Contribution

ESPE : un rapport alarmant mais si peu étonnant (C. Rigo)

par Céline Rigo. 30 novembre 2016

Ce rapport conjoint des inspections générales (IGEN & IGAEN) est le 3e depuis la mise en place des ESPE. Il est téléchargeable sur le site du Ministère de l’Education nationale : http://cache.media.education.gouv.fr/file/2016/74/9/2016-062_ESPE_653749.pdf.

Après les attentats de 2015 et sur demande de la Ministre, une place plus importante a été donnée à la laïcité dans la formation des enseignants et CPE.

Le rapport relève pour la première fois de manière aussi explicite des difficultés autour de la transmission des valeurs de la République et de la laïcité.

1. La mission d’enquête constate que les formations à la laïcité et aux valeurs de la République, si elles sont plus développées qu’avant, ont été abordées de façon partielle et avec une certaine frilosité, tant dans la forme que le contenu.

« Dans toutes les ESPE visitées, le tronc commun inclut un enseignement sur la laïcité et les valeurs de la République. Cependant dans leur majorité, les ESPE semblent avoir fait le choix de ne pas aborder de manière « frontale », et peut‐être théorique et dogmatique, la thématique de la laïcité. Elles semblent par ailleurs privilégier ce qui relève, à proprement parler, des valeurs de la République, et parmi celles‐ci, l’égalité des citoyens, la lutte contre les discriminations, en négligeant peut‐être volontairement des sujets plus polémiques, moins consensuels. »

Si le cours en amphithéâtre est la principale modalité d’enseignement, du fait du nombre important d’étudiants, les formateurs des ESPE « conviennent assez unanimement que la modalité la plus appropriée serait des ateliers en établissement, des études de cas et des mises en situation. »

Les attentats de janvier 2015 ont partout conduit les formateurs des ESPE à remettre en question une formation commune qui n’avait pas vraiment aidé les étudiants ni surtout les professeurs stagiaires à assumer des positions claires et à tenir des discours simples, conformes à ce qui est en jeu dans le principe de laïcité et, plus largement, relève de la compétence professionnelle « faire partager les valeurs de la République ». Cela a eu pour effet, dans presque toutes les ESPE visitées une mise en avant spécifique de la laïcité à laquelle une place plus importante, au moins en volume horaire, a été réservée. Parfois même, de manière symbolique, un enseignement spécifique lui a été réservé alors qu’elle était jusqu’alors abordée à l’occasion d’un cours traitant de l’ensemble des valeurs de la République. Il n’est cependant pas certain que le contenu de cet enseignement spécifique ait été différent de ce qu’il était auparavant.

2. À la suite des attentats, chaque ESPE s’est dotée d’un référent laïcité, qui a encore peu d’influence sur les maquettes de formation.

Désigné par le directeur de l’ESPE, sa lettre de mission comporte de trois sujets majeurs :

  • faire remonter à la direction de l’ESPE tous les faits qui témoignent d’une atteinte à la laïcité,
  • participer au réseau formé par les référents laïcité des ESPE,
  • œuvrer à la modification des maquettes pour faire une place significative aux questions de laïcité, aux valeurs de la République et à la mise en place de l’enseignement moral et civique.

Pour mener à bien ces tâches, le référent laïcité a le plus souvent constitué un groupe de travail de formateurs de l’ESPE. Il ne semble pas pour l’instant que l’influence de ce référent soit telle qu’il ait pu imposer des modifications dans les maquettes, ni qu’il travaille en pleine collaboration avec le référent laïcité du rectorat. Le réseau des ESPE a récemment pris l’initiative de réunir ces référents pour faire le point sur les actions menées dans les différentes ESPE.

3. Certaines ESPE (non nommées) ont été « le théâtre de contestations plus ou moins explicites des valeurs de la République. »

Ces faits ont le plus souvent été rapportés à la mission à l’occasion d’échanges sur d’autres sujets, un malaise patent semblant régner sur ces questions dans les ESPE concernées, malaise sans doute accentué par la crainte d’être « stigmatisé » et de voir mis en avant la spécificité de territoires et de populations.

Les faits sont de deux ordres :

  • port du voile par des stagiaires,
  • contestations, plus ou moins virulentes, de contenus d’enseignement, qu’ils soient disciplinaires (sur les questions de l’évolution, de la sexualité, de l’enseignement du religieux comme fait d’histoire et de culture et non comme appartenance confessionnelle, etc.) ou fassent partie du tronc commun (le principe républicain de laïcité, les valeurs de la République, la tolérance, l’égalité des sexes, la lutte contre l’homophobie, etc.).

Ces incidents ont suscité des débats contradictoires au sein des équipes plurielles de l’ESPE, entre un monde universitaire souvent soucieux de continuer à s’adresser à des étudiants supposés libres et affranchis de toute sujétion, et un monde enseignant qui, lui, a globalement accueilli très favorablement la loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux ostentatoires dans l’espace scolaire.

La DAJ (Direction des affaires juridiques du MENESR) a été obligée de produire une note en janvier 2015, rappelant le double statut de l’ESPE (comme composante universitaire et lieu de formation de fonctionnaires) et donc le double régime auquel sont soumis les usagers de l’ESPE, selon qu’ils sont étudiants ou fonctionnaires stagiaires.

https://espe.univ-grenoble-alpes.fr/system/files/ESPE/actualites/daj-fonctionnaires_stagiaires_en_espe.pdf

4. Les ESPE doivent s’assurer que les valeurs de la République et la laïcité soient « connues et partagées par toutes celles et tous ceux qui participent à la formation des élèves. »

« Les atteintes au principe de laïcité et les contestations des valeurs de la République de la part d’étudiants se destinant aux métiers de l’enseignement et de l’éducation et de fonctionnaires stagiaires ne peuvent laisser indifférent. »

Le rapport critique l’attitude des formateurs des ESPE qui laissaient aux jurys de concours la responsabilité de discerner les candidats qui posaient problème en terme de valeurs.

« Il est indispensable que tous les acteurs des ESPE se mobilisent autour de ces questions et qu’ils ne s’en remettent pas aux épreuves des concours, durant lesquelles les jurys peuvent certes déceler des jugements tendancieux, mais ne peuvent pas dans le temps d’un entretien où le candidat se donne toutes les chances de réussir anticiper des pratiques et des comportements qui contesteront le principe de laïcité et les valeurs de la République. »

Le rapport préconise donc que laïcité et valeurs de la République soient « abordées par tous les étudiants, et en particulier celles et ceux qui se destinent à la fonction publique, dès la licence, au sein des enseignements disciplinaires, pour en souligner la dimension laïque, pour mettre en évidence les valeurs qui sous‐tendent tout savoir. L’année de M1 devrait permettre d’ébaucher la construction de la posture laïque du fonctionnaire, grâce notamment aux stages d’observation et de pratique accompagnée. Les enseignements disciplinaires gagneraient eux‐mêmes à s’emparer de ces thématiques, toutes les disciplines étant appelées à développer chez les étudiants l’esprit critique et la culture du débat et de l’argumentation. »

Il préconise également que les ESPE ont également vocation à former les vacataires et les contractuels « dans un contexte où il est essentiel de s’assurer que toute les compétences du référentiel de juillet 2013, et pas seulement les compétences disciplinaires qui y figurent, et qu’elles soient connues et partagées par toutes celles et tous ceux qui participent à la formation des élèves. La mission pense tout particulièrement aux compétences relevant du partage des valeurs de la République et de la laïcité, dont il conviendrait de s’assurer qu’elles sont également partagées par tous les intervenants. »



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