1er décembre 2014
"Le monde actuel est compliqué ? Plutôt que de reconnaître sa singularité, certains essaient de faire de notre époque un pur décalque des années 30. Et qu’importe les simplismes et les anachronismes. Pour ceux-là, la crise économique de 2008 c’est 1929, l’annexion de la Crimée c’est Munich, l’affaire Bygmalion c’est l’affaire Stavisky, "Valeurs actuelles" c’est "Gringoire", les JO de Sotchi en 2014 ceux de 1936 à Berlin...
A force d’être des réflexes, puis des rengaines, cela devient des livres. Le « retour des années 30 » est un refrain de librairie avec les ouvrages de Claude Askolovitch, Pascal Blanchard, Renaud Dély, Yvan Gastaut, Les années 30 sont de retour. Petite leçon d’histoire pour comprendre les crises du présent (Flammarion) et de Philippe Corcuff, Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard (Textuel).
Les couplets ? La crise économique de 2008 c’est 1929, l’annexion de la Crimée c’est Munich, l’affaire Bygmalion c’est l’affaire Stavisky, Valeurs actuelles c’est Gringoire, les Jeux olympiques de Sotchi de 2014 ont réédité ceux de 1936 à Berlin, le « populisme » est une réincarnation du fascisme, etc.
Cette vulgate journalistique, peinturlurée sur des kilomètres d’éditoriaux politiques est connue. Peut-être même devient-elle trop banale, alors les assimilateurs augmentent la dose d’anachronisme comme Monsieur Plus la dose de chocolat dans les confiseries Bahlsen.
Le Printemps français qui a fait défiler curés et enfants en poussette ? A rapprocher des cadavres de l’émeute liguarde du 6 février 1934.
L’« islamophobie » dont Elisabeth Badinter est présentée comme une pionnière ? Assimilé à l’anti-communisme qui a conduit à l’engagement nazi dans la Légion des volontaires français.
A ce rythme, Corcuff se retrouve vite à faire un « parallèle » entre Maurras et Finkielkraut : « Charles Maurras, père de l’Action française, pole d’extrême droite et d’antisémitisme dans les années 30, est élu à l’Académie française en 1938 dans un contexte antisémite. En 2014, Alain Finkielkraut est élu à l’Académie française dans un contexte islamophobe alors qu’il joue avec le feu sur des thèmes islamophobes ».
De son œil exercé, Laurent Joffrin a d’ailleurs diagnostiqué dans l’indignation du philosophe une confirmation de la qualité du livre le dénonçant : « Ce livre énerve Alain Finkielkraut : il ne peut pas être entièrement mauvais ». La dialectique se renforce comme on disait plus récemment que dans les années 30…
Une fuite... en arrière !
Cette nouvelle mode intellectuelle trahit en fait une panique morale face au monde nouveau et à ses dilemmes.
La réalité actuelle n’a rien de commun avec l’Europe des années 30. Face à la mondialisation financière, technologique (internet), culturelle, face au retour des nations à l’Est après la glaciation communiste, face aux convulsions musulmanes qui se réveillent après la parenthèse coloniale, face aux enjeux écologiques vertigineux, les catéchistes ont de quoi être désarmés.
L’Histoire longue se remet en marche. D’où cette nostalgie pour le théâtre européen des années 30 : tout y est simple comme les slogans gauchistes qui ont baigné la jeunesse de nos auteurs. Perdus, ils préfèrent se plonger dans ce passée révolu pour s’y donner rétrospectivement le beau rôle plutôt que d’affronter ce monde qui bouge.
La nouveauté est de voir des universitaires s’associer à cette réaction simpliste sans plus guère se soucier de la moindre rigueur. Ainsi, Philippe Corcuff, à propos de la notion, développée par Laurent Bouvet, d’« insécurité culturelle » ressentie du fait de la remise en cause du modèle républicain par la promotion de cultures contradictoires, explique qu’elle a des « relents xénophobes », et que Bouvet est « à la gauche du PS » ce qui, précise-t-il, pourrait être « une autre forme de droite ». Un sujet de thèse ?
Un autre n’hésite par à recourir aux élucubrations d’Olivier Le Cour-Grandmaison sur l’action exterminatrice du colonialisme que le grand Pierre Vidal-Naquet avait qualifié d’« entreprise idéologique frauduleuse » en se demandant : « Un sottisier peut-il tenir lieu d’œuvre de réflexion et de synthèse historique ? ». Mais oui, c’est pratique, un sottisier quand l’Histoire consiste à faire rimer des dates. « Moins les gens connaissent l’Histoire, plus il y trouvent de références. Le recours à l’analogie est le propre de ceux qui savent peu », raillait un autre grand historien, Joseph Rovan.
Ce « retour historique » est donc tout le contraire de l’amour pour l’Histoire. Le passé n’y est pas respecté mais sert à y piller des anachronismes à la chaîne. Et quand les bornes de l’anachronisme sont franchies il n’y a plus de limites. Ainsi, à propos de la Manif pour tous, ils n’hésitent pas à citer Adam Rayski, selon lequel elle « signe le retour des années 30 ». Peu leur importe que le grand résistant - chef de la MOI, la résistance juive au sein des FTP - devenu historien soit mort en… 2008 !"
Lire "Paniqués, ils voient tout dans le rétroviseur des années 30".
Lire aussi L’extrême droite, sources et symptômes (Ph. Foussier), A. Finkielkraut : « L’analogie avec les années 1930 prétend nous éclairer : elle nous aveugle » (Le Figaro, 13 oct. 14), A. Finkielkraut : "Ce qui m’est le plus vivement reproché, c’est mon refus opiniâtre de l’analogie avec les années 1930" (atlantico.fr, 24 nov. 13), Laurent Bouvet : "Comment la gauche gérera-t-elle l’insécurité culturelle révélée par le vote Marine Le Pen ?" (Le Monde, 25 avril 12), L. Bouvet : « Le vote Le Pen témoigne aussi de l’insécurité culturelle » (marianne.net , 26 av. 12) (note du CLR).
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