. En effet, Erbakan est connu pour ses discours religieux violents contre la Laïcité du fondateur de la République, Mustapha Kemal Atatürk. Il sera interdit d’activité politique pour haine raciale et religieuse. En 1991, à Ludwigsburg, il tient un discours aux accents djihadistes qui a fait scandale : « Les Européens sont malades… Nous leur donnerons les médicaments. L’Europe entière deviendra islamique. Nous conquerrons Rome. »
L’organisation Milli Görus, en français « vision nationale », s’est développée en Europe occidentale au sein des communautés turcophones expatriées. Le siège européen est situé à Cologne en Allemagne (plus de 500 mosquées). Les Turcs et turcophones seraient plus de dix millions dont 2,5 millions en Allemagne, 600000 en France et autant dans les trois pays du Benelux. D’importantes communautés résident dans le reste de l’Union européenne (Bulgarie, Autriche, Grèce, Chypre du Nord… et Grande Bretagne). Ces communautés turques, turcophones (Azerbaïdjan) sont des instruments au service du panturquisme néo-ottoman sous couvert de religion, d’œuvres éducatives et caritatives.
En France, la CIMG gère plus de 70 mosquées très souvent associées avec une école coranique hors contrat dont les élèves apprennent la langue turque et la loi islamique incompatible avec les lois et les valeurs de la République française. Dans ces mosquées, le prédicateur du vendredi est un imam turc ne parlant pas la plupart du temps le français, détaché par le ministère turc des Cultes à travers le département du Diyanet. Les principaux lieux cultuels sont à Creil, Sevran, Sarcelles, Mantes la jolie, Poissy-Vernouillet, Clichy sous-Bois, Fontenay sous-Bois, Ris-Orangis, Mulhouse, Corbeil-Essonnes…
Milli Görüs est membre du Conseil français du culte musulman. L’organisation a obtenu en janvier 2020 le poste hautement stratégique de secrétaire général du CFCM pour son président, Fatih Sarakir. Cela lui permet de promouvoir un islam identitaire turc anti-occidental proche du président Erdogan et du mouvement rigoriste des Frères musulmans. On le voit au sein des instances du CFCM où Milli Görüs tente d’imposer un « Islam turc », vieux souvenir du Califat ottoman de Constantinople...
Pratiquant une politique d’« entrisme » dans les collectivités territoriales et les institutions de la République, Milli Görüs profite des failles juridiques des lois de 1901 sur les associations, de 1905 sur la Laïcité, du Concordat de 1801 en Alsace-Moselle, mais aussi de la faiblesse des élus locaux lors des élections… Il est bon de rappeler que cette organisation a refusé de signer en janvier la Charte des principes de l’Islam en France, certes dépourvue de valeur juridique, mais hautement significatif d’un rapport à l’idéologie d’Ergodan.
Voir à titre d’exemple, l’affaire de la grande mosquée « Annour » de Mulhouse inaugurée en présence du président du Sénat, Gérard Larcher, du maire, Jean Rottner, actuel président de région, et de l’ancien ambassadeur de Turquie en France, Tahsin Burcuoglu, connu pour son opposition virulente au vote par le Parlement de la reconnaissance du génocide arménien de 1915.
Milli Görüs s’appuie sur le soutien politique du gouvernement d’Ankara et d’un réseau d’avocats qui n’hésitent pas à aller en procédure administrative jusqu’au Conseil d’Etat. Elle apporte un encadrement des communautés turques en France à Erdogan qui en a bien besoin lors des élections pour se faire réélire.
Dérives identitaires de Milli Görüs
Nombreuses depuis la présence de cette organisation en France, nous en retiendrons les plus récentes, à savoir la construction de la mosquée « Eyyub Sultan » de Strasbourg, la création d’une école islamique à Albertville en Haute Savoie et la mise hors la Loi du « Collectif des Loups gris » en France.
Les Loups gris « Foyers idéalistes » forment la branche jeunesse et le bras armé du mouvement nationaliste turc d’ultra droite MHP, soutien politique au Gouvernement d’Ergodan et proche de Milli Görüs. Ce mouvement prendra dans les années 1960 le loup comme symbole mythologique d’origine mongole. Les Loups gris sont connus à travers le monde par leurs actions violentes comme les massacres en Turquie de personnalités et de citoyens, l’attentat contre le Pape commandité par les Soviétiques, la participation aux guerres de Syrie et du Karabakh, les pogroms contre des Arméniens, des Kurdes, des Juifs, des Alévis, des Grecs…
Ils développent une idéologie panturque nationaliste, fascisante et anti-occidentale. En France, leur collectif « de fait » a été dissout sur proposition du ministre de l’Intérieur fin 2019, suite à des violences dans des villes de province contre des Arméniens. Pour autant, on peut penser que ces « Loups gris » continueront ces exactions violentes sur le territoire national.
L’école Milli Görüs d’Albertville en Haute Savoie. Cette charmante sous-préfecture de quelques 20000 habitants fait l’objet d’une lutte d’influence entre Milli Görüs qui veut implanter une école confessionnelle turque sunnite et la mairie qui ne veut pas, quant à elle, laisser se créer un foyer musulman non intégré au reste de la commune et au sein d’un quartier de 3000 habitants. Le projet Milli Görüs prévoit la création d’une école hors contrat de 16 classes rassemblant environ 400 élèves. Car la crainte des responsables de Milli Görüs est de voir la jeunesse turcophone s’assimiler aux valeurs républicaines…
Pour alerter l’opinion publique, le maire d’Albertville, Frédérique Burnier-Framboret, publia une chronique en forme de plaidoyer expliquant pourquoi il allait être obligé d’autoriser la construction de cette école hors contrat musulmane, ayant perdu la requête devant le tribunal administratif de Grenoble. Ce texte fut l’effet d’une bombe dans l’opinion publique.
Or, sur l’ensemble d’Albertville, il y a quelques 1200 enfants scolarisés. La création de cette école, hors des valeurs de la République, conduirait inéluctablement à la fermeture de classes dans les écoles publiques et à la non-intégration d’une partie des enfants de cette commune avec en final une « enclave turque » sur le territoire communal. La Municipalité et les collectivités locales financent de nombreuses actions pour le renouvellement de ce quartier, comme l’indique le Maire dans sa tribune, ayant pour orientation : la jeunesse, la lutte contre les discriminations, l’égalité femme-homme, la citoyenneté et les valeurs de la République.
En final, et dans l’urgence, sur proposition du Gouvernement, un amendement fut ajouté au projet de Loi dit du « séparatisme » en cours de discussion au Parlement. Ce texte permettra aux préfets de s’opposer à l’ouverture d’établissements scolaires hors contrat et témoignant d’une tentative d’ingérence étrangère. Suffira -t-il ?
L’école publique laïque et républicaine, comme le rappelle la déclaration de principe du CLR, doit pouvoir accueillir, instruire, faire vivre ensemble tous les enfants de toutes les origines sociales, ethniques ou confessionnelles… A l’opposé du projet idéologique de Milli Görüs et de ses soutiens d’Ankara.
La « grande mosquée « Eyyub Sultan » en construction à Strasbourg est le meilleur exemple d’ingérence étrangère et de faille dans les Lois républicaines issues du traité de Frankfort de 1871. En accordant une subvention à Milli Görüs permettant la poursuite de construire ce lieu cultuel turcophone, la municipalité strasbourgeoise à dominante écologique finançait indiscutablement une ingérence étrangère.
Milli Görüs a su se faufiler entre le droit local alsacien issu du Concordat de 1801, la Loi de 1905 sur la Laïcité non applicable sur ce territoire, et la tolérance vis-à-vis des religions non reconnues par le Concordat et ses aménagements ultérieurs (islam, bouddhisme…).
Dans une précédente chronique, il avait été indiqué tout le mal que l’on peut penser d’un fait qui permet à ce que les Lois républicaines sont inapplicables au cas alsacien. Cette mosquée en construction bénéficie en outre à Strasbourg d’un précédent avec la construction d’une autre « grande mosquée » inaugurée en 2004 qui fut également financée par des Etats étrangers, l’Arabie Saoudite et le Maroc.
On voyait donc Milli Görüs construire une mosquée financée en partie par une municipalité (2,5 millions € sur une trentaine), alors que cette organisation qui promeut l’Islam politique n’avait pas signé « la Charte », pourtant un des piliers de la lutte contre le séparatisme. Le ministre de l’Intérieur et des Cultes, Gérald Darmanin, reprochait à la municipalité de Strasbourg de financer une mosquée soutenue par une organisation défendant l’Islam politique sur le sol français.
Il faut se souvenir que lors de la pose de la première pierre en 2017, le vice-premier ministre turc, Bekir Bozdag, a fait le déplacement. Un long discours retransmis par une chaîne de télévision turque, sans traducteur. Le ton est donné ! On passait d’un fait religieux à un évènement politique…
Il a fallu que la préfecture du Bas-Rhin saisisse le tribunal administratif de Strasbourg et, face au tollé général, pour que Milli Görus préfère retirer sa demande de subvention permettant à la maire, Mme Barseghian, descendante d’une famille d’Arméniens de Constantinople massacrée en avril 1915, de prendre acte du retrait. Le devenir de la construction de cette mosquée turque reste en suspens. Milli Görüs a dans ses cartons le projet d’une autre grande mosquée à Mulhouse…
Comme l’indique le Collectif Laïque National, c’est bien au statut des cultes en Alsace et en Moselle qu’il faut mettre fin par l’application sans réserve de la Loi de 1905.
Devenir de Milli Görüs en France
Dans le futur, en réaction à la position constante de Milli Görüs se mettant au ban de la République, il sera nécessaire d’entamer un processus de dissolution et de couper en priorité ses liens financiers étrangers. Les preuves de son incompatibilité avec les lois, principes et valeurs républicains ne sont plus à démontrer.
Contraire à l’humanisme universaliste qui pose en droit absolu les libertés de conscience et d’opinion, la Confédération islamique Milli Görüs ne peut continuer ses actions identitaires en France.
Jacques Schellhorn
Voir aussi la Tribune libre Appliquer la Loi laïque sur l’ensemble des territoires de la République (J. Schellhorn), les contributions Mosquée de Strasbourg : derrière le retrait de la demande de subvention (M. Bouchaud), Le Concordat n’est pas une chance (M. Seelig, 11 av. 21), Mosquée de Strasbourg, la réalité juridique (M. Seelig, 25 mars 21), les communiqués du CLR Ecole hors contrat d’Albertville : la République doit légiférer contre les menées séparatistes (CLR, 12 avril 21) , Financement public d’une mosquée intégriste à Strasbourg : il faut en finir avec le régime dérogatoire d’Alsace-Moselle ! (CLR, 24 mars 21), du CLR Touraine Il est temps d’en finir avec les statuts particuliers des cultes en appliquant partout la Loi de 1905 ! (CLR Touraine, 27 mars 21), du Collectif laïque national Mosquée de Strasbourg : "C’est au statut des cultes en Alsace et Moselle qu’il faut mettre fin" (Collectif laïque national, 7 av. 21), le Document Sondage "Le concordat et le financement des lieux de culte en Alsace-Moselle" (Ifop pour le GODF, 2 av. 21) , dans les Initiatives proches GODF "Sondage IFOP sur la position des Français envers le Concordat commandé par le Grand Orient De France" (GODF, 6 av. 21) ,
dans la Revue de presse « Comment je suis obligé d’autoriser la construction d’une école islamiste turque » (lefigaro.fr , 8 av. 21) dans Ecoles privées hors contrat ; les rubriques Alsace-Moselle et Strasbourg dans Séparation ; La Turquie d’Erdogan en France dans Turquie ; Loi "Principes de la République" : "Conseil des imams" et "Charte des valeurs" dans Loi "Principes de la République" (2020-21) (note du CLR).
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