Tribune libre

Un contexte favorable à la neutralisation des islamistes (K. Slougui)

par Khaled Slougui, président de l’association Turquoise Freedom. 19 juin 2017

Attirer l’attention sur une forme de connivence entre les médias qui rendent compte au quotidien d’une actualité foisonnante, souvent même dramatique, et les observateurs, les analystes, les parlementaires qui enquêtent sur ce qu’on a du mal à appeler « la déradicalisation » me semble être une opération de salubrité publique.

Tant il est vrai que depuis quelques temps, l’on se livre à une opération de décrédibilisation, dans un même élan, autant de l’action de prévention de la radicalisation que des acteurs chargés de sa mise en œuvre. La messe est dite : la déradicalisation est un échec.

Même si tout le monde savait qu’il ne pouvait y avoir de résultats dans l’immédiat. Les miracles n’existent que pour ceux qui y croient.

Qu’il y ait eu un manque d’expérience, des dispositifs pas toujours efficaces, de la précipitation, de la gabegie, de l’incurie de la part aussi bien de l’état que des acteurs, cela ne fait aucun doute ; mais de là à généraliser l’incompétence en « jetant le bébé avec l’eau du bain »…

Voilà qui ne fait l’affaire que de ceux que nous sommes tous sensés combattre : les ténébreux islamistes et leurs affidés. A qui profite le crime ? Une question à bien méditer, sans doute.

Pour notre part, sans autoglorification aucune, ni triomphalisme, nous affirmons sans ambiguïté que beaucoup de choses ont été faites et que face à un phénomène sociétal nouveau, un processus protéiforme et multifactoriel où la dissimulation et les stratégies de contournement sont omniprésentes, les phases de l’expérimentation, voire de l’improvisation sont dépassées.

Nous entamons une phase de plus grande maîtrise dont les résultats sont manifestes sur le terrain : moins de départs sur les théâtres d’opération, plus d’efficacité dans la détection et le repérage, un plus grand nombre de menaces et de projets d’attentats déjoués régulièrement, plus de collaboration de la population dans le signalement et une parole qui se libère, plus grande sensibilisation des professionnels à la prévention de la radicalisation…etc.

Est-ce suffisant ? A l’évidence non. Mais l’on est très loin du tableau noir dressé par les uns et les autres. Même si les problèmes sont devant nous, notamment celui crucial des revenants.

Aussi, il n’y a d’autre choix que d’approfondir, de diversifier et d’amplifier l’action menée, en toute modestie et humilité, nonobstant une régulation basée sur une évaluation qui exclut tout laxisme, toute complaisance, toute compromission.

Un contexte favorable à la neutralisation des islamistes

Sans tergiverser, si la violence produite par la croyance n’est pas propre à l’islam, c’est aujourd’hui en son nom qu’elle est déployée ; référer à la radicalisation de façon générique n’est pas pertinent : entre les anarchistes russes du 19e siècle et les islamistes d’aujourd’hui (Farhad Khosrokhavar) [1], il n’y a aucune commune mesure.

Relativiser la radicalisation islamiste en l’inscrivant dans un cadre général : le phénomène a existé dans d’autres domaines, ailleurs, à d’autres époques, c’est « noyer le poisson » pour mieux faire avaler la pilule. L’on serait plus inspiré de juger le mouvement dans ses manifestations immédiates, spécifiques et violentes, ici et maintenant, sans omettre les conséquences prévisibles pour le futur. Identifier le mal c’est déjà un grand pas pour l’éradiquer.

En vérité, l’islam radical auquel nous avons à faire désormais, s’apparente à une dérive sectaire dont il présente tous les ressorts, mais pas seulement…

Dans la mesure où il constitue bel et bien un mouvement politique et idéologique mû par une stratégie de pouvoir là où il s’exprime, et dont la trame reste une remise en cause fondamentale des principes et valeurs sur lesquels fonctionne notre société.

Il faut donc le traiter comme tel.

Dès lors, combattre ce mouvement ne peut se passer de déconstruire le discours qui le fonde ; cela passe nécessairement par son dépouillement de l’argument « islam ».

Car si, pour l’exemple, le fanatisme assassin des islamistes se nourrit de versets du coran en recourant au fameux « verset de l’épée » ordonnant de tuer les païens, et celui dit « de la guerre », mobilisant au combat contre les juifs et les chrétiens (Coran, IX, 5 ; 29), comme le souligne à raison Abdelwahab Meddeb [2].

Sans vouloir atténuer le mal qui atteint l’islam, l’enjeu est d’ouvrir la guerre des interprétations, en insistant sur la question du contexte où fut émise et reçue sa lettre, mais aussi sur les multiples anachronismes que charrie le droit émanant de l’esprit et de la lettre du texte fondateur (l’on pense à la sharî’a que le Coran inspire).

Autrement dit : on peut revendiquer une lecture rationaliste du Coran, et refuser, par là-même, que l’islamo-business prenne en otage les textes et les musulmans dans leur immense diversité.

Une telle démarche peut contribuer efficacement à remonter des actes à ce qui les rend possible.

Outre les fragilités de toutes sortes, et le communautarisme, qui constituent un terreau très favorable pour la radicalisation et le recrutement des jeunes, c’est au logiciel qui fonde la doctrine islamiste qu’il faut s’attaquer.

A cela, il faut adjoindre une mobilisation judicieuse et conséquente de la puissance publique, car vouloir assagir ou raisonner les islamistes est illusoire.

D’autant que le contexte actuel est très favorable à la neutralisation des islamistes : déclin réel de Daesh sur le terrain qui peut laisser prévoir une disparition à terme ; luttes intestines à l’intérieur du monde musulman qui discréditent le mythe de la « oumma » entretenu avec agitation et fureur - la mise en place d’une taxe sur les pêchés en Arabie Saoudite en dit long sur le désarroi, la débilité et l’impotence des gardiens du temple - ; multiplication des attentats de faible teneur en Europe comme un signe de la bête qui agonise ; deux arrêts de la Cour de Justice de l’Union Européenne brisant la stratégie d’entrisme islamiste dans les entreprises et instituant le droit d’interdire les signes ostentatoires par le seul biais du règlement intérieur (mesures qui inquiètent le CCIF et les islamistes européens) ; déchirement au niveau national des différentes organisations musulmanes autour de la représentation des musulmans ; changement de nom de l’UOIF en « Musulmans de France », comme pour signifier qu’ils sont désormais fréquentables et qu’ils sont prêts à toutes les concessions (il ne faut pas oublier que la dynastie Ramadan est persona non grata dans plusieurs pays, des USA à la France et l’Allemagne) ; découverte sur le terrain des opérations d’une réalité ô combien différente de ce que véhicule la propagande djihadiste à travers les réseaux sociaux (un jeune djihadiste s’exprimant à ce sujet, nous dit lucidement "C’est une chose de regarder les vidéos de Daesh avec une cannette de coca et un sachet de ships à la main, c’est tout à fait autre chose d’être dans les tranchées, sous les bombes") ; de plus en plus de radicalisés, hommes et femmes veulent, retourner aux pays des mécréants, la « HIJRA » a tourné court…etc.

Il serait judicieux de l’exploiter à fond pour éradiquer le cancer qui ronge notre société.

Pour conclure, à l’inverse de ceux qui ont supprimé le mot « radicalisation » de l’intitulé de leur association, et plus largement de leur discours, notre intime conviction est que ce concept et celui de « déradicalisation » [3] restent très pertinents, surtout si l’on y greffe le contenu adéquat : les orientations du ministère de l’intérieur sont d’une clarté indiscutable.

Dans notre association, l’objectif est d’y coller au plus près.

Cela n’empêche pas de mettre en avant notre tryptique : Semer le doute, Réinsérer, Privilégier l’amour et l’humour.

Rester sur les controverses sémantiques (désengagement, désembrigadement, désendoctrinement ou déradicalisation) est un luxe, qu’en tant qu’acteurs de terrain, nous ne saurions nous permettre, car les priorités sont ailleurs.

Du point de vue de la méthode, cela signifie qu’il ne faut pas se laisser enfermer dans le seul registre du théologique, mais appréhender le problème politiquement, donc trouver des solutions politiques qui réhabilitent les valeurs républicaines, la laïcité surtout.

Dans les pays où le pouvoir a versé dans la surenchère religieuse, qui manifeste en vérité une volonté d’emprise sur les hommes, qui atteste qu’on se soucie plus souvent de la terre que du ciel, pour parler comme Régis Debray [4], nous savons ce que cela a produit.

Nicolas Machiavel nous suggérait dans l’immortel Le Prince : caresser les hommes ou les occire [5].

Allons-nous caresser les ténébreux ? Certainement pas, puisqu’ils n’aiment pas ça et c’est harram (illicite) ; les occire, en revanche, oui ; mais politiquement et dans le respect des lois.

Khaled SLOUGUI,
Président de l’association « TURQUOISE FREEDOM », consultant-formateur.

[1Farhad Khosrokhavar, Radicalisation, Ed. Maison des sciences de l’homme.

[2Abdelwahab Meddeb, Pari de civilisation, Ed. du Seuil, 2009.

[4Régis Debray, Allons aux faits, croyances historiques, réalités religieuses, Ed. Gallimard, 2016.

[5Nicolas Machiavel, Le Prince, Ed. Le livre de poche, 1972.


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