Note de lecture

L’extrême droite, sources et symptômes (Ph. Foussier)

par Philippe Foussier 13 novembre 2014

Serge Berstein & Michel Winock (dir.), Fascisme français ?, CNRS, 254 p., 20 €
Jean-Loup Amselle, Les nouveaux rouges-bruns. Le racisme qui vient, Lignes, 120 p., 14 €
Joseph Macé-Scaron, La Panique identitaire, Grasset, 140 p., 14 €
Etienne Pataut, La Nationalité en déclin, Odile Jacob, 110 p., 14,90 €
Agone n° 54, Les Beaux quartiers de l’extrême droite, 210 p., 20 €
Pierre-André Taguieff, Du diable en politique. Réflexions sur l’anti-lepénisme ordinaire, CNRS, 392 p., 22 €

Plusieurs publications récentes interrogent de manière directe ou indirecte les origines et la manifestation des idées d’extrême droite en France.

Concernant les origines, une dizaine d’historiens proposent un ouvrage collectif dans lequel ils répondent à leur collègue Zeev Sternhell. Depuis une quarantaine d’années, l’historien israélien attribue en effet à la France le fait d’avoir été le « laboratoire du fascisme avant d’en être la plus pure réalisation avec le régime de Vichy ». Il étaie son propos avec rigueur et détermination depuis son Maurice Barrès et le nationalisme français paru en 1972. On peut ou pas partager ses thèses mais elles sont sérieuses et argumentées. Et Sternhell s’agace de la manière dont les historiens français -peut-être aussi par réflexe cocardier ?- réfutent cette triste caractéristique dont leur pays porterait la tâche.

Une polémique est née et s’enflamme dans ce livre où des historiens célèbres comme Serge Berstein, Michel Winock, Jean-Pierre Azema, Jean-Noël Jeanneney, Jacques Julliard, Alain-Gérard Slama ou Paul Thibaud - on le voit, gauche et droite confondues- se mettent à dix avec quelques renforts étrangers pour faire bonne figure pour exécuter Sternhell et détruire le mythe des « origines françaises du fascisme ». Il y a dans le ton de certains d’entre eux une outrance répétitive et inélégante qui finit par nuire à leur propos. Sternell, auteur d’un indispensable Les anti-Lumières (Fayard, 2006) mérite mieux que ce traitement, quoi qu’on pense de ses analyses.

Autre ouvrage qui laisse également perplexe, celui que propose l’anthropologue Jean-Loup Amselle avec Les nouveaux rouges-bruns. Le racisme qui vient. On suit l’auteur lorsqu‘il exprime sa « frayeur face à toutes les tentatives de ré-enracinement et d’autochtonisation en oeuvre actuellement », qu’il avait exposée de manière convaincante dans L’ethnicisation de la France (Lignes, 2011). On partage aisément ses démonstrations lorsqu’il démonte les connexions entre des personnages comme Dieudonné et Alain Soral d’un côté et Farida Belghoul, célèbre pour son action dans les « journées de retrait de l’école », ou Houria Bouteldja, animatrice des Indigènes de la République, et d’une proximité désormais limpide entre certains courants de l’extrême droite et d’autres du fondamentalisme religieux.

On reste en revanche pantois lorsqu’il va chercher du côté des « rouges » ceux qui seraient les pendants des bruns. On peut aisément critiquer le libertaire Jean-Claude Michéa, mais le ranger dans cette catégorie relève d’un raccourci assez malhonnête. De la même manière, le sociologue Jean-Pierre Le Goff, épinglé parce qu’il a consacré récemment un épais volume à La fin du village (Gallimard, 2012) en partant d’un exemple précis dans le Luberon, est-il également l’un des « rouges » qui ferait avec les « bruns » la courte échelle au lepénisme. Cette reductio ad hitlerum s’épuise par tant d’amalgames.

En revanche, Joseph Macé-Scaron, dans La Panique identitaire, propose un panorama plutôt réussi sur ce « nouveau fléau qui vise non pas le lointain mais le voisin, non pas l’étranger mais le différent ». En illustrant son propos par des exemples puisés en Russie, en Turquie ou au Japon, l’auteur met en effet le doigt sur un problème planétaire qu’avait auparavant cerné Bertrand Badie s’agissant de la « correspondance entre identité et territoire », grosse de tensions potentielles et d’affrontements latents lorsqu’elle génère, comme c’est souvent le cas, une forme plus ou moins affirmée de nationalisme. De ce point de vue, la montée des nationalismes à l’intérieur même de la Vieille Europe, comme en Écosse, en Catalogne, en Flandre ou en Italie du Nord, vient hélas corroborer ce constat inquiétant, auquel Macé-Scaron ajoute aussi l’intrusion croissante du religieux dans l’espace public, qu’il avait déjà pointée dans La tentation communautaire (Plon, 2001).

Autre approche avec le juriste Etienne Pataut, qui examine les réalités de La Nationalité en déclin. Même si ce bref ouvrage ne traite pas de l’extrême droite prioritairement, il aborde quelques thématiques qui peuvent être utile à la compréhension de phénomènes contemporains ; il fait en effet la démonstration que si la nationalité est en déclin sur le plan jurique, c’est qu’elle est d’abord contestée par l’identité. Faut-il y voir un paradoxe alors que le monde n’a jamais connu autant d’États ? 200 environ contre à peine 70 en 1945… L’auteur livre des éclairages intéressants sur le rapport entre nationalité et Union européenne, sur la question de la double nationalité ou sur les droits fondamentaux qui s’attachent à elle.

Plus précis en revanche sur l’extrême droite est le numéro très pertinent que la revue Agone consacre à ses « beaux quartiers ». Finalement assez rarement explorée, cette dimension révèle ici quelques réalités instructives. Il en est ainsi de l’imprégnation de l’extrême droite à l’université à travers le cas de Julien Freund, de la manière dont l’aristocratie - pour une partie d‘entre elle - entretient à travers la préservation du patrimoine des réseaux très efficaces ou comment ceux qui demeurent du Club de l’Horloge pénètrent avec une certaine aisance la haute fonction publique ou les grandes écoles. Inévitable de penser que si un jour l’extrême droite conquiert le pouvoir d’État, certaines élites y auront été bien préparées.

Enfin, on pourra aussi se plonger dans le dernier ouvrage de Pierre-André Taguieff et ses « réflexions sur l’anti-lepénisme ordinaire ». Pour lui, les choses sont claires : la diabolisation du Front national a surtout révélé ses effets pervers, et on ne peut que le rejoindre en constatant non seulement l’inefficacité de cette posture mais aussi son caractère contre-productif, au regard des résultats que celui-ci réalise au gré de récents scrutins.
Pour Taguieff, « l’indignation morale et la condamnation diabolisante qui empêchent la critique argumentée et la lutte politique profitent au FN qui tire parti de la « dénonciation vertueuse et consensuelle » pour se poser en victime du système ».
Pour l’auteur, c’est bien à un réel travail qu’il faut se livrer, loin du confort du ressassement des analogies avec les années 30 ou d’une indignation dont le caractère stérile est désormais attesté. D’autant qu’asséner ce type de raccourcis ou de protestation dispense toujours leurs auteurs d’une réflexion sur les causes.

Philippe Foussier


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