Revue de presse

"Crèches de Noël : la justice sème la confusion" (lefigaro.fr, 22 oct. 15)

23 octobre 2015

"Certains tribunaux les autorisent comme « tradition culturelle », d’autres les interdisent en tant que « symbole religieux ». À deux mois des festivités de fin d’année, les maires sont désemparés.

À l’approche de Noël, voilà les élus locaux complètement désorientés. Ont-ils le droit d’exposer une crèche dans la cour de leur mairie, le hall du conseil départemental ou tout autre bâtiment public ? En l’espace de quelques jours, la justice a rendu deux décisions contradictoires. Vendredi dernier, la cour administrative d’appel de Paris a sommé la mairie de Melun de renoncer à sa traditionnelle crèche de Noël, estimant qu’un « emblème religieux » n’avait pas sa place « dans l’enceinte d’un bâtiment public ». À l’inverse, la semaine précédente, la cour administrative d’appel de Nantes, ne voyant pas « d’emblème religieux », avait « annulé »le jugement du tribunal administratif, qui avait lui-même interdit la crèche du conseil départemental… « La guerre des crèches va-t-elle être relancée ? », se demandent les laïcistes de la Fédération nationale de la libre pensée, à l’origine de ces actions en justice. La Mairie de Melun tout comme les libres penseurs s’apprêtent à saisir le Conseil d’État.

Bien que « constituée de sujets représentant Marie et Joseph accompagnés de bergers et des Rois mages entourant l’Enfant Jésus », la crèche vendéenne s’inscrit « dans le cadre d’une tradition relative à la préparation de la fête familiale de Noël et ne revêt pas la nature d’un “signe ou emblème religieux” », compte tenu notamment « de sa faible taille, de sa situation non ostentatoire et de l’absence de tout autre élément religieux », ont estimé les juges de Nantes. « Quelle tartufferie !, s’exclame Christian Eyschen, vice-président de la Fédération nationale de la libre pensée. On ne peut pas dire qu’une crèche, qui célèbre la naissance du Christ, n’est pas un emblème religieux ! C’est un vrai problème de droit ; si chaque cour d’appel a sa propre jurisprudence, où est l’égalité devant la loi ? »

L’affaire avait beaucoup mobilisé Bruno Retailleau, ancien président du conseil général de la Vendée. « Si nous avions perdu en appel, j’avais prévu une exposition d’une dizaine de crèches, avec un caractère culturel affirmé, rapporte le patron des sénateurs LR. Voyez le ridicule dans lequel on entre ! » Saluant « une victoire du bon sens sur l’idéologie », son successeur à la présidence du conseil départemental, Yves Auvinet, réinstallera donc la crèche dans le hall.

Même détermination enthousiaste à Béziers, après le rejet, en juillet, de la requête de la Ligue des droits de l’homme par le tribunal administratif de Montpellier : « Nous mettrons une crèche encore plus magnifique que celle de l’an dernier !, clame le maire apparenté FN, Robert Ménard. Nous le ferons le premier jour du calendrier de l’Avent, comme le veut la tradition culturelle française. La crèche est un élément culturel car notre pays est de culture chrétienne. » L’édile affirme avoir reçu plus de 200.000 messages de soutien, « même en arabe ! ». De même, « lorsque j’ai organisé une messe à l’ouverture de la féria, en août 2014, on avait mis 400 chaises, et 4000 personnes sont venues, raconte le maire de Béziers. L’été dernier, on avait préparé 8000 places dans les gradins ; ce n’était pas assez ! Quant aux opposants, ils étaient trois, dehors, à manifester… »« Ce ne sont pas les magistrats qui vont nous dire ce qu’il faut faire !, s’irrite-t-il encore. On est dans un débat de société. Les chrétiens ont l’impression d’être ceux que l’on respecte le moins ! J’espère qu’il y aura un maximum de maires qui s’engouffreront dans cette brèche judiciaire pour exposer un maximum de crèches… »

À Melun, on n’a pas encore décidé. « Je vais y réfléchir avec notre avocat, indique le maire LR, Gérard Millet. Je réserverai peut-être l’emplacement de la crèche - 4 ou 5 m2 au milieu de 1000 m2 de décors - à un panneau explicatif. » Lui aussi a reçu des messages : « Beaucoup de maires trouvent cette décision aberrante, et certains m’ont proposé de signer une pétition, assure-t-il. On a un sentiment d’incohérence : selon que la lecture de la loi de 1905 est apaisée ou qu’elle est sectaire, on aboutit à des conclusions inverses… »

À l’Observatoire de la laïcité, on souligne que la loi de 1905 « laisse une large marge d’appréciation dans la qualification ou non d’emblème religieux de ces représentations figuratives ». Mais « les magistrats sont-ils suffisamment bien formés à la question ? », s’interroge un observateur. Le tribunal administratif d’Amiens, par exemple, « a fait preuve d’inconséquence, accusent les libres penseurs. En 2010, il avait annulé la décision du maire de Montiers d’édifier une crèche sur la place du village. Or il a considéré que le même objet pouvait légalement décorer la place Jeanne-Hachette de Beauvais, fin 2014 ». À la mairie de Beauvais, Samira Moula, directrice générale des services, indique que la crèche sera présente cette année encore, installée par une association « au milieu des féeries de Noël… Euh, des féeries de fin d’année ».

Cela conviendra-t-il aux libres penseurs, qui ces derniers temps ont reçu « près d’une centaine d’appels » de maires inquiets leur demandant « quoi faire pour ne pas être attaqués » ? « On n’est pas près d’accepter que l’on porte atteinte à la loi de 1905, qui a assuré la paix pendant un siècle, insiste Christian Eyschen. Le message serait catastrophique : la France serait un pays de race blanche et chrétien ? » Pour défendre la laïcité, et plus particulièrement « dire non à l’installation de crèches dans les bâtiments de la République », les libres penseurs manifesteront le 5 décembre à Paris.

Les uns comme les autres, en tout cas, expriment leur « hâte » de voir le Conseil d’État se saisir du dossier : « La crèche est une référence culturelle et affective que partagent beaucoup de Français, qu’ils croient au Ciel ou non, martèle Bruno Retailleau. Si demain on excluait de l’espace public ces signes reçus par les Français comme des témoignages de leurs racines, le sentiment qu’ils éprouvent déjà de dépossession culturelle et identitaire serait encore plus grand. La laïcité, ce n’est pas la négation de notre patrimoine. »"

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