Revue de presse

"Universités américaines : zones de langage surveillé" (Le Monde, 1er déc. 18)

6 décembre 2018

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Inventé pour décrire les marques conscientes ou inconscientes de dénigrement racial, le terme « microagression » a essaimé aux Etats-Unis. Au détriment de la liberté d’expression ?

Un mot nouveau a fait son apparition aux Etats-Unis : « microagression ». Il est particulièrement populaire sur les campus, alimentant encore le débat sur la considération à accorder à chacun, la politique de l’identité et la liberté d’expression. Il qualifie les blessures subtiles qui affectent les individus exposés à une forme de dévalorisation par l’intermédiaire du langage. Des phénomènes indissociables de la vie en société mais qui ­atteignent particulièrement les minorités en les renvoyant à leur altérité.

Le terme a été forgé dans les années 1970 par le professeur de psychiatrie Chester Pierce, de la faculté de médecine d’Harvard, pour qualifier le dénigrement racial qui, à long terme, menace la santé des individus. Il a été développé à partir de 2007 par le psychologue Derald Wing Sue, de l’université Columbia, à New York. Dans un livre publié en 2010, Microaggressions in Everyday Life. Race, Gender, and Sexual Orientation (John Wiley & Sons), le chercheur définit ainsi les microagressions : des insultes ou attitudes « intentionnelles ou non » qui « communiquent des messages hostiles ou méprisants ­ciblant des personnes sur la seule base de leur appartenance à un groupe marginalisé ».

Le phénomène n’était pas nouveau, mais le fait de lui donner un nom a « fait résonner une corde », explique Yolanda Flores Niemann, ­directrice du département de psychologie de l’université du Texas du Nord. « Cela nous a donné un langage commun pour qualifier ces expériences dont nous nous sommes rendu compte que nous les avions en commun. » ­Depuis, les « microagressions » sont partout : colloques, tribunes de presse et bien sûr ­amphis, plébiscitées par les étudiants issus de minorités et tous ceux qui contestent la domination des « mâles blancs » dans l’enseignement supérieur.

Comment détecter une microagression ? La professeure Flores Niemann, qui étudie ­depuis trente-cinq ans les liens entre « race et psychologie » aux Etats-Unis, a interrogé ses étudiants en 2017. De leurs témoignages, elle a fait un clip vidéo posté sur YouTube. Il ­fournit des exemples des trois catégories de microagressions définies par Derald Wing Sue : microassauts, micro-insultes et micro-invalidations. [...]

Les "micro-invalidations" se définissent, elles, comme des commentaires ou actions qui considèrent comme quantité négligeable l’"expérience de groupe historiquement désavantagés", explique Mme Flores Niemann. Affirmer par exemple que la notion de "privilège blanc" n’existe pas. Ou se proclamer "colorblind" : aveugle à la couleur des individus, ce qui dénie la prise en compte de leur entière personnalité. […]

Autres exemples de microagressions […] "L’Amérique est une terre d’opportunités" […] "Vous êtes d’où ?" […] "La personne la plus qualifiée devrait être recrutée pour ce job." C’est souvent un langage codé utilisé par ceux qui s’opposent à l’affirmative action ("discrimination positive"). […]

A l’université Stanford, le diplômé de philosophie Praveen Shanbhag a créé une plate-forme appelée NameCoach : chacun peut y enregistrer la prononciation de son nom (et préciser le genre à employer quand on s’adresse à lui). Les professeurs sont appelés à s’y référer pour éviter de heurter les sensibilités. Une centaine d’universités l’ont adoptée. […]

Interroger un étudiant noir devant toute la classe pour obtenir la "perspective afro-américaine" est vécu par l’intéressé comme une négation de sa singularité. [1]. […]

A l’université Rutgers (New Jersey), certains ont demandé une mise en garde contre Gatsby le magnifique, au motif que le livre de Fitzgerald contient des scènes de misogynie et de violence domestique qui pourraient réveiller els mauvais souvenirs. […]"

Lire "Sur les campus américains, la dénonciation des « microagressions » racistes fait débat".

Bradley Campbell, sociologue, auteur de The Rise of Victimhood Culture : Microaggressions, Safe Spaces, and the New Culture Wars (Palgrave Macmillan) :
"[…] Si on veut réduire les conflits entre les gens, ça n’est pas la bonne approche. En insistant sur les microagressions, vous encouragez les gens à s’offusquer de choses mineures, à magnifier leurs expériences, à interpréter les intentions des autres de la manière la plus négative. […]"

Lire "Bradley Campbell : « On ne perd pas sa dignité du seul fait d’être insulté »"

[1En même temps il ne faut pas être "colorblind" : aveugle à la couleur des individus... (note du CLR).




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