Revue de presse

"L’écriture inclusive, cinq ans après : "Maintenant, il y a un peu de fatigue..." " (L’Express, 10 nov. 22)

14 novembre 2022

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"Depuis son irruption dans le débat public il y a cinq ans, l’écriture dite inclusive s’est banalisée. L’heure du compromis est-elle venue ?

Simon Elzévir

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Même la Sorbonne s’y est mise... "Vous êtes étudiant.e et vous avez une idée de création d’activité ? Pepite Sorbonne Université vous accompagne", promet une affiche dans les couloirs de la vénérable institution. Cinq ans après la polémique déclenchée par la publication chez Hatier d’un manuel scolaire utilisant le point médian, l’écriture dite inclusive est entrée dans les moeurs. Une notion un peu fourre-tout, qui désigne ces attentions graphiques et syntaxiques visant à assurer l’égalité des représentations entre les hommes et les femmes : point médian, donc, mais aussi féminisation des fonctions, double flexion (le "toutes et tous" cher au président Macron), accord de proximité ("Ce peuple a le coeur et la bouche ouverte à vos louanges"), etc.

C’est ce fameux point médian qui demeure la principale source de controverses. Si la circulaire d’Edouard Philippe (2017) puis celle de Jean-Michel Blanquer (2021) l’ont proscrit des textes officiels puis de l’Education nationale, ces consignes ne sont pas toujours respectées, comme dans ce collège de Seine-Saint-Denis où la graphie apparaît dans les carnets de correspondance. La position de l’Etat est d’ailleurs ambiguë : le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, organisme placé sous la tutelle de Matignon, recommande, lui, son emploi depuis 2015... La mairie de Lyon, le département de Seine-Saint-Denis, l’université Paris-VIII, le Conservatoire national des arts et métiers ou encore l’Eurostar l’ont adopté.

Une double actualité relance aujourd’hui le débat. Les éditions du Cerf publient Malaise dans la langue française, un recueil collectif dirigé par Sami Biasoni, qui dresse un réquisitoire implacable contre "l’inclusivisme". Le linguiste Jean Szlamovicz, l’un des contributeurs de l’ouvrage, y dénonce ainsi "le forçage interprétatif faisant du masculin et du féminin en grammaire l’équivalent de mâle et femelle". Au même moment, le Haut Conseil à l’égalité diffuse une version actualisée du Guide pour une communication publique sans stéréotype de sexe où il préconisait, en 2015, le recours au point médian.

Au-delà des apparences, cependant, la querelle des "anciens" et des "modernes" est peut-être en train de s’apaiser. Car les partisans du point médian tempèrent aujourd’hui leurs ardeurs. Il faut dire que son usage a suscité des remous, notamment dans la presse. C’est le cas à Slate, où Bérengère Viennot, rédactrice, traductrice et déléguée du personnel, s’y est opposée. "Mais en tant que pigiste, j’ai été obligée de capituler. Un de mes articles était tellement plein de points médians qu’il en est devenu illisible..." enrage-t-elle encore. De fait, les difficultés de lecture entraînées par le point médian, notamment auprès des dyslexiques, sont aujourd’hui bien connues. Sandrine Treiner, directrice de France Culture, en viendrait presque à demander pardon : "Il y a de cela un an ou deux, il m’est arrivé de l’utiliser. Je n’ai pas du tout pris la mesure de la gêne que cela pouvait occasionner".

Après l’effervescence des débuts, la lassitude semble gagner du terrain. "Dans les médias que je fréquente, on en parle moins. J’ai l’impression de moins en voir", témoigne Bérengère Viennot. "Au départ, l’écriture inclusive était fortement préconisée. Maintenant, il y a un peu de fatigue..." abonde-t-on au Conservatoire national des arts et métiers. Ses adeptes jurent aujourd’hui, la bouche en coeur, chercher le point... d’équilibre. Et, après bien des efforts pour en populariser l’emploi, assurent désormais s’en remettre à l’usage... Leur credo : "l’équilibre entre inclusivité et intelligibilité", comme le résume la linguiste Sophie Wauquier, vice-présidente de l’université Paris-VIII. Si Sandrine Treiner, à France Culture, a renoncé au point médian, elle utilise toujours la double flexion ("toutes et tous"). Quant à Christophe Carron, le directeur des rédactions de Slate, il dit avoir opté pour une "voie intermédiaire" entre "visibilité du féminin" et "confort de lecture" : préférence pour les termes épicènes (non marqués en genre), usage du point médian réservé à des cas bien précis...

L’idée : ne pas se focaliser sur le seul point médian mais conserver l’ambition d’une langue plus égalitaire. Sur ces bases, un compromis est-il possible ? Selon un sondage réalisé en 2021 par l’agence Mots-Clés, à l’origine en 2016 d’un Manuel d’écriture inclusive accessible en ligne, 65% des internautes interrogés approuvent l’emploi de noms de métier féminins. En revanche, 61% d’entre eux s’opposent au point médian, et 79% aux néologismes comme "iels". Une position qui recoupe celle de l’Académie française. Après une longue opposition, la vieille dame du quai Conti s’est résignée à la féminisation des noms de métiers et de fonctions. Mais elle combat toujours farouchement le point médian.

Reste la question essentielle, et que le débat sur la lisibilité de la langue a presque reléguée au second plan : l’écriture inclusive favorise-t-elle vraiment, comme l’assurent ses promoteurs, l’égalité entre les hommes et les femmes ? "Elle a une influence sur les représentations spontanées des gens, mais il n’y a pas encore d’étude sur son impact institutionnel, seulement des observations empiriques portant sur la féminisation des publics, le rajeunissement des audiences ou l’ancrage des dispositifs d’égalité [sic]", affirme Raphaël Haddad, le directeur de l’agence Mots-Clés. Reste que corrélation n’est pas causalité et que le manque d’études scientifiques sur la question incite à la prudence...

Comme un condamné formule un dernier recours, les polémistes [1] de Malaise dans la langue française en appellent, eux, à l’intervention du législateur. Le sénateur (LR) Etienne Blanc avait déposé en février un projet de loi frappant de nullité tout acte civil ou administratif rédigé en écriture inclusive, mais son initiative n’a pas abouti. Et on doute que le sujet fasse partie des priorités du quinquennat..."

[1Sic (note du CLR).



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