Greg Lukianoff, avocat. 18 octobre 2018
[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"[...] Les « triggers warnings » (messages préventifs) sont des avertissements courts (généralement verbaux, parfois écrits) que les professeurs peuvent placer avant de traiter des sujets dans leurs cours que les étudiants pourraient trouver « déclencheurs » - en d’autres termes, des mots évoquant un épisode psychologique fort et négatif basé sur un événement traumatisant antérieur. L’exemple classique pourrait consister à dire « attention à toute la classe : je suis sur le point de discuter de questions relatives à l’agression sexuelle et au viol ». Par exemple, l’Oberlin Collège avait un règlement (aboli depuis) incluant une liste de sujets potentiellement « déclencheurs » : « racisme, classisme, sexisme ; heterosexisme, cissexisme, capacitisme et autres questions de privilèges et d’oppression ». Les professeurs étaient censés éliminer les discussions qui pourraient toucher à ces sujets, à moins qu’ils ne contribuent directement aux objectifs du cours et en ce cas à formuler des messages préventifs. Exemple : Le monde s’effondre, du romancier nigérian Chiunua Achebe, devait être précédé de mises en garde contre le racisme, le colonialisme, la persécution religieuse, la violence, le suicide, etc. Oberlin est une faculté d’humanités. Quelle discipline des sciences humaines un professeur peut-il explorer de manière significative tout en essayant d’éviter les discussions fortuites sur la race, la classe et le sexe ?
Les « microaggressions » sont de petits affronts, souvent non voulus, considérés comme racistes, sexistes ou encore sectaires. Personnellement, j’ai un grand intérêt pour les microagressions et leur étude, car j’estime que c’est un excellent moyen de comprendre comment nous pouvons inconsciemment inciter les gens à se sentir exclus et insultés. Mais dès lors que ces microagressions deviennent une partie intégrante des politiques, cela devient un peu étrange. Par exemple, l’Université de Californie à Irvine a publié un document sur la « reconnaissance des microagressions » invitant les gens à éviter de nombreuses déclarations que la plupart des Américains considéreraient probablement comme banales, voire mêmes flatteuses. Par exemple, dire à quelqu’un « vous parlez très bien l’anglais » est une microagression, car elle suggère que la personne ne serait peut-être pas des États-Unis, et par conséquent, pas un « vrai Américain ». Parler de l’Amérique comme un « melting pot » - une expression signifiant célébrer que n’importe qui peut devenir Américain par choix- est une microagression contre des personnes qui ne veulent pas s’assimiler à la culture américaine. Ou encore qualifier l’Amérique de « pays d’opportunités » est une microagression contre des personnes confrontées au racisme, au sexisme ou à d’autres obstacles au succès.
Quels sont les effets de cette culture sur les jeunes américains ?
Et bien déjà, cette culture nuit à la santé mentale des jeunes. Une étude publiée cette semaine a montré qu’en 2017, la dépression avait augmenté au cours des trois dernières années et que le pourcentage de jeunes adultes ayant de sérieuses idées de suicide était passé de 6,8% en 2008 à 10,5% l’an dernier. Entre 2009 et 2015, la demande de services de santé mentale sur le campus a augmenté cinq fois plus rapidement que le nombre d’inscriptions. Cette culture rend également les étudiants et les professeurs plus réticents à parler en classe et en dehors de la classe. En 2017, notre propre enquête a montré que, alors que 30% des étudiants avaient peur de s’exprimer en classe parce que leurs idées pouvaient être considérées comme offensantes, 29% avaient peur de s’exprimer sur le campus en dehors des cours car leurs idées étaient peut-être politiquement incorrectes. Le fait que les étudiants aient peur de dire quelque chose à la cafétéria ou dans leur dortoir est troublant, car le collège est l’endroit où nous sommes censés apprendre les uns des autres. [...]
Le genre positif est ce que nous appelons une politique identitaire de l’humanité commune, qui met l’accent sur notre humanité commune globale tout en attirant l’attention sur la manière dont un groupe particulier de cette catégorie se voit privé de la dignité et des droits auxquels nous avons tous droit. Le révérend Martin Luther King Jr. est le plus célèbre pratiquant de politique d’identité commune. Personnage de premier plan du mouvement des droits civils, il n’a jamais cessé de revendiquer les droits reconnus aux Afro-Américains par le droit civil et le droit naturel. Il l’a fait en qualifiant les gens de toutes les races de « frères » et de « sœurs », nous rassemblant dans une même famille. La famille était quelque chose que nous avions tous en commun, peu importe la race, et nous avons compris, implicitement, que nous ne pouvions pas laisser de mauvaises choses arriver à nos frères et sœurs. Le genre négatif, c’est celui de la politique identitaire de l’ennemi commun. C’est ce qui tente de nous diviser en tribus. Quand quelqu’un dit « vous ne comprenez pas mon expérience car vous ne faites pas partie de mon groupe, et donc, je ne vous écoute pas », il fait l’inverse de que Martin Luther King pratiquait."
Lire "« Le droit de ne pas être offensé », la nouvelle censure qui sévit sur les campus américains"
Lire aussi "Politiquement correct : la grande contagion" (J. Waintraub, Le Figaro Magazine, 12 oct. 18), Le Figaro Magazine : "Politiquement correct, stop !" (12-13 oct. 18), A. Carré : "Une « culture du viol » chez les chiens ? La gauche identitaire au piège de ses propres obsessions" (lefigaro.fr/vox , 8 oct. 18), L’ "intersectionnalité", un racisme inversé (K. Mersch) (note du CLR).
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