octobre 2007
"En 2005, la polémique portait sur l’esclavage, le génocide arménien et le rôle "positif" de la colonisation... On croyait cette guerre des mémoires éteinte, mais le feu couvait sous la cendre. De nouveaux foyers ont pris feu, ranimant les passions. Comment parler de l’immigration ? A qui appartient Guy Môquet ? La République est-elle comptable des crimes de Vichy ?
Ces questions, Nicolas Sarkozy et son conseiller spécial, Henri Guaino, les posent sans complexes. Comme prévu, les historiens se raidissent, la gauche crie à la manipulation des symboles, et l’Elysée persiste. Le chef de l’Etat et son idéologue ont de bonnes raisons d’exalter ainsi le passé. Ils voient dans la nation un antidote providentiel à la mondialisation qui désincarne la France, un remède nécessaire aux forces centrifuges qui minent le vivre ensemble dont parlait Ernest Renan (1823-1892).
Nicolas Sarkozy ne connaissait pas la lettre de Guy Môquet, qu’il a décidé de faire lire le 22 octobre dans tous les lycées. C’est Henri Guaino, gaulliste nostalgique, qui la lui a mise sous les yeux pendant la campagne présidentielle.
A qui appartient la mémoire de ce jeune communiste fusillé à 17 ans par les Allemands, en octobre 1941 ? A tous, affirme l’Elysée. A nous, rétorquent les communistes, non sans arrière-pensées. Exalter le sacrifice de Guy Môquet, c’est passer sous silence l’un des épisodes les moins glorieux de l’histoire du Parti communiste français : l’adhésion du parti au pacte Hitler-Staline d’août 1939. Une trahison qui, en février 1940, valut au père de Guy Môquet, Prosper Môquet, d’être déchu de son mandat de député.
Otages de mémoires concurrentes, les enseignants et les chercheurs, en particulier les historiens, ont le sentiment d’être abusés, dépossédés. Ils disent "instrumentalisés". Dans L’Humanité, une professeure de lettres s’insurge contre la circulaire demandant aux enseignants de lire la lettre d’adieu de Guy Môquet : "Cette circulaire transforme cet hommage au résistant qu’il était en une sorte d’ode à l’obéissance."
Histoires d’hier, querelles d’aujourd’hui. La gauche s’exaspère tout autant de l’invocation par la droite de ses grands hommes : Léon Blum, Jean Jaurès, Jules Ferry... Voulue par Jacques Chirac - horresco referens -, la Cité nationale de l’histoire de l’immigration est révélatrice de ces tiraillements, dont les travailleurs étrangers sont souvent l’enjeu.
A quelques semaines de son ouverture au public, porte Dorée, à Paris (12e), une poignée d’historiens décidaient de quitter son conseil scientifique pour protester contre la création d’un ministère de l’immigration et de "l’identité nationale". Les mêmes historiens sont revenus à la charge, début octobre, pour contester la création d’un Institut d’études de l’immigration au sein du Haut Conseil à l’intégration. Son inauguration par le ministre, Brice Hortefeux, a dû être reportée sine die.
Guy Môquet, identité nationale... Henri Guaino revisite le passé avec une telle passion qu’il lui arrive de mettre Nicolas Sarkozy en porte-à-faux. Le régime de Vichy était-il la France ? Non, disait de Gaulle. Oui, a dit Jacques Chirac. Non, a expliqué Nicolas Sarkozy pendant la campagne présidentielle, dans un discours inspiré par Henri Guaino : "La France n’a pas commis de crime contre l’humanité, la France n’a pas commis de génocide."
Si la France en tant que telle n’est pas coupable de la rafle du Vél’d’Hiv’, pourtant organisée par la police française, c’est donc Vichy qui est responsable. Retour à la vulgate gaulliste. C’est ce qu’on avait cru comprendre jusqu’à ce que Nicolas Sarkozy, élu président de la République, assure qu’il n’avait "rien à ajouter et rien à retrancher au très beau discours de Jacques Chirac". En juillet 1995, commémorant la rafle de 1942, l’ancien président avait affirmé que "la France" des années d’Occupation avait commis "l’irréparable", la France et non l’Etat français. [...]
L’invocation de Guy Môquet brouille pareillement la mémoire nationale. Elle exalte un acte de résistance héroïque sans le resituer dans son contexte. Contrairement à Guy Môquet, la France profonde a collaboré ou elle a fait le dos rond.
De Gaulle le savait, mais il ne voulait pas le savoir. A peine revenu en métropole, en juin 1944, il s’adressait ainsi à des Normands maréchalistes la veille encore : "Ce que le pays attend de vous, c’est que vous continuiez le combat comme vous ne l’avez jamais cessé depuis juin 1940." De Charles de Gaulle à Nicolas Sarkozy, c’est la même vision de l’histoire nationale qui se perpétue. Brouillonne, intéressée et souvent apocryphe.
Les historiens s’insurgent. Ils ont bien raison. Mais ils n’y peuvent rien. Sinon fourbir leurs arguments pour la prochaine bataille de la guerre des mémoires."
Comité Laïcité République
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