19 septembre 2020
[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]
"Outre ses défauts fonctionnels, l’écriture inclusive pose des problèmes à ceux qui ont des difficultés d’apprentissage et, en réalité, à tous les francophones soudain privés de règles et livrés à un arbitraire moral." Bien que favorables à la féminisation de la langue, plusieurs linguistes estiment l’écriture inclusive profondément problématique."
"Présentée par ses promoteurs comme un progrès social, l’écriture inclusive n’a paradoxalement guère été abordée sur le plan scientifique, la linguistique se tenant en retrait des débats médiatiques. Derrière le souci d’une représentation équitable des femmes et des hommes dans le discours, l’inclusivisme désire cependant imposer des pratiques relevant d’un militantisme ostentatoire sans autre effet social que de produire des clivages inédits. Rappelons une évidence : la langue est à tout le monde.
Les inclusivistes partent du postulat suivant : la langue aurait été "masculinisée" par des grammairiens durant des siècles et il faudrait donc remédier à l’"invisibilisation" de la femme dans la langue. C’est une conception inédite de l’histoire des langues supposant une langue originelle "pure" que la gent masculine aurait pervertie, comme si les langues étaient sciemment élaborées par les locuteurs. Quant à l"invisibilisation", c’est au mieux une métaphore mais certainement pas un fait objectif ni un concept scientifique.
Nous relèverons simplement ici quelques défauts constitutifs de l’écriture inclusive et de ses principes.
La langue n’est pas une liste de mots dénués de contexte et d’intentions, renvoyant à des essences. Il n’y a aucune langue qui soit fondée sur une correspondance sexuelle stricte. Autrement, le sens des mots serait déterminé par la nature de ce qu’ils désignent, ce qui est faux. Si c’était le cas, toutes les langues du monde auraient le même système lexical pour désigner les humains. Or, la langue n’a pas pour principe de fonctionnement de désigner le sexe des êtres : dire à une enfant "Tu es un vrai tyran" ne réfère pas à son sexe, mais à son comportement, indépendant du genre du mot.
Outre ses défauts fonctionnels, l’écriture inclusive pose des problèmes à tous ceux qui ont des difficultés d’apprentissage et, en réalité, à tous les francophones soudain privés de règles et livrés à un arbitraire moral. La circulaire ministérielle de novembre 2017 était pourtant claire et, tout en valorisant fort justement la féminisation quand elle était justifiée, demandait "ne pas faire usage de l’écriture dite inclusive" : des administrations universitaires et municipales la bafouent dans un coup de force administratif permanent. L’usage est certes roi, mais que signifie un usage militant qui déconstruit les savoirs, complexifie les pratiques, s’affranchit des faits scientifiques, s’impose par la propagande et exclut les locuteurs en difficulté au nom de l’idéologie ?
Tribune rédigée par les linguistes Yana Grinshpun (Sorbonne Nouvelle), Franck Neveu (Sorbonne Université), François Rastier (CNRS), Jean Szlamowicz (Université de Bourgogne).
Signée par les linguistes Jacqueline Authier-Revuz (Sorbonne nouvelle) ; Mathieu Avanzi (Sorbonne Université), Samir Bajric (Université de Bourgogne), Elisabeth Bautier (Paris 8-St Denis), Sonia Branca-Rosoff (Sorbonne Nouvelle), Louis-Jean Calvet (Université d’Aix-Marseille), André Chervel (INRP/Institut Français de l’Éducation), Christophe Cusimano (Université de Brno), Henri-José Deulofeu (Université d’Aix-Marseille), Anne Dister (Université Saint-Louis, Bruxelles), Pierre Frath (Univesité de Reims), Jean-Pierre Gabilan (Université de Savoie), Jean-Michel Géa (Université de Corte Pascal Paoli), Jean Giot (Université de Namur), Astrid Guillaume (Sorbonne Université), Pierre Le Goffic (Sorbonne Nouvelle), Georges Kleiber (Université de Strasbourg), Mustapha Krazem (Université de Lorraine), Danielle Manesse (Sorbonne Nouvelle), Luisa Mora Millan (Université de Cadix), Michèle Noailly (Université de Brest), Thierry Pagnier (Paris 8- St Denis), Xavier-Laurent Salvador (Paris 13-Villetaneuse), Georges-Elia Sarfati (Université d’Auvergne), Agnès Steuckardt (Université Paul Valéry, Montpellier), Georges-Daniel Véronique (Université d’Aix-Marseille), Chantal Wionet (Université d’Avignon), Anne Zribi-Hertz (Paris 8- St Denis)"
Voir aussi dans la Revue de presse la rubrique Ecriture "inclusive" dans Langue française (note du CLR).
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