25 janvier 2010
"Il y a quelques jours, le collectif la Force du nom, créé en décembre par un panel d’intellectuels, a plaidé devant le Conseil d’Etat la possibilité de remonter le temps. A leur arrivée dans l’Hexagone, après la Seconde Guerre mondiale, plusieurs familles juives ont décidé de franciser leur nom. A cette époque, la paix était certes revenue en Europe. Mais la peur d’une réédition de l’horreur de la Shoah, un certain antisémitisme ambiant et les moqueries latentes ont eu raison de l’identité patronymique de ces « familles réfugiées de l’Histoire », selon l’expression de Serge Klarsfeld. Ainsi, dans le Paris des années 50-60, des Rozenkopf devinrent des Rosent, des Frankenstein des Franier, des Wolkowicz des Volcot.
Aujourd’hui, dans un climat apaisé, plusieurs de ces hommes et femmes désirent reprendre leur nom originel. « Cette opportunité existe aux Etats-Unis depuis plusieurs dizaines d’années, mais la France l’interdit. Le collectif désire questionner la légitimité de cette interdiction », explique Céline Masson, maître de conférence à l’université Paris-Diderot et membre fondateur du collectif, avec l’avocate Nathalie Felzenszwalbe. La loi française est pourtant claire : franciser son nom, pour tout étranger en faisant la demande, est tout à fait possible, s’il estime qu’il en va d’une facilitation à l’intégration.
En revanche, l’inverse est interdit par le Conseil d’Etat au motif de « l’immutabilité du nom » (l’article 61 du code civil stipule la nécessaire continuité du patronyme auprès de l’état civil) et de « l’impossibilité d’adopter un nom à consonance étrangère ». C’est essentiellement ce dernier point qui fait bondir le collectif, cette stigmatisation de la différence que l’on retrouve dans le débat actuel sur l’identité nationale. « Ces textes de loi sous-entendent clairement la notion préoccupante de "nom français". Nous avons donc demandé au Conseil d’Etat : "qu’est ce qu’un nom français ? Que signifie cette idée de pureté du nom ?" », indique Nathalie Felzenszwalbe. L’avocate rejette l’idée d’un repli communautaire. « Les personnes dont nous portons la voix ont toutes été naturalisées françaises et réclament simplement un rapprochement symbolique avec leurs racines. Il ne s’agit en rien d’une quelconque remise en cause de leur identité républicaine. En quoi leurs patronymes seraient-ils moins français que ceux des Basques ou des Bretons ? » Afin d’obtenir un « revirement de jurisprudence », le collectif va s’appuyer sur des « actes fondateurs de la reconnaissance de l’implication de l’Etat français dans la déportation des Juifs .
Nathalie Felzenszwalbe cite entre autres le discours de Jacques Chirac de 1995 sur le Vél d’Hiv, mais également l’idée véhiculée par la commission Mattéoli, instaurée par Lionel Jospin, qui permet aux Juifs de demander réparation des biens qui leur ont été spoliés.« La démarche idéologique est lourde de conséquences pour la France. Franciser les noms, c’était quelque part réparer les torts faits aux Juifs pendant la Collaboration. La France acceptait de les protéger après les avoir dénoncés. L’Etat était prisonnier de sa culpabilité. Aujourd’hui, nous demandons à la France de faire fi de ses remords et de comprendre que l’identité n’est pas nationale mais narrative. »
Le Conseil d’Etat a déjà fait savoir qu’il ne prévoyait aucune modification de la loi. Les requérants devront adresser leurs demandes au collectif La Force du nom qui, après examen, les transmettra directement au Conseil d’Etat. La plus haute juridiction administrative rendra ses décisions au cas par cas. Ses réponses ne sont pas attendues « avant plusieurs semaines », selon un conseiller qui a requis l’anonymat."
Lire "Des noms interdits".
Lire aussi “Guerre des mémoires, épisode 2” (B. Le Gendre, Le Monde, 25 oct. 07), A.-G. Slama : Le Munich du XXIe siècle (note du CLR).
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