par Khaled Slougui, consultant formateur, président de l’association Turquoise Freedom. 23 octobre 2017
Au début de l’année, en pointant dans une tribune les obsessions et la roublardise de Tarik Ramadan [1], j’ai pris le risque de m’attaquer à « du lourd », selon certains de mes amis, tant le brillant, l’insaisissable « petit-fils à grand-papa » semblait intouchable.
Je relativisais alors la stature du personnage, qui de prime abord peut séduire les esprits faibles. Sans doute était-ce prémonitoire ?
En juin passé, je signais une tribune dans laquelle j’expliquais que le contexte était favorable à la neutralisation des islamistes [2] ; et j’ai terminé en septembre, à propos de la révolte du bikini en Algérie, par suggérer l’idée hardie, téméraire même, selon laquelle le glas avait sonné pour eux [3].
La déroute de Daesh sur le terrain, les revenants qui constituent une préoccupation de premier plan pour les pouvoirs publics, et la décision de Henda Ayari de briser la loi du silence, en dénonçant son bourreau, sont autant d’éléments qui corroborent ces analyses. Les conditions semblent réunies pour tuer l’infâme, pour parler comme Voltaire, n’en déplaise aux bigots de tout acabit.
J’ai lu et relu le livre de cette valeureuse jeune femme qui s’est trouvée comme d’autres, par un malheureux concours de circonstances, prise dans les rets du salafisme mercenaire et criminel.
Relu, parce que la question de savoir qui pouvait être le fameux Zoubeïr du livre [4] me torturait l’esprit, et mon instinct me disait que ce prédateur ne m’était pas inconnu, d’autant qu’il était décrit comme quelqu’un qui maitrisait la religion et avait une grande aura dans les médias. Mais aussi parce que j’ai choisi de faire de la déconstruction du discours islamiste (salafiste) la priorité de mon combat intellectuel et que donc naturellement j’avais besoin d’éléments concrets pour être crédible dans la dénonciation de l’imposture, et la suggestion de la vraisemblance de certaines intuitions que d’aucuns avaient énormément de mal à imaginer.
En mon for intérieur, connaissant la nébuleuse islamiste, j’ai envisagé quelques hypothèses vu que les prétendants à ce type de profil et capables de ce genre de forfait ne pouvaient pas être très nombreux : il fallait chercher parmi ceux qui avaient une visibilité et qui la revendiquaient comme le critère du musulman qui s’assume.
En général, dans les sectes, ce sont les diseurs de vérité, les énonciateurs de la doctrine, les gardiens du dogme, donc forcément les responsables au sommet de la pyramide qui peuvent se permettre ce type d’actes. « Pas lui », dirait-on !
Pour l’exemple, à Marseille, au moins deux imams très réputés ont eu maille à partir avec leurs victimes qui les ont dénoncés publiquement (y compris devant la mosquée). Cela ne les a pas empêché de continuer à prêcher la bonne parole.
Soyons réalistes et dessillons-nous les yeux : que peut-on attendre de malades et d’obsédés sexuels qui ont peur de se retenir à la simple vue des cheveux d’une femme ?
Ecoutons ce que dit le frère (Hani Ramadan) : « Une femme est comme une perle dans un coquillage. Si on la montre, elle crée des jalousies. Ici, la femme sans voile est comme une pièce de deux euros. Visible par tous, elle passe d’une main à l’autre ». Sans commentaires ! Malheureusement, la grossièreté et la vulgarité n’ont jamais tué.
Dans la tradition musulmane bien comprise, nos parents nous disaient : celui qui fait du mal, un jour ou l’autre, Dieu va le dénuder.
Décidément, ils ne croyaient pas si bien dire, les musulmans apprécieront.
Mais, revenons à l’auteur accusé par la victime, j’ai avec beaucoup d’autres observateurs clairvoyants attiré l’attention sur le fait que c’était un personnage dangereux. Rappelons le jugement sans appel de Soheib Bencheikh [Soheib Bencheikh, interview à El Watan (quotidien algérien) du 16 mai 16.]], ancien mufti de Marseille, qui l’a rencontré : le personnage « n’a pas fait avancer la cause de l’Islam car c’est un intégriste qui a une vision totalitaire ; c’est un crime que de le mettre en contact avec la jeunesse. »
Et il poursuit : « Je ne sais pas s’il est un penseur ou s’il a des idées fortes à défendre. Il est accusé de pratiquer le double langage puisqu’apparemment il change de discours selon que son auditoire soit musulman ou pas. Mais pour moi, l’homme est tout simplement un islamiste, c’est-à-dire, il utilise l’Islam à des fins politiques. Man chabaha abahou fa ma dhalam [qui ressemble à son père ne saurait avoir tort, c’est moi qui traduit], c’est le petit-fils de Hassan El Banna et il ne le renie pas. Au contraire, il va jusqu’à l’honorer au détriment de la vérité historique, ce qui relève de l’escroquerie intellectuelle. Et d’ailleurs, il a intitulé sa thèse de doctorat qu’il n’a pas soutenue : « le réformisme musulman, d’El Afghani à Hassan El Banna » en incrustant sans pudeur El Banna parmi les illustres noms de la Nahda ! Ce monsieur qui n’est pas un théologien ne fait que galvaniser les jeunes musulmans en mal d’identité, c’est-à-dire les jeunes Franco-Maghrébins des banlieues en flattant leur sentiment religieux. »
Pour moi, les évènements ont bousculé les projets, et ils ne pouvaient pas mieux tomber, tant mieux ! Je devais un jour ou l’autre écrire une tribune sur le thème « Islamisme et perversion de l’éthique », même si je l’ai déjà effleuré dans certains de mes écrits. Pour répondre à la prétention de ces Tartuffes à s’attribuer l’exclusivité de la vertu, de la bienséance, de la rectitude morale.
Parce que toutes les revendications des islamistes ont pour fondement, si ce n’est pour prétexte, l’éthique et la morale. A la suite de Mohamed Talbi [5], chacun est en droit de se demander pourquoi l’Islam (revendiqué par eux) aurait-il le monopole de la morale ?
Mais surtout, il faut se rappeler que ce personnage se proposait de « sauver l’âme de l’Europe, si ce n’est lui en octroyer une » (voir notre tribune). Quelle arrogance ?
Que l’on s’entende bien, mon intention n’est nullement de me prononcer sur la culpabilité du personnage, d’être juge à la place du juge. L’affaire est entre les mains de la justice, laissons-la faire son travail sereinement. Même si un proverbe algérien dit en substance : « Ne te mélanges pas à la paille, tu éviteras d’être picoré par les poules. »
Mais vu sous un autre angle, quoi de plus normal que l’élève dépasse le maître ?
Qaradaoui, un vieux sénile de 86 ans, qui est son maître à penser, est connu pour ses frasques avec de jeunes musulmanes ; une de ses affaires avec une jeune algérienne a été rapportée par le journal Le Monde il y a de cela quelques années ; aussi, il y a eu la marocaine, la libanaise… etc.
En réalité ce qui m’importe c’est de dénoncer le sectarisme des islamistes qui ont rendu licite la débauche qui leur convient, surtout quand il est question d’argent et de sexe, et dont sont victimes de pauvres jeunes femmes sans défense. Pratiques, du reste, communes à toutes les sectes, toutes religions confondues, y compris le bouddhisme que la zen attitude ne protège pas de ces dérives.
Les témoignages des revenants questionnés par David Thomson et le livre de Henda Ayari nous gratifient d’anecdotes "croustillantes" dans ce domaine. Et peut-être qu’en fin de compte, malgré l’épisode très violent de la chambre d’hôtel, peu importe l’auteur réel ou supposé des faits, ce qui frappe c’est la façon dont les comportements délinquants, et amoraux sont pratiquement institutionnalisés au nom du « mariage hallal ».
Qu’on en juge : alors que Henda venait d’être divorcée unilatéralement par Bachir son ex-mari (pas civilement), deux de ses amis (Ali et Abdel, tous les deux déjà mariés) se sont rués sur la proie, l’un pour en abuser et l’autre pour la prendre comme nième épouse.
Ali est seul avec Henda au salon (ce qui est contraire aux bonnes mœurs salafistes) :
Faut-il commenter ? Si, c’est cela l’avidité de pureté des salafistes.
Et Abdel au téléphone :
Que faut-il en penser ? Il faut soutenir Henda Ayari dans sa quête de justice, car en face d’elle, il y a du pouvoir et de la puissance financière. Les monarchies crapuleuses sont très généreuses pour défendre leurs ouailles.
Les cheikhs salafistes pondent des fatwas sur mesure pour arranger les hommes : puisqu’un salafiste ne peut avoir de maîtresse, car c’est totalement haram, proscrit, la fatwa lui offre la possibilité d’épouser une femme, puis d’en divorcer comme bon lui semble. Il peut même se marier pour un jour ou deux, voire moins (dans le livre).
Quand les adeptes se comportent de la sorte, tous les doutes sont permis sur l’intégrité des leaders.
Pourtant comme le rappelle Patrick Weil [6] : « Si une personne souhaite se marier religieusement, elle est obligée par la loi de procéder auparavant à une cérémonie de mariage civil à la mairie. La mairie est un espace commun par lequel chaque français ou étranger habitant en France doit passer et le Code civil constitue un ensemble de règles supérieures et communes à tous, et que tous, Français ou étrangers résidant en France, doivent respecter s’ils veulent se marier en France ».
L’on peut légitimement s’interroger : que fait l’Etat en la matière ?
A ce sujet, il serait intéressant d’avoir l’avis des bien-pensants de droite et surtout de gauche, qui succombent à l’argument de l’islamophobie, et en même temps invectivent et vitupèrent les tenants d’une laïcité sans concession.
Pour ma part, j’ai franchi un cap dans ce domaine, en préconisant qu’il serait opportun de retourner l’argument de l’islamophobie contre ses propres auteurs.
Alors que personne ne peut, en principe, se vanter de représenter l’Islam et les musulmans, et donc juger de ce qui est conforme ou pas à la doctrine, il serait très habile de retourner l’argument de l’islamophobie contre les accusateurs.
Ce qui ferait d’eux les vrais « islamophobes », pour cause de dévoiement, de dénaturation, de caricature, voire de travestissement de la vraie religion. La preuve !
Nos avocats devraient s’en inspirer pour éviter de rendre des procès un peu trop hâtifs, et réhabiliter une certaine sérénité dont tout le monde a grand besoin.
Car qui est réellement coupable ?
Celui qui porte un regard critique sur l’Islam et sa pratique actuelle, sans vouloir gêner qui que ce soit dans son culte ?
Ou celui qui l’utilise à des fins inavouées, qui remettent en cause l’ordre établi, le vivre ensemble, et qui accuse du coup les contradicteurs de rejet de l’Islam, d’islamophobie.
L’islamisme veut se donner une légitimité en prenant en otage les hommes et les textes comme je l’ai développé ailleurs. En réalité, c’est une usurpation pure et simple.
Comme à mon habitude, je souhaite rester sur une note positive : au lieu de la violence inouïe du viol et de l’esclavage sexuel, je m’en remets à la finesse et à la tendresse de Georges Brassens.
« Elle m’a dit d’un ton sévère : qu’est-ce que tu fais là ? Mais elle m’a laissé faire, les filles c’est comme ça ». C’est tellement plus mignon.
Khaled Slougui, consultant formateur et président de « Turquoise Freedom »
[1] Lire Tariq Ramadan tel quel : obsessions et roublardise (K. Slougui) (note du CLR).
[2] Lire Un contexte favorable à la neutralisation des islamistes (K. Slougui) (note du CLR).
[3] Lire "Révolte du bikini" en Algérie : le glas a sonné pour les islamistes (K. Slougui) (note du CLR).
[4] Henda Ayari, « J’ai choisi d’être libre », Flammarion.
[5] Mohamed Talbi, « Plaidoyer pour un islam moderne », L’Aube.
[6] Patrick Weil, « Le Sens de la république », Grasset.
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