par Pierre Biard, agrégé d’histoire, ancien ENS Saint Cloud. 13 juillet 2016
« C’est en s’instruisant que la femme peut se défendre contre toute atteinte à sa féminité et à sa dignité. Aujourd’hui, le voile de la musulmane en France c’est l’école laïque, gratuite et obligatoire »
Soheib Bencheikh
Pierre Biard
Ancien élève de l’Ecole normale supérieure de Saint Cloud
Agrégé d’histoire
(Voir l’avertissement [1].)
« J’avertis les Lecteurs que ce chapitre demande quelque attention et que je ne sais pas l’art d’être clair, pour qui ne veut pas être attentif »
J.J. Rousseau, Du Contrat social, livre III, 1ère version, éd. de la Pléiade, 1964, p. 336.
Les querelles au sujet de la laïcité, que l’on pouvait penser il y a peu, sinon terminées, du moins apaisées, ressortent aujourd’hui, avec une âpreté, une véhémence auxquelles on n’était plus habitué. Si l’on excepte les deux ou trois années qui ont suivi le vote de la loi Debré (1959) [2] jamais, depuis un siècle, on n’avait constaté une telle agitation médiatique autour de la laïcité.
1-De l’islamisation des banlieues aux divisions de la gauche.
C’est incontestablement l’islam, en tout cas l’une de ses versions, qui est à l’origine de cette effervescence. Mais les autres Eglises n’ont pas été en reste et elles ont profité du moment pour rappeler, elles aussi, que la laïcité que la République leur avait imposée, ne les satisfaisait guère. Tout a commencé [3] – hasard ou provocation ? – cette même année 1989 où l’on commémorait le bicentenaire de la grande révolution. C’est à la rentrée de septembre qu’a éclaté le scandale : trois jeunes filles, élèves dans un collège de Creil, sont entrées dans l’établissement avec un voile, manifestant ainsi clairement leur appartenance religieuse. Il est évident que ces adolescentes n’étaient pas à l’origine de l’initiative, mais leurs parents, et que ceux-ci étaient probablement manipulés. Henri Pena-Ruiz rappelle les faits [4]. Le principal, qui venait déjà au nom de la laïcité, d’interdire le port de la kippa, exclut les trois élèves, au motif que le voile est « une atteinte à la laïcité et à la neutralité de l’école publique » et qu’il constitue « une pression idéologique sur les autres élèves tout en perturbant les relations avec les professeurs » (H P-R p. 86). Lionel Jospin, ministre de l’Education nationale depuis 1988 aurait dit qu’il était exclu d’exclure. Si le ministre se dérobe, la belle lettre que lui écrivent cinq intellectuels, Elisabeth Badinter, Régis Debray, Alain Finkielkraut, Elisabeth de Fontenay, Catherine Kinztler, ne manque, ni de lucidité, ni de fermeté. « Il est permis d’interdire » ; « Si l’on applique la loi qu’à ceux qui veulent bien s’y soumettre, comment un professeur peut-il exercer son métier ? », ils rappellent que « les appartenances ne doivent pas faire la loi à l’école », « le droit à la différence qui vous est si cher n’est une liberté que si elle est assortie du droit d’être différent de sa différence ». Et ils ajoutent : vous voulez, monsieur le ministre, une école où « chaque élève est constamment rendu à ses parents, rappelé à sa condition, rivé à ses "racines". C’est une école de la prédestination sociale. D’un même mouvement elle s’offre au monde de l’entreprise et aux dignitaires religieux…Vouée au libre examen, liée à l’essor des connaissances et confiante dans la seule lumière naturelle des hommes, la République a pour fondement l’école. C’est pourquoi la destruction de l’école précipiterait celle de la République » [5] [6]. A cette lettre, répond en écho l’appel courageux et non moins lucide de plusieurs intellectuels musulmans, appel publié dans le même numéro du Nouvel Observateur : « Nous sommes convaincus que la société française ne saurait s’ouvrir sans réticence à des populations de tradition islamique que si ses acquis fondamentaux ne sont pas remis en question. La laïcité est un de ces acquis. Elle est une arme donnée aux adversaires des ghettos, un moyen offert à ceux qui veulent s’arracher au poids des traditions qui violent des jeunes consciences. »
Mais Lionel Jospin reste sourd aux appels et plutôt que d’oser une décision, il saisit le Conseil d’Etat. Aussi irrésolu que le ministre, les conseillers rendent un avis pour le moins ambigu : le port de signe d’appartenance à une religion n’est pas en soi incompatible avec la laïcité, sauf s’il s’agit d’un acte de prosélytisme ou de provocation – ce dont il est bien difficile de faire la preuve, surtout lorsqu’il s’agit d’enfants…
Ainsi encouragés indirectement par l’une des plus hautes institutions de l’Etat, les cas vont se multiplier : 3 révélés en 1989, trois ans plus tard ils sont 300 et en 1994 ils passent à 3000. Sur ce sujet brûlant la gauche, défenseur historique de la laïcité, se divise. Si la majorité reste fermement attachée à la laïcité telle qu’elle s’est constituée à la Révolution et à la fin du XIXe siècle, une autre partie, qui comprend diverses variétés d’écologistes, de membres du PS, de journalistes, et bon nombre de sociologues, estime que le signe d’appartenance qu’est le foulard a moins un contenu religieux que social, qu’il traduit une protestation muette contre la pauvreté et la relégation dans ce qu’on appelle aujourd’hui les « quartiers » et donc qu’on ne saurait sans sectarisme l’accuser de remettre en cause la neutralité de l’enseignement. Les premiers, partisans d’une laïcité sans qualificatif (tel que : "ouverte", "fermée", "positive", "plurielle", "à la française", etc.), ironisent sur qu’ils estiment être une simple réaction sentimentale fondée sur la mauvaise conscience d’appartenir à un pays naguère colonisateur, sur une vision à la fois idéalisée et déformée de la réalité et ils s’indignent de l’accusation qu’on leur prête d’une surdité volontaire à la détresse sociale. Derrière un discours compassionnel et démobilisateur, les partisans inconditionnels de la laïcité voient aussi une intention politique qui fait parfois bon marché des principes (les Français supposés musulmans sont aussi des électeurs…). D’un côté, un plaidoyer, certes sympathique, mais qui veut ignorer la brutalité des faits. De l’autre la réaffirmation des principes mais l’incapacité à les faire respecter.
Après les élections de 2002 qui voient l’échec de Lionel Jospin dès le premier tour, derrière le candidat du Front national, c’est finalement la droite, revenue au pouvoir, qui va régler le problème des signes d’appartenance.
2-La loi du 17 mars 2004 et ses opposants.
A l’été 2003 Jacques Chirac désigne une commission d’experts qui sera présidée par Bernard Stasi. Homme du centre, B.Stasi (1930-2011) a été plusieurs fois ministre, modéré, courageux, il a son franc parler (il n’avait pas hésité, par ex. à condamner le coup d’état de Pinochet, ce qui lui avait coûté son portefeuille). Médiateur de la République de 1998 à 2004. Son rapport est sans ambiguïté, malgré l’opposition des trois principales religions sur l’objet du débat. La majorité des députés reprendra les conclusions du rapport, signées par tous les auteurs, sauf un (Jean Baubérot) [7].La loi du 17 mars 2004 comporte un seul article, (L 141-5-1), concis et clair : « Le port des signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. » Naturellement, les ennemis de la loi qui parlent et écrivent au nom de l’islam, découvrant soudain les vertus de la démocratie en Occident, font appel à la Cour européenne des Droits de l’Homme mais celle-ci leur donne tort. Ils n’en maintiennent pas moins leur pression, relayés par quelques militants qui croient voir du racisme dans ces mesures protectrices de la laïcité. Ainsi d’Edwy Plenel, fondateur et rédacteur en chef de Mediapart.
La réalité, c’est que les pays musulmans les plus conservateurs comme l’Arabie saoudite, qui inspirent et financent les mouvements islamistes, ne reconnaissent pas les Droits de l’Homme : ils prétendent – comme d’ailleurs la Chine mais pour des raisons différentes – que les DDH sont le masque idéologique d’un occident déterminé à dominer le monde. C’est pourquoi ils ont crée une instance qui leur est propre, l’Organisation de la Conférence islamique qui regroupe 57 états musulmans et qui comprend une commission censée représenter les « vrais » droits de l’homme, fort éloignés de la déclaration française de 1789 et de la déclaration universelle de 1948. L’une des actions prioritaires de cette organisation est de lutter contre ce qu’elle nomme « le blasphème », elle souhaite obtenir des autres Etats, musulmans ou non, une limitation de la liberté d’expression et que le « blasphème », placé parmi les crimes et délits, soit condamné comme tel [8]. Cette propagande liberticide qui persiste depuis bientôt une quinzaine d’années, n’a heureusement jamais abouti, du moins dans les pays occidentaux. Mais on comprend l’inquiétude de ces derniers, d’autant que déjà, dans certains pays musulmans comme que le Pakistan, ce que les tribunaux désignent comme « blasphème » est puni de la peine de mort [9]. Il n’est pas étonnant que des croyants fanatisés aient pu viser Charlie Hebdo, lequel a constamment été taxé d’ « islamophobie » par des sites internet comme SaphirNews – site apparemment libéral, en fait lié aux islamistes les plus rétrogrades, particulièrement à l’UOIF (Union des Organisations islamiques de France), elle-même inspirée par les Frères musulmans. La Commission islamique des droits de l’homme (IHRC), basée à Londres, décerne ainsi chaque année, un « prix de l’islamophobie international ». Le 7 mars 2015 elle a accordé le prix à Charlie Hebdo. Certains de ces membres auraient dit : on reproche aux musulmans de manquer d’humour, eh bien en voilà ! Humour noir peut-être, exécrable sûrement. D’autant que ces sinistres plaisantins osent faire porter aux journalistes la responsabilité des morts et des blessés, résultat des grandes manifestations qui ont eu lieu dans une partie du monde musulman à chaque fois que Charlie semblait mettre en cause le Prophète [10]. Il ne faut donc pas se laisser abuser par une certaine habileté rhétorique car ces soi disant libéraux, ainsi que le montre éloquemment l’exemple de Tariq Ramadan, n’hésitent pas à utiliser le langage des Occidentaux pour en détourner le sens au profit de leur propre idéologie. [11]
Membre de la Commission Stasi mais n’ayant pu assister aux délibérations finales, Régis Debray a donné son avis dans une longue lettre qui a pris la forme d’un ouvrage d’une cinquantaine de pages [12]. Si certaines affirmations peuvent être discutées (cf « Réhabiliter l’idée de communauté », raviver la laïcité en lui donnant « un cœur » dans une sorte de religion civile, assumer un « sacré républicain » qui prendrait modèle sur le culte du drapeau et de la nation par les Américains), d’autres vont dans le sens de la laïcité originelle, particulièrement lorsqu’elle concerne l’école [13].
La loi de 2004 a stoppé toutes les provocations au foulard sans soulever de violences. Par contre, et on ne sait trop pourquoi, elle ne s’applique toujours pas à l’Université. Mais une provocation, même manquée, en appelant une autre, des tenues vestimentaires couvrant tout le corps, visage compris (niqab et pire la burqa qui cache même les yeux par un tissu à mailles) ont alors fait leur apparition dans les rues ou autres lieux publics. La loi d’octobre 2010 y a mis, là aussi, bon ordre. Le respect de ces deux lois est bien une preuve, s’il en fallait une, que la détermination et le courage suffisent à pacifier les esprits.
3-Les religions meurtrières.
Toutes les religions, sauf rarissimes exceptions [14] constituent des facteurs de division. Et donc de violences, d’horribles violences (la Saint-Barthélemy fit 2500 morts rien qu’à Paris, la prise de Magdebourg en 1631 en fit 30 000). Dans un entretien avec un journaliste du Monde, l’historien Bernard Cottret [15] compare les abominations perpétrées par les deux camps, catholique et réformé, dans l’Europe des XVI-XVIIe siècles avec ceux du mouvement djihadiste aujourd’hui. Dans les deux cas on a affaire à une guerre purificatrice contre les hérétiques et les idolâtres : « Hier comme aujourd’hui, ces violences se caractérisent par la mise en scène de l’horreur et la volonté de la montrer au plus grand nombre. Car la guerre de religion est un dialogue avec Dieu : il faut lui montrer que l’on agit pour lui », ainsi « on défigure l’hérétique à coups de maillet, car il ne peut pas être à l’image de Dieu mais il est à l’image de Satan : on lui crève les yeux…on anticipe les supplices de l’Enfer en coupant le nez, les lèvres, les oreilles ; on fait manger des excréments puisque les hérétiques refusent le carême, etc. Le tout est reproduit ou raconté dans des libelles et des images qui n’ont rien à envier aux vidéos de Daech ». Elie Barnavi dans les Religions meurtrières [16] fait remarquer que les Saint Barthélemy ne sont pas propres au catholicisme. C’est que toutes les religions dogmatiques prétendent posséder la vérité [17]. Mais la vérité, comme Dieu, est une [18], quand on est assuré de la posséder, c’est que les autres sont dans l’erreur. C’est pourquoi, si l’on excepte le judaïsme qui est, quoi qu’on en dise, une religion ethnique se gardant de tout prosélytisme [19], elles ont constamment été en guerre les unes contre les autres [20] Guerres sanglantes ou paix armée, mais hostilités et conflits récurrents. C’est que lorsqu’elle est inspirée par des passions irrationnelles, la violence, sourde à tous les compromis, ne saurait s’arrêter. Seule une intervention extérieure peut contraindre à la paix. Ce sont donc les Etats et eux seuls qui imposent aux religions, grâce à des actes ou des traités, l’obligation d’arrêter les combats et de se supporter mutuellement. En Europe c’est l’Edit de Nantes (1598), en Allemagne c’est la paix d’Augsbourg (1555) fondée sur le principe Cujus regio, ejus religio (tous les sujets d’un Etat sont forcés d’adopter la religion de son prince) mais qui sera remise en cause par la pire des guerres qu’ait jamais connue l’Allemagne, puisque les terribles violences vont durer trente ans et se clore par les traités de Westphalie (1648), simple réédition dans le domaine religieux, de la paix d’Augsbourg…
Les tenants d’un islam politique font des croisades chrétiennes d’hier un argument contre l’occident d’aujourd’hui. Ils semblent oublier que dès ses origines, l’islam est associé à la violence. C’est pour échapper aux partisans de l’ancienne religion qui cherchaient à l’assassiner que le Prophète fuit jusqu’à Yathrib. Et ce n’est probablement pas l’apparition au ciel de quelques signes miraculeux mais des batailles perdues qui ont convaincu les Mecquois, donnant l’exemple aux autres tribus, de l’intérêt de la conversion. Il faut ajouter qu’à ces nomades du désert, le Prophète offrait des promesses de victoire sur les sédentaires, à la fois exaltantes et faciles. Aux bédouins dont la brutalité latente ne demande qu’à se déchaîner [21], la nouvelle religion explique tout, justifie tout : convertir les idolâtres à la vraie foi ouvre d’extraordinaires perspectives de butin, dont (surtout) des femmes, des territoires et le pouvoir qui les accompagne -, et en cas de mort glorieuse au combat, la certitude d’un merveilleux paradis peuplé de houris « aux grands yeux ».
4- Entre Dieu et César, des relations ambigües.
La neutralité de l’Etat est loin d’être toujours assurée, l’histoire offre de nombreux exemples où celui qui est à la tête s’entend à merveille avec l’une des religions dominantes, aux dépens des autres et bien entendu des citoyens qui n’adhèrent à aucune. Il arrive aussi que l’Etat n’ait plus qu’une existence formelle ou que, soumis aux pressions des factions, il soit dans l’incapacité d’imposer la moindre règle.
Deux exemples illustrent les rapports incestueux entre ce que H. Pena-Ruiz désigne comme Dieu et César [22] : l’accord entre les empereurs du IVe siècle et les évêques chrétiens, le concordat entre Bonaparte et le pape. Dans les deux cas, le temporel et le spirituel, s’entendent sur un partage du pouvoir. Constantin, de façon progressive, puis à la fin du siècle, Gratien et Théodose, de manière brutale, imposent le christianisme à tout l’empire. Débarrassés de la concurrence de ce qu’ils appellent avec mépris le paganisme, la religion des paysans, des « païens , les évêques gagnent d’importants privilèges, symboliques (honneurs), matériels (exemption d’impôts, propriétés de terres…) et politiques (concession de droits qui relèvent normalement de l’Etat, ainsi dans le domaine judiciaire). Quant aux empereurs ils obtiennent la soumission de fidèles, de plus en plus nombreux. Et lorsque les sujets - il n’y a plus de citoyens - ne se plient pas, résistent ou refusent la conversion imposée, l’Eglise s’empresse d’apporter son aide à l’Etat, avec toutes les armes spirituelles dont elle dispose (justification théologique, prêches, excommunication etc) [23]
Plus proche de nous, le concordat de1801-1802, toujours en vigueur en Alsace-Moselle, est on ne peut plus clair. C’est avec un parfait cynisme, bien dans le personnage, que Bonaparte s’entend avec l’Eglise romaine, puis avec les cultes protestants et juifs. Dans cette « Convention entre le gouvernement français et Sa Sainteté Pie VII », signée le 26 messidor de l’an IX de la République française (15 juillet 1801), chaque partie trouve ou espère trouver son avantage : l’Eglise, fort affectée par la Révolution, maintenant rétablie dans ses institutions et, sinon dans ses biens, du moins assurée que les prêtres seront rémunérés sur les finances publiques. Le premier consul, artisan d’un coup d’état, certes réussi, mais qui instaure une dictature dont la pérennité n’était pas garantie. Il fallait à Bonaparte l’appui que les premiers empereurs chrétiens avaient obtenu des évêques. Le moment était propice : l’Eglise abattue ne demandait qu’à se relever et elle était prête à en payer le prix. Aussi Bonaparte n’eut-il pas grande difficulté à obtenir du pape ce que son prédécesseur Pie VI avait refusé à la Révolution : la soumission et un appui quasi inconditionnel au nouveau pouvoir. Celui-ci nomme et donc contrôle les évêques (et par conséquent les prêtres). Par eux, l’Eglise de France s’engage « à garder obéissance et fidélité » au gouvernement et, non seulement à ne pas intriguer avec ses ennemis, mais à les dénoncer auprès des autorités civiles… Il faut reconnaître qu’en matière de realpolitik il est difficile de faire mieux que Napoléon …
5-Quand les religions prennent le pouvoir…
L’image a frappé les esprits : c’est celle de l’empereur du saint empire romain germanique à Canossa (janvier 1077), en plein hiver, pieds nus et en chemise dans la neige, devant le château de la comtesse Mathilde dans lequel s’est réfugié le pape Grégoire, septième du nom. Excommunié, l’empereur Henri IV, a perdu le soutien de ses vassaux qui se sont révoltés contre lui. Isolé, il n’a d’autre solution que de s’humilier devant le pape pour obtenir la levée de la sanction. Jusque là et depuis le passage de l’empire au christianisme, avait existé une sorte de partage informel du pouvoir entre le pape et l’empereur. Sauf dans l’empire d’Orient où les empereurs l’emportaient sur les patriarches - d’où l’expression des historiens de « césaro-papisme ». A partir du coup de force du pape Grégoire, les empereurs du Saint Empire, par ailleurs affaiblis, verront leurs prérogatives diminuées au profit de la papauté, celle-ci s’érigeant en tant que représentante de Dieu sur terre, comme un pouvoir qui légitime (ou non) tous les autres [24].
Mais affaiblir le pouvoir politique, c’est ouvrir un vide où s’engouffrent bientôt les fauteurs de désordres. Un état affaibli ou absent et c’est le déchaînement des passions et des intérêts, c’est la violence sans retenue des groupes religieux et ethniques. C’est ainsi qu’au Nigéria, aux lendemains de l’indépendance, un pouvoir mal assuré n’a pu, ni peut-être voulu, empêcher la guerre du Biafra (1967-1970), laquelle même si elle est plus complexe, est d’abord un conflit sans merci entre chrétiens du sud-est et musulmans du nord, conflit qui a fait, au bas mot, 3 millions de morts [25]. Autre ex. le Liban. Là, une aveugle décision de la puissance colonisatrice (« mandataire » !) qu’était la France avait abouti au partage de l’état entre les confessions. Il en est résulté, à partir de 1975, une interminable guerre civile jusqu’à ce que la Syrie n’y mette bon ordre, si l’on peut dire, en occupant le pays (1990). La « libanisation » s’est maintenant étendue à tout le Moyen-Orient ou presque. En Irak aujourd’hui, les sunnites, minoritaires, n’ont qu’une peur c’est que l’actuel gouvernement shiite, une fois assuré de son pouvoir et prenant sa revanche sur le temps de Saddam Hussein, ne les traite en citoyens de seconde zone, ou pire encore. En Syrie, en Irak et maintenant au Yémen, partout, des groupes se rattachant plus ou moins à une confession, s’affrontent dans des violences dont l’intensité croît avec le progrès des armes que leur livrent, directement ou par intermédiaires, et sans état d’âme – les états n’en ont pas : emploi oblige - les pays occidentaux, la Russie et la Chine.
Plus dangereux encore pour la liberté de conscience, quand la religion qui se substitue à l’Etat fait elle-même la loi. Selon Balzac la théocratie aurait même précédé la dualité des pouvoirs : « Ainsi, écrit-il, dans La Peau de chagrin [26] dans la plus haute antiquité, la force était dans la théocratie, le prêtre tenait le glaive et l’encensoir. Plus tard il y eut deux sacerdoces : le pontife et le roi ». « Toute religion est politique » écrit Elie Barnavi dans Les religions meurtrières [27]. Déjà le judaïsme des origines anticipait sur les deux autres religions du livre. C’est au nom de ce Dieu, avec lequel il vient de passer 40 jours et 40 nuits, qui a écrit, lui-même, sur une pierre, le fameux commandement « Tu ne tueras pas », que Moïse, décidant souverainement du châtiment des adorateurs du veau d’or, ordonne de passer au fil de l’épée « environ trois mille hommes » (Exode 32, 26-28). Etrange « justice » exécutée par des prêtres (la tribu de Lévi), en contradiction avec la morale la plus élémentaire, sans examen et sans appel. Peine de mort étendue par la suite à l’adultère, l’homosexualité ou tout simplement au travail le jour du shabbat…De même Mahomet a fondé une religion à prétentions politiques. A l’origine, moins rigoureuse, peut-être, que le judaïsme, car les interprétations du texte et des paroles prêtées au Prophète ont, au fil du temps, divergé selon les écoles. Mais, avec la « charia », on aboutit aujourd’hui à un code unifié qui porte sur des questions relevant, entre autre, du droit civil ou pénal et qui prévoit, par ex. un statut de la femme, dans bien des domaines inférieur à celui des hommes (répudiation par le mari, polygamie, droits restreints en matière de succession…), la peine de mort pour apostasie ou blasphème, une même peine par lapidation en cas d’adultère, l’amputation de la main du voleur etc. Peines et châtiments empruntés à la société bédouine, patriarcale et violente, du temps de Mahomet, nullement adaptés à la société moderne. Certains états musulmans n’appliquent pas la charia (ex de la Tunisie) ou seulement en partie (Maroc, Algérie) ou pas sur une fraction du territoire (Indonésie), mais d’autres l’appliquent rigoureusement, sans se soucier des condamnations internationales (Arabie saoudite, Pakistan…).
En fait, presque tous les dirigeants des états musulmans, à cause de leur incapacité, de la corruption et de méthodes brutales de gouvernement (cf Algérie d’après la guerre civile, Egypte d’aujourd’hui et bien d’autres) sont déconsidérés auprès de leurs peuples. En mal de légitimité, dit E.Barnavi, ils en rajoutent dans les mesures propres, croient-ils, à séduire les religieux : « Depuis les années soixante-dix, la charia est devenue source principale du droit ou seul code légal dans la plupart des pays du Maghreb, du Proche et du Moyen-Orient, ainsi qu’au Pakistan et dans les états musulmans de la fédération nigériane. ». Résultat, la barbarie a gagné sur toute la ligne. « Les procès pour homosexualité, apostasie et blasphème se multiplient ». Parfois la mobilisation internationale parvient à sauver quelques uns de ces malheureux « telle jeune femme condamnée au Nigéria à être enterrée vive et lapidée pour adultère, tel « apostat » afghan condamné à mort … qui a pu trouver refuge en Italie ». Mais la notoriété de certaines victimes (ex. Taslima Nasreen au Bangladesh poursuivie pour « blasphème », Faraj Foda, écrivain israélien « assassiné après que le recteur d’Al-Azhar l’a déclaré « apostat », ou cet autre écrivain égyptien, forcé à divorcer, lui aussi pour « apostasie », Mais pour tous ceux-là qui ont retenu l’attention du monde, « combien de sans- grade dont la vie est devenue un enfer sous la loi islamique ? » [28].
C’est aujourd’hui l’Iran qui va le plus loin dans la prise de pouvoir par les religieux. Lors de la « révolution » islamique de 1979, Khomeiny avait mis en place un système de gouvernement dans lequel la loi religieuse est devenue loi de l’Etat : au sens propre une théocratie, le « gouvernement de Dieu », dans les faits celui des prêtres (absents dans le sunnisme, mais bien présents dans les mouvements issus du « parti d’Ali ») qui dirigent d’une main de fer au nom de la divinité. Comme dans les pays communistes, c’est une apparence de démocratie - une assemblée élue, un président de la République également désigné au suffrage universel…- mais verrouillée de fait par des institutions parallèles. Ainsi un Conseil de surveillance, dont les membres sont nommés par le Guide suprême, contrôle les élections et les élus. D’autre part le « docteur de la loi islamique » (le Guide suprême) détient l’effectivité du pouvoir par son droit de véto sur toute décision importante, il peut donc imposer ses vues et même destituer le président de la République. Ali Kamenei n’est évidemment pas seul, il est entouré de mollahs de ses amis et il s’appuie, d’une part sur la milice du régime, les pasdarans (« guides de la Révolution »), d’autre part sur l’armée. De même que les hauts gradés de l’armée égyptienne (mais plus encore que ceux-ci) les pasdarans se sont enrichis en prenant des parts dans l’économie, le pétrole mais pas seulement. On comprend aisément leur attachement au régime. Le président Hassan Rohani est un réaliste, conscient des graves difficultés économiques du pays, dues en partie au boycott des Occidentaux, en partie à la chute des cours du pétrole - que son ennemie jurée, l’Arabie saoudite, ne s’empresse pas de faire remonter en réduisant sa propre production - il sait qu’il faut trouver d’urgence (d’ici le mois de juin 2015) un accord sur le nucléaire avec les Etats-Unis et l’Europe. Mais il sait aussi la grande fragilité de sa situation politique.
Malgré tout, depuis la disparition de Khomeiny (1989, l’année de la fatwa prononcée par l’ayatollah contre Salman Rushdie) l’Iran a évolué. Les femmes, les jeunes sont mieux informés des évènements mondiaux grâce à l’internet et à la télévision par satellite. Certes le « Mouvement vert » de juin 2009 a échoué, il y a eu des morts, des arrestations suivies de tortures. Mais, et c’est peut-être un espoir d’évolution : la bourgeoisie d’affaires, suivie d’une partie de la classe moyenne, a dit son mécontentement, et le clergé semble s’être détaché du régime. Un bon connaisseur de l’Iran, le franco-iranien Farhad Kosrokhavar (directeur d’études à l’EHESS) [29] utilise cette audacieuse formule pour caractériser le régime aujourd’hui : une théocratie non religieuse ! Il veut dire par là que, bien que composé de clercs, le petit groupe dirigeant a perdu le soutien de la majorité des religieux. Parmi d’autre raisons du mécontentement, ce motif très terrestre : le clergé vit d’un impôt, une sorte de dîme, prélevé sur le peuple. Or, celui-ci a été en partie détourné au profit de la caste dirigeante !
6-Que faire pour vivre ensemble et en paix ? John Locke et la tolérance.
Les constatations ci-dessus laissent perplexes : entre la tyrannie de l’une ou l’autre des deux puissances, entre, ce qui ne vaut guère mieux, leur entente pour se partager le pouvoir, ou pire, l’absence de toute autorité, on peut légitimement se poser la même question que Tchernychevski : que faire ? [30]. Que faire, comme le pensait le philosophe Pierre Bayle, pour que ce monde dans lequel chacun prétend détenir la vérité ne devienne un coupe-gorge ? [31] Les termes du problème semblent pourtant simples. Comment un état peut-il garder et faire observer par tous les acteurs du jeu social - individus, groupes, communautés et religions - la liberté de conscience des personnes ? En d’autres termes : de quelle manière peut-on assurer le lien social, ou, comme on dit maintenant, « faire société », en ne nuisant, ni au fonctionnement de l’Etat, ni à la liberté de conviction de tous et de chacun ? Sans apporter de réponses concrètes-ce n’est pas le rôle d’un philosophe - John Locke, dans sa Lettre sur la tolérance (1689), expose de façon pénétrante et avec une grande rigueur, les conditions qui permettent d’établir la tolérance et donc la paix civile [32]. Il raisonne en partant d’un même point. Au départ les deux pouvoirs, Etat et religions qui ont un objectif semblable : garantir sauvegarde ou salut à tous - à l’exception de deux catégories sur lesquelles je reviendrai. Cette (quasi) générale protection du corps et de l’esprit d’un côté, des âmes de l’autre, crée une confiance générale qui, seule, permet la cohésion de la société. Ce qui diffère ensuite, c’est le contenu et la mise en œuvre de cette garantie initiale. L’Etat et les Eglises (dans l’Angleterre du XVIIe siècle, le pluriel s’impose) ne gèrent pas le même signifiant et ils ne le font pas de façon identique. L’Etat a l’obligation de protéger les droits, les biens et la liberté des personnes [33].
Les églises ont la mission de sauver les âmes. Il faut préciser de suite que les biens ne sont pas seulement matériels, comme des propriétés ou de l’argent, ils incluent tout naturellement ceux de l’esprit, que nous rangerions aujourd’hui dans la catégorie des biens culturels, ainsi des sciences et des techniques, des arts, de la littérature, de la philosophie…, car tous relèvent de la raison, de la réflexion fondée sur l’observation et l’expérience humaines, bref les biens, qu’ils soient matériels ou intellectuels, sont de ce monde et pas de l’autre. Toute différente est la sauvegarde de l’âme qui implique un souci d’ordre métaphysique, un dessein de conduire les hommes dans l’au delà de cet univers, dans un autre monde où l’on ne peut accéder qu’après la mort. Tâche qui relève indubitablement de l’Eglise (ou des Eglises).
En reconnaissant un projet commun aux deux pouvoirs mais en différenciant absolument leur domaine et leurs méthodes, Locke argumente avec subtilité. Société civile et société religieuse ne doivent et ne peuvent agir que séparément : si l’une empiète sur le domaine de l’autre, ce sera aux dépens de sa propre efficacité. Imaginons par ex. qu’une église veuille contraindre une personne ou un groupe à abandonner leurs convictions au profit des siennes. Elle ne peut y parvenir avec ses seules armes, la persuasion, l’exhortation. Elle devra donc emprunter à l’Etat les siennes, les décisions de la loi et la force des armes pour les faire respecter. Mais en ce cas elle n’obtiendra qu’un mauvais résultat, une apparence d’adhésion, la nécessité de feindre, de mentir, ce qui sera désagréable à Dieu qui en accusera, non les faux convertis mais ceux qui les ont contraint. Car, écrit Locke, « il n’y a que la lumière qui puisse changer l’opinion de l’âme, lumière qui ne peut être produite en aucune façon par le supplice du corps » [34]. Il en sera de même si l’Etat décide d’obliger tous les citoyens à adhérer à la religion majoritaire qu’il professe : la vérité n’y gagnera rien. Chaque pouvoir a donc intérêt à demeurer dans le domaine qui est le sien. La solidité de l’association politique et donc la tranquillité de tous sont à ce prix.
Pourtant et bien curieusement, Locke exclut les athées de cette universelle tolérance. Et voici la raison qu’il donne : « Enfin, ceux qui nient l’existence d’un Dieu ne peuvent être tolérés. En effet, de la part d’un athée, ni la promesse, ni le contrat, ni le serment - qui forment les liens de la société humaine - ne peuvent être quelque chose de stable et de sacré ; à tel point que, l’idée même de Dieu supprimée, tous ces liens sont ruinés. D’ailleurs, aucun droit à la tolérance ne peut être réclamé au nom de la religion par celui dont l’athéisme supprime toute religion » [35]. Locke ne condamne pas l’athéisme en tant que tel, comme une doctrine perverse, mais du fait que personne ne saurait faire confiance à celui qui, par ses convictions ou plutôt son absence délibérée de conviction religieuse, ruine les fondements d’une société. Comme on l’a vu ci-dessus, le lien social est fondé sur l’accord des deux pouvoirs, chacun en son domaine, pour la sauvegarde et le salut des hommes, sur cette terre et dans l’autre monde. Il ne s’agit pas de l’alliance du trône et de l’autel mais, par des moyens et des objectifs différents, d’une promesse commune de protection des corps, des esprits et des âmes. Promesse des uns, croyance des autres fondée sur une même foi en un principe ultime, Dieu. Or l’athée, sans foi donc sans loi, n’est pas comme le reste des hommes, il ne peut, ni assurer la promesse de sauvegarde, ni participer à ses effets, ni en bénéficier : il s’exclut lui-même de la société. Etrange tolérance d’un corps social qui réduit au silence, emprisonne ou expulse l’un de ses membres. C’est à un autre philosophe, contemporain du précédent, le Français et protestant Pierre Bayle, que revient le mérite d’annoncer [36] la faiblesse de l’argument préalable de Locke : une société ne peut qu’être fondée sur la croyance en Dieu.
7-Pierre Bayle et la réintégration des athées dans le corps social.
Dans l’un de ses premiers grands ouvrages, Pensées sur la comète (1682) [37] Bayle démontre que l’athée n’ignore pas la morale, et qu’il ne menace en rien le corps social, ni l’ordre politique : « une société d’athées pratiquerait les actions civiles et morales aussi bien que les pratiquent les autres sociétés… » car la raison qui est en tout homme peut persuader « qu’il y a des choses honnêtes qu’il est beau et louable de faire … » [38]. Prés d’un siècle plus tard (1776) Diderot, dans l’Entretien d’un philosophe avec la Maréchale de*** [39] reprendra, sur le ton léger d’une conversation galante et pleine d’esprit, le même argument :
« -La Maréchale.- C’est donc vous qui ne croyez rien ?
-Crudeli.-moi-même
-La Maréchale.- Cependant votre morale est d’un croyant.
-Crudeli.-Pourquoi non, quand il est honnête homme ?
-La Maréchale.- Et cette morale là, vous la pratiquez ?
-Crudeli._De mon mieux.
-la Maréchale.- Quoi ! vous ne volez point, vous ne tuez point, vous ne pillez point ?
-Crudeli._Trés rarement… »
La Maréchale est stupéfaite d’entendre un athée dire qu’il a une morale et elle avoue que si elle était dans ce cas et qu’elle n’ait rien à craindre d’un dieu inexistant elle ne se priverait pas de « bien de petites douceurs » !…
Locke prétend que la loi civile ne saurait exister sans la foi religieuse ? (on ne peut avoir confiance en celui qui ne croit à rien). Bayle reprend le même argument mais en le retournant : c’est parce qu’il ne croit pas en un dieu que l’athée, isolé de la communauté croyante et donc plus vulnérable, est aussi plus sensible que les autres à la force des lois, à la crainte qu‘elles inspirent, d’autant qu’il ne peut espérer de pardon de Dieu, par l’intermédiaire de ses représentants sur cette terre, par Dieu lui-même après la mort. « un athée destitué de cette grande protection demeure justement exposé à toute la rigueur des lois » [40].
En réintégrant les athées dans le corps social, Bayle va donc plus loin que Locke sur le chemin de la tolérance. Cependant, C.Kintzler détecte une faiblesse ou plutôt une lacune dans son raisonnement : si la religion (qui prétend parler au nom de Dieu) n’est pas au fondement du pacte social, qui d’autre en est à l’origine ? Et sur ce point Bayle ne répond qu’en imaginant une société d’athées, en fait en évoquant une utopie, un monde crée à la suite d’un contrat spontané entre les hommes, d’où serait bannie toute violence, à l’intérieur, comme à l’extérieur et où chacun se contenterait de peu [41]. Ce monde de nulle part aurait-il représenté le modèle de la société soviétique, officiellement athée, du temps de Staline ? C.Kintlzler ne voit aucun rapport entre la fiction de Bayle et la réalité du temps de l’ex URSS. Ses deux principaux arguments emportent l’adhésion : l’athéisme officiel « l’apparente à la sphère du religieux » et surtout « l’obligation de l’incroyance comme doctrine n’est autre qu’une obligation d’appartenance », comme dans les Etats « où une religion officielle est imposée » c’est à dire dans la plupart des pays qui imposaient une religion monothéiste et qui, comme les pays d’islam, l’imposent encore aujourd’hui [42].
Avec Pierre Bayle la tolérance « élargie », la tolérance tout court, a gagné. Mais celle-ci ne résout pas tout. Le sens du mot l’indique : tolérer c’est supporter (un poids, un fardeau physique ou moral). Dans le domaine religieux, c’est accepter, au moins temporairement, ce qu’on ne pourrait empêcher sans prolonger ou provoquer de plus grands maux (cf édit de tolérance). Au siècle des Lumières le mot prend une connotation plus positive (cf Locke et plus tard Voltaire avec son Traité de la tolérance, 1763) [43]. Mais la tolérance n’a rien de définitif et les protestants français s’en sont bien aperçus lorsque Louis XIV, manquant à la parole de son ancêtre, révoque l’édit de Nantes (1685). L’écrivaine Danielle Sallenave ne voit dans la tolérance « qu’un armistice, non une paix » et elle affirme même que la tolérance « est un autre nom de la guerre » [44]. D’autre part, le problème de la nature du lien social reste entier. Dans sa phase extrême la Révolution française semble apporter une solution, celle d’une religion civile.
8- Un « sacré de remplacement » ? [45] Droits de l’Homme et du citoyen, culte de l’Être suprême.
L’un des premiers actes de l’Assemblée nationale révolutionnaire est d’élaborer une déclaration solennelle des droits. Des discussions très vives mais de haute tenue portent, entre autre, sur les fondements religieux ou non de cette déclaration. Finalement on s’accorde sur la mention de Dieu dans le préambule. Cependant, pour satisfaire la majorité, Dieu n’est désigné que par le caractère abstrait d’« Être suprême », il n’est cité qu’à la fin du préambule et quasiment comme un simple témoin : « En conséquence, l’Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême, les droits suivants de l’homme et du citoyen ». L’article X porte sur la liberté des opinions, « même religieuses », ce qui laisse supposer la liberté de l’incroyance et l’article XI place « la libre communication des pensées et des opinions » parmi « les droits les plus précieux de l’homme ». Pour juger de la commotion qu’a représentée cette déclaration, en France et dans le monde, il faut se rappeler de la place de l’Eglise depuis la révocation de l’édit de Nantes : adhésion obligatoire de tous à l’Eglise romaine, sous peine de très dures sanctions (les galères par ex.), assistance à la messe, également obligatoire et surveillée (le prêtre est chargé des dénonciations), respect du jeûne en Carême, participation aux baptêmes etc. Le blasphème et le sacrilège (suivant les définitions qui en sont données par l’Eglise) sont punis. L’Eglise reçoit la dîme, possède des biens, qui ne pouvant être vendus, s’accroissent régulièrement des dons des fidèles, enfin elle ne paie à l’Etat qu’un impôt symbolique (« gratuit » c’est à dire volontaire). Avec la Révolution elle sera considérablement affaiblie, dans son pouvoir, dans ses biens, dans son organisation. Les idées des Lumières sur la liberté de conscience semblent donc bien l’avoir emporté.
Mais le peuple n’est guère sensible aux abstractions, pour obtenir son adhésion il faut lui offrir des représentations symboliques, des cérémonies, des fêtes et des images, ce qu’ont bien compris les religions, y compris celles qui se veulent aniconiques (le bouddhisme et le christianisme des origines, le judaïsme et l’islam). Or en abaissant l’Eglise et en dépouillant la monarchie de son caractère sacral, la Révolution a produit un vide qu’il lui a fallu combler au plus vite pour donner du sens à son action. Ce qui explique les nombreuses fêtes civiques organisées, à Paris et en province. Et ces fêtes - comment faire autrement ?-, empruntent en partie leur cérémonial à la religion. Ainsi, la première, la fête de la Fédération (14 juillet 1790), à l’origine de notre fête du 14 juillet, comporte un serment civique et une promesse de s’entraider et de s’aimer toujours. Au centre du Champ de Mars s’élève un autel, transformant l’espace en un lieu sacré. Bien que gâchée en partie par la pluie, malgré l’inconfort des gradins de terre et l’inégale audition des orateurs, la cérémonie à laquelle assistait une foule énorme a vivement frappé les esprits, ce dont la presse, libre désormais, s’est fait l’écho les jours suivants. D’autres commémorations vont suivre, soigneusement préparées et tout aussi empreintes de solennité : 14 juillet 1791, toujours au Champ de Mars, en présence du roi, avec messe et Te Deum sur l’autel de la patrie, 11 juillet 1792, proclamation de la patrie en danger, avec autel, drapeau, canons, 14 juillet de la même année. Le 10 août 1793 est organisée une grande fête qui commémore l’Unité et l’Indivisibilité de la nouvelle République, dont le décor est dû au peintre David, la musique aux compositeurs Méhul et Gossec. « Sur les ruines de la Bastille, une statue de la Nature distribue par ses deux mamelles l’eau de la régénération ». Après s’y être abreuvé le cortège se rend jusqu’à la place de la Révolution (actuelle place de la Concorde) où sont brûlés les emblèmes de la monarchie. On arrive (enfin !) au Champ de Mars sur lequel est proclamée la Constitution (celle de l’an I qui vient d’être adoptée par la Convention) et aussitôt après, annoncée son immédiate suspension pour cause de guerre. L’historien Michel Péronnet [46] résume cette longue (et, on peut le supposer, épuisante ) journée : « Véritable voyage allégorique et initiatique dans le temps… ». une autre grande cérémonie a lieu, cette fois, en intérieur, dans l’ex cathédrale Notre-Dame, où sont honorées la Raison et la Liberté, incarnées par une actrice célèbre.
Mais le pire était à venir. Durant l’année où il exerce de fait, sinon de droit (les députés sont terrorisés), une impitoyable dictature (juillet 1793-juillet 1794), Robespierre critique les fêtes précédentes comme insuffisamment porteuses de sens moral et spirituel. On a dit Robespierre très influencé par les idées religieuses de Rousseau. En ce cas, Robespierre avait mal lu l’auteur de l’Emile et du Contrat social. La (re)lecture de la Profession de foi du Vicaire savoyard [47] ne fait apparaître aucune de ces « divagations idéologiques quelque peu fantaisistes » dont parle le grand historien britannique Eric J. Hobsbawm à propos du révolutionnaire… [48] et dont voici un ex. (extraits d’un rapport à la Convention du 18 floréal, an II, 7 mai 1794) : « Le fondement unique de la Société civile, c’est la morale…La révolution, qui tend à établir la République n’est que le passage du règne du crime à celui de la justice…L’idée de l’Être Suprême et de l’Immortalité de l’âme est un appel continuel à la justice ; elle est donc sociale et républicaine… ». Mais ce serait plutôt du Contrat social dont semble s’inspirer Robespierre. Dans le chapitre I du livre III intitulé « De la religion civile » Rousseau paraît suivre la même voie que Locke : « Sitôt que les hommes vivent en société il leur faut une Religion qui les y maintienne. Jamais peuple n’a subsisté ni ne subsistera sans Religion et si on ne lui en donnait point, de lui-même il s’en ferait une ou serait bientôt détruit ». ll précise sa pensée. Il y aurait trois sortes de religions, la seconde, en apparence, est la meilleure « en ce qu’elle réunit le culte divin et l’amour des loix (sic) et que faisant de la patrie l’objet de l’adoration des citoyens, elle leur apprend que servir l’Etat c’est servir Dieu. C’est une espèce de Théocratie dans laquelle l’Etat ne doit point avoir d’autres prêtres que ses magistrats. Alors, mourir pour son pays c’est aller au martire (sic) ; désobéir aux loix c’est être impie et sacrilège… » [49]. Mais il ajoute aussitôt que cette version de la religion est très mauvaise « en ce qu’étant fondée sur l’erreur et sur le mensonge elle trompe les hommes, les rend crédules et superstitieux, et noye (sic) le vrai culte de la divinité dans un vain cérémonial. Elle est mauvaise encore quand devenant exclusive et tirannique (sic) elle rend un peuple sanguinaire et intolérant en sorte qu’il ne respire que meurtre et massacre et croit faire une action sainte de tuer quiconque n’admet pas ses dieux et ses lois… ». On peut regretter l’interprétation erronée de Robespierre mais il n’est guère de remède contre une foi aveugle : le fanatique s’obstine à voir noir ce que tout le monde voit blanc et inversement...
Poursuivant dans son obsession faussement rousseauiste, le 18 floréal an II (7 mai 1794), Robespierre impose aux conventionnels de voter une loi dont l’article 1 stipule que « Le peuple français reconnaît l’existence de l’Être Suprême et de l’immortalité de l’âme ». Et c’est dans une folle accélération que se multiplient les fêtes commémoratives des grands évènements de la Révolution (14 juillet, 10 août, 21 janvier etc.), des vertus morales et civiques (une par décadi !) et le 20 prairial (8 juin 1794) c’est l’apothéose : ce jour là Robespierre préside au Champ de Mars, une fête comme on n’en avait encore jamais vu, celle de l’Être Suprême. Comme au 10 août de l’année précédente c’est David qui a été l’organisateur du nouveau culte, l’architecte de cette cathédrale en plein air, tout entière consacrée à la religion de la patrie. Peu auparavant, le même jour, au jardin des Tuileries, Robespierre avait mis le feu à une statue représentant l’athéisme. Puis l’impressionnant cortège avait pris le chemin du Champ de Mars où les attendait un éblouissant spectacle : au centre de cet espace, une montagne artificielle où prirent place députés, musiciens et chanteurs. Des nombreux vases s’échappaient les fumées de l’encens. Tout près, une colonne aussi haute que la montagne était garnie de trompettes qui donnaient les signaux. Au pied de la montagne, un char tiré par des bœufs aux cornes dorées portait les symboles de l’agriculture et des arts et métiers. La cérémonie, accompagnée de chœurs, fut magnifique. Trois semaines plus tard Robespierre et une centaine de ses partisans étaient guillotinés…La religion civile avait vécu [50].
9- Qu’est-ce donc que la laïcité, si malmenée aujourd’hui et pourquoi suscite t-elle tant de méfiance et parfois tant d’hostilité ?
Ecartons d’abord ce qu’elle n’est pas. Ce n’est ni une doctrine, ni une opinion parmi d’autres. Contrairement à ce que certains croient, ce n’est pas non plus l’affirmation d’une simple tolérance, pas plus qu’une arme contre les religions. Au contraire, de nombreux croyants, prenant en compte les leçons de l’histoire, revendiquent une distance salutaire à leur autonomie spirituelle, et des clercs eux-mêmes, du moins dans les confessions chrétiennes, reconnaissent que les interventions de leur église dans le domaine politique et dans la vie sociale, n’ont pas toujours été justifiées sur le plan de la foi, et qu’elles ont eu trop souvent des conséquences négatives sur l’image qu’ils en voulaient donner. La laïcité ne menace pas les religions dans leur fondement spirituel, elle les encourage à se libérer du carcan clérical. On vient de le voir avec Robespierre, le pire danger, pour les religions, comme pour la laïcité, c’est la sacralisation des institutions civiles, une religion sans dieu, ou plus exactement dans laquelle l’Etat remplace Dieu [51]. La laïcité ne promeut ni une doctrine philosophique, ni une idéologie politique, sans doute compte t-elle, parmi ses partisans la plupart des agnostiques et des athées, mais aussi des croyants de toute confession, y compris, ce qui pourrait pourtant sembler problématique, des musulmans. Dans un article de son Dictionnaire amoureux [52] H. Pena-Ruiz en donne une belle définition : c’est, dit-il, « un idéal d’émancipation. Elle unit les hommes par cela même qui les élève, à savoir la liberté, et non par ce qui les abaisse, à savoir la soumission ». La charte de la laïcité à l’école, rédigée en 2013 à l’initiative du ministre Vincent Peillon, qui est affichée dans toutes les écoles publiques, en offre un développement simple et clair. Le problème de ce type de placard, est qu’il n’est guère lu par les élèves, ni d’ailleurs par d’autres personnes. Il faut donc le commenter en classe. Ce qui, pédagogiquement ne devrait pas poser trop de problèmes. A condition bien sûr que l’établissement ne soit pas excessivement soumis aux passions extérieures, comme il en est beaucoup, hélas !
Précisons. La laïcité est d’abord un concept philosophique : la liberté de conscience et l’autonomie du jugement. Les philosophes de l’Antiquité ont affirmé l’absolue liberté de la conscience, Marc-Aurèle y voit « une citadelle intérieure » [53], même dans un régime qui serait soumis à la tyrannie d’une opinion : l’Eglise peut contraindre Galilée à abjurer ses affirmations astronomiques, celui-ci ne perd pas pour autant sa liberté de conscience ; « eppur si muove », aurait-il murmuré [54]…). Mais la liberté de conscience ne se réduit pas à la « spontanéité de l’opinion, dont l’impensé est souvent l’intériorisation du préjugé, voire l’abandon à la passion aveugle du moment ». Dans son principe la laïcité a donc partie liée « avec la vérité et la raison ». C’est même sa raison première : par delà les croyances, apprendre à juger, et donc, comme Descartes nous l’a montré, à d’abord douter. Sinon il ne servirait à rien de donner de bonnes lois au peuple « s’il ne sait, ni les exercer, ni les défendre ». Condorcet le dit clairement : « Le genre humain resterait partagé en deux classes : celle des hommes qui raisonnent, et celle des hommes qui croient, celle des maîtres et celle des esclaves » [55].
Admirateur de la science, poète, philosophe, utopiste social, le dominicain Thomas Campanella (1568-1639) à qui l’Eglise reprochait son indépendance d’esprit, ainsi que son soutien aux pauvres de Calabre en révolte contre leurs seigneurs, a passé 27 années de sa vie en prison. Mais, nature indomptable, il ne s’est pas rétracté et n’a jamais demandé la moindre grâce à ses bourreaux : il lui suffisait d’avoir du papier, de l’encre et des plumes [56]. A tel point qu’il a fini par faire l’admiration d’un pape plus large d’esprit que les autres, qui l’a fait libérer des geôles de l’Inquisition [57]. C’est à la fin du XVIIe siècle que s’ébauche ce qui deviendra au siècle suivant l’esprit des Lumières. Au terme d’une démonstration rigoureuse, Pierre Bayle écrit : « Donc il y a une loi éternelle et immuable qui oblige l’homme, à peine du plus grand péché mortel qu’il puisse commettre, de ne rien faire au mépris et malgré le dictamen de sa conscience ».
S’appuyant sur Condorcet dont elle a longuement étudié les écrits, la philosophe Catherine Kintzler poursuit l’analyse de la progression de méthode indiquée ci-dessus : de la tolérance restreinte de Locke à celle de Bayle qui accueille agnostiques et athées, à l’impasse d’une religion civile avec l’échec de la tentative d’organisation autoritaire d’un culte de l’Être Suprême par Robespierre. La laïcité ne représente pas le quatrième étage de cette progression, elle se place ailleurs, sur un plan radicalement différent des précédents. Elle ne vise pas à convaincre des hommes de bonne volonté qu’il est de leur intérêt à passer un accord de coexistence pacifique, elle ne cherche pas plus à faire s’entendre des croyants de différentes confessions et ces croyants avec des incroyants, et à garantir leur entente au moyen d’un contrat. Paradoxalement elle ne considère pas le réel (des religions ou de l’athéisme) mais le vide. La liberté de conscience est sans contenu, c’est un principe [58]. Et c’est par là, « dans la suspension théorique du réel », dans un espace abstrait, quelle va édifier, non une société ou une communauté, mais la condition théorique qui va permettre, ensuite, la construction d’une société. Cette démarche se passe de savoir si un tel adhère à telle religion ou à telle autre, ou s’il fait partie de ce groupe ou de cette communauté, ou s’il professe l’agnosticisme ou l’athéisme, ni quelles sont ses opinions politiques ou sociales etc. Mais cette abstraction d’ordre philosophique est d’une extraordinaire efficacité, car elle fonctionne, quelque soit la nature du réel et même en l’absence de toute réalité ! C.K. prend un ex. (ici légèrement modifié dans un souci de simplification),
celui d’un contrôleur qui fait remarquer à 4 voyageurs qui fument dans un train que la loi l’interdit. Nous ne l’ignorons pas, répondent les voyageurs, mais nous ne sommes que quatre et nous sommes tous d’accord. Il n’importe, dit le contrôleur, c’est la loi. Réponse bornée ? Nullement : il pourrait y avoir quelqu’un.
La loi n’a pas à se préoccuper de la réalité actuelle, elle généralise et ce faisant elle comprend tous les cas, toutes les situations, même les plus improbables. C’est cette fiction qui la rend universelle et qui fait sa force.
10- La laïcité face à l’islam et aux communautarismes.
Parce qu’elle est un principe et non une opinion, parce qu‘elle est la liberté de juger et de dire, qu’elle délie « ce qui oppose les hommes sans nier la singularité des héritages spirituels », la laïcité fait donc advenir plus que la tolérance, la concorde, en même temps qu’elle fonde le corps social. C’est en ce sens qu’on peut la dire universelle au même titre que les droits de l’Homme et du citoyen. Mais elle reste fragile, à la merci des divisions, d’un toujours possible retour des clercs dans la politique, de la naïveté, du manque de courage ou de la démagogie chez trop de ceux qui ont la charge d’éclairer le peuple. C’est par une évocation de problèmes liés à l’islam que s’est ouverte cette trop brève mise au point. Où en est-on actuellement ? Comme on nous invite, et d’ailleurs avec raison, à ne pas confondre l’islam vécu au quotidien avec l’islam politique (surtout « pas d’amalgame » nous répétait-on à la manifestation parisienne du 11 janvier), je n’évoquerai, bien qu’ils s’autorisent de l’islam, ni le terrorisme aveugle, ni les conflits qui bouleversent des pans entiers de l’Afrique et du Moyen-Orient.
Récemment paru et traduit en français, le témoignage d’un jeune palestinien n’incite guère à l’optimisme [59]. Waleed Al-Husseini est un jeune musulman, par choix devenu athée et condamné pour cette raison à la prison - dans d’autres pays que la Palestine, il aurait été condamné à mort, en Arabie saoudite, par ex. à la décapitation publique. Soumis à la pression de ses proches, de la police et de la justice, maltraité, il ne cède pas et, finalement libéré suite aux pressions internationales, il se réfugie en France où il est toujours. Ce qu’il faut particulièrement noter dans ce témoignage, c’est d’abord son itinéraire intellectuel : d’une famille appartenant à la classe moyenne, ce jeune homme, intelligent et curieux d’esprit, fait de bonnes études qui incluent des connaissances aussi bien dans le domaine de l’islam que de la culture occidentale. Peu à peu, il se met à douter mais, par respect pour ses parents, et particulièrement sa mère (à qui il dédiera son livre : « A Salwa, ma mère qui a respecté ma quête de Vérité et de Liberté ») et aussi par une légitime prudence, il n’ose avouer sa perplexité. Il est significatif du blocage intellectuel de l’islam traditionnel que les maîtres à qui, finalement, il ose s’adresser, ne répondent pas, ou répondent à côté de la question, ou montrent une irritation qui n’engage guère à poursuivre l’entretien. Il n’a donc comme ressource que les bibliothèques et internet. Et il lui est impossible d’avoir le moindre échange d’ordre intellectuel avec les jeunes qu’il fréquente. Finalement il se convainc de l’inexistence de Dieu et de l’illusion de la religion. Ce qui va le mener rapidement en prison et devant la justice. Son jugement sur l’islam réel est sévère. Il note la peur panique de la nouveauté et la haine suscitée par ceux qui semblent remettre en cause la tradition. « Dans la société palestinienne, les citoyens qui se battent pour la liberté d’expression et de culte courent de réels dangers et leurs familles vivent sous une menace permanente, tant de la part de la population de Cisjordanie que de l’Autorité palestinienne », « L’obscurantisme ne fait que s’étendre dans la société palestinienne et je continue à être menacé personnellement ou indirectement à travers mes proches », « Ils te disent que l’Islam a libéré la femme et l’a mise sur un pied d’égalité avec l’homme. Mais ils défendent la polygamie, autorisent le châtiment corporel de la femme, refusent son témoignage et la privent d’héritage ». Et découvrant la laïcité vécue en France il a cette réflexion, en guise d’avertissement : Je souhaite, dit-il, faire prendre conscience aux non musulmans « du danger que constitue l’Islam pour la laïcité en France ».
En fait le danger pour la laïcité est moins la religion que son expression dans et par une communauté. Que des immigrés, à leur arrivée en France, se soient retrouvés dans les mêmes espaces d’habitation bon marché, fréquentant les mêmes commerces et les mêmes lieux où ils pouvaient espérer une certaine convivialité n’a rien de surprenant. Privés de repères et des codes habituels, maîtrisant insuffisamment la langue orale et encore moins l’écrit, mal à l’aise avec des habitudes de vie qui n’étaient pas les leurs, comment s’étonner que, tout naturellement, ils aient cherché la chaleur du groupe ? Le terme d’apartheid, récemment utilisé par le premier ministre, convenait à la réalité sud africaine de 1950-1990, mais nullement à celle des quartiers de la banlieue parisienne ou d’autres grandes villes à majorité musulmane. On retrouve le même phénomène avec d’autres populations, par ex. les juifs avant la guerre, regroupés dans le quartier du Marais à Paris, parce que c’était là qu’ils trouvaient du travail (souvent dans le textile). Mais, pour différentes raisons, les choses ont changé. La communauté est devenue un monde à part, séparée des autres, repliée sur elle-même mais perméable à tous les trafics et à toutes les idéologies religieuses, même et surtout les pires. Dans Le Monde du 1er avril 2015 le journaliste Gérard Courtois le fait remarquer : « La laïcité peine à faire barrage au communautarisme ». Car le mot et la chose sont là : le communautarisme. Dans la France « une et indivisible » on parle maintenant de « communautés », comme si c’était quelque chose de naturel et les hommes politiques, comme les journalistes désignent ainsi les Arméniens (d’autant que 2015 appelle la commémoration de ce que, malgré Erdogan, il faut bien appeler un génocide), les juifs, les musulmans. Mêlant dans la confusion histoire commune, traditions culinaires ou autres, ethnie, religion - alors qu’il existe nombre de juifs athées et de quel droit enfermerait-on tous les Français qu’on désigne comme musulmans, dans une religion que certains ont peut-être abandonnée ? (le délit d’apostasie n’existant plus dans une France heureusement laïque).
Il n’y a rien de pire que d’être confiné, physiquement, culturellement. Or la communauté enferme, le communautarisme impose, ses normes, ses valeurs, une forme de la religion. La pression du groupe peut être redoutable. A moindre échelle, le communautarisme fonctionne en France comme dans la quasi totalité des pays musulmans. Il veut que les jeunes filles portent le voile à l’école, que des élèves ne suivent pas tel ou tel cours, que les femmes aient une tenue vestimentaire spéciale dans la rue et dans les lieux publics, qu’elles fréquentent des piscines séparées (encore faut-il qu’elles soient autorisées à s’y rendre), qu’elles ne se fassent soigner que par des médecins du même sexe …Un fait divers récent est révélateur : à Nice un boulanger vient d’être agressé et blessé par un coreligionnaire qui estimait qu’il s’agissait d’un mauvais musulman. Les Français juifs ne sont pas épargnés par la montée d’un communautarisme à fondement religieux : c’est ainsi que les pressions se font vives pour supprimer cours et examens le samedi dans certains lycées, ce qui peut causer de grandes difficultés dans l’organisation des emplois du temps et la répartition des salles. Il serait bon, pourtant, de se souvenir de la formule du comte de Clermont-Tonnerre, député à l’assemblée nationale constituante, appelant dès décembre 1789 à l’émancipation des juifs (celle-ci ne sera votée qu’en septembre 1791) : « Il faut tout refuser aux juifs comme nation ; il faut tout leur accorder comme individus ; il faut qu’ils soient citoyens ». Mais déjà à l’époque les juifs étaient divisés, en Alsace, par ex., ils possédaient un fort sentiment communautaire alimenté par la religion, c’est pourquoi un projet comme celui qui vient d’être évoqué ne leur plaisait guère, au contraire ils demandent à conserver « notre synagogue, nos rabbins et nos syndics », alors que les juifs parisiens ainsi que ceux du sud-ouest veulent être débarrassés de la tutelle des rabbins que beaucoup jugent étouffante…C’est pourquoi aujourd’hui, les responsables politiques qui parlent de la « communauté » juive sont, ou ignorants, ou bien imprudents. En tout cas ils devraient se souvenir que le communautarisme n’a pas sa place dans la République.
On peut s’interroger : l’islam est-il compatible avec la laïcité ? Ce n’est pas parce qu’un parti politique d’extrême droite, ayant abandonné tactiquement le thème de l’antisémitisme (lequel d’ailleurs ne faisait plus guère recette depuis des années), fait de la « communauté » musulmane le bouc émissaire des difficultés que connaît notre pays, qu’il faut regarder ailleurs. D’ailleurs des Français musulmans ou d’origine musulmane, nous pressent de les aider en posant les bonnes questions. En fait on peut s’interroger de trois façons différentes, celle indiquée ci-dessus, ou : les pratiques actuelles des musulmans de France peuvent-elles évoluer et de quelle manière, de façon à s’adapter aux exigences du vivre ensemble d’une société laïque ? Enfin on peut être plus ambitieux (ou plus utopiste ?) : constatant que les pratiques actuelles de l’islam sont issues des habitudes et coutumes de l’Arabie du temps du Prophète, les théologiens sont-ils capables (et en ont-ils la volonté ?) de les adapter au monde dans lequel nous vivons ? autrement dit, l’islam peut-il faire, comme l’a fait, en partie, le catholicisme avec le concile Vatican II, son aggiornamento ? A ces trois questions, on est tenté de répondre avec réalisme par la négative. Ou alors l’islam sera fort différent. Il y a déjà une quarantaine d’années, dans sa biographie de Mahomet, l’islamologue qu’était Maxime Rodinson avait fort bien expliqué comment le Prophète avait été contraint, par la force des choses, de fonder une nouvelle tribu, qui après sa mort, deviendrait le califat que nous connaissons. Rodinson résume son analyse en quelques mots et de façon lumineuse dans la préface à un ouvrage de cet autre grand islamologue qu’était Bernard Lewis [60] : au début du VIIe siècle, les populations vivant dans la péninsule arabique sont regroupées en des sortes de micro- états, des tribus pratiquement indépendantes les unes des autres : « …la petite secte religieuse nouvelle des musulmans s’est trouvée contrainte par les circonstances à se constituer elle aussi en une sorte de tribu, d’un genre nouveau il est vrai. Le critère d’appartenance en effet n’en était plus la descendance, mais l’adhésion à un credo. En même temps pourtant, c’était un organisme politique comme l’étaient les tribus. Le chef suprême en était à la fois le dirigeant idéologique, qui définissait les dogmes, les rites et les institutions en vertu de l’inspiration divine, et le dirigeant politique, prenant les décisions nécessaires sur tous les problèmes internes et externes que la vie posait au groupe chaque jour ». On voit, parfaitement résumé, la nature réelle de ce qui va devenir l’immense empire musulman : une théocratie. En admettant que celle-ci ait changé quelque peu de forme, l’essentiel de son contenu est toujours là. Rodinson le rappelle : « l’idéal de cet Etat idéologico-politique subsista jusqu’à nos jours… », et les musulmans du monde entier continuent « à se représenter l’Etat musulman authentique, légitime, idéal comme combinant les deux compétences ainsi que cela avait été le cas dans le noyau primitif, à Médine ». Il n’est pas nécessaire de réfléchir plus avant : même si dans les pays musulmans actuels le centralisme est moins évident qu’il ne l’était du temps glorieux des califes, il n’est pas plus susceptible d’évolution vers la démocratie que ne l’était la défunte Union soviétique…Mais, objectera t-on, nous ne parlons pas de l’Arabie saoudite, du Maroc ou de l’Egypte, mais de la France. Hélas ! la France n’est pas une ile et sur ce point Trotski avait raison sur Staline : pas plus que le communisme, l’islam ne peut exister dans un seul pays, il a, comme son ennemi juré, le christianisme, vocation à vivre dans le monde entier. Pratiquement il faut bien envisager quelques accommodements avec les "infidèles" puisque, pour l’instant, ils sont les plus nombreux et les plus forts. Mais, ainsi qu’on le constate avec le nouveau calife de l’EI, le rêve d’islam, dans sa pureté originelle, n’a pas disparu. En France le salafisme, doctrine qui prône le retour à la « vraie » religion, celle du prophète et des premiers califes (salaf =« les ancêtres », qu’on retrouve au XVIIIe siècle dans le wahhabisme qui inspire encore aujourd’hui la monarchie saoudienne) semble se développer dans les mosquées.
Faut-il pour autant désespérer et pleurer la laïcité ? Peut-être pas. Parmi les cinq millions (supposés) de musulmans vivant en France, combien sont décidés à se sacrifier (et à sacrifier les autres) pour réaliser l’utopie des temps anciens ? Et combien veulent vivre et profiter du confort d’une société moderne ? Et de ses libertés ? Et de son école, qui malgré tous ses défauts, reste encore, même si la cage est diminuée et un peu rouillée, un ascenseur social ?
Pour conclure.
Loin d’être une opinion parmi d’autres la laïcité est un principe permettant de garantir la liberté de pensée et l’égalité de droits entre tous les citoyens.
Ce principe s’incarne politiquement et juridiquement dans une loi, dite de séparation des églises et de l’Etat.
Ce principe :
1- justifie l’intervention de l’Etat pour prévenir tout retour des conflits entre les religions qui ont marqué l’histoire et assurer ainsi, plus que la tolérance, la paix civile.
2- légitime l’intervention de l’Etat contre les empiétements traditionnels des églises (« cléricalisme ») dans l’espace public (par ex. pressions plus ou moins discrètes sur les partis et les hommes politiques pour obtenir des avantages matériels ou financiers, pour limiter ou interdire des comportements et pratiques autorisés par la loi comme le divorce, la contraception, l’IVG ou l’homosexualité, des critiques qui déplaisent dans les médias, spectacles ou œuvres littéraires etc.).
3- encourage les pouvoirs publics dans leur résistance aux communautarismes qui séparent les citoyens, enferment et étouffent la liberté de pensée.
4- soutient l’action de l’Etat en faveur d’une instruction pour tous dont le but premier est, par une mise à distance des opinions et des intérêts, de développer la réflexion critique.
Il est vrai que ce principe est aujourd’hui sérieusement remis en cause, y compris par des hommes politiques dont la première mission serait de le défendre. L’exemple américain pourtant devrait inciter à plus de clairvoyance et de courage civique. Les Etats-Unis qui ne connaissent pas la laïcité semblent se contenter de la tolérance restreinte définie par Locke : un modus vivendi entre toutes les confessions. Et celles-ci sont définies sans rigueur : n’importe quelle organisation qui se prétend religieuse, fût-elle sectaire, a droit à l’appellation de religion. Label fort prisé dans un pays qui révère l’argent car les religions sont en grande partie dispensées du paiement de l’impôt. On a vu par exemple la très riche secte de scientologie transformer son nom en « Eglise de scientologie » et obtenir aussitôt les avantages financiers d’une religion. Par contre les indifférents en matière de croyance, les agnostiques et les athées risquent la stigmatisation comme mauvais citoyens, du fait, comme le prétendait Locke d’une amoralité supposée et donc de l’impossibilité de leur accorder la confiance à la base du lien civique. Sans doute l’Etat et les Eglises sont-ils séparés aux Etats-Unis, mais pas Etat et religion : le président prête serment sur la Bible, les billets de banque portent la mention « In God we trust », en fait la religion est partout présente. Imagine t-on un instant que les Américains puissent élire un athée à la présidence de la République ? En France, un préjugé fréquent, soigneusement attisé par les ennemis de la laïcité, voudrait que celle-ci soit le visage masqué d’un athéisme militant. C’est ainsi qu’Henri Pena-Ruiz, grand défenseur de la laïcité, est souvent qualifié de « laïciste » ou « laïcard ». Pourtant, un de ses collègues philosophes, Guy Coq est un partisan aussi convaincu (et convaincant) de la laïcité. Or Guy Coq, membre du comité de rédaction de la revue Esprit, ne cache pas son appartenance religieuse. Il existe, il est vrai, des athées qui proclament, claironnent leur conviction. C’est le cas de Danielle Sallenave : « Osons, dit elle, en toutes choses être des athées résolus, méthodiques et gais ». C’est aussi celui de ce philosophe d’origine turque, Franck Henry Timour, qui dénonce les religions comme étant cause de tous les malheurs de l’humanité [61] [62] Mais il faut bien mal connaître, et l’homme et son œuvre, pour ranger H. P-R dans le camp de ces militants. Lui n’accuse, ni ne dénonce et encore moins invective : s’appuyant sur une vaste culture, tant historique que littéraire et philosophique, il démontre, de manière posée, ferme, rigoureuse, dans une langue claire et limpide. C’est justement sa hauteur de vues, la précision de sa pensée, son inflexibilité de jugement, en résumé sa supériorité intellectuelle, qui effraient ses ennemis, incapables d’argumenter avec lui, de lui répondre autrement que par des objections de peu de valeur.
Bien que la laïcité soit de nulle part, ce n’est pas un rêve, ce n’est pas une utopie, elle est bien réelle, incarnée dans la belle figure de Marianne. Et elle est infiniment précieuse : toutes les femmes et tous les hommes de bonne volonté doivent être mobilisés pour sa préservation. Ce qu’ils défendront ainsi c’est l’absolu de la liberté intellectuelle, la liberté de conscience, celle de penser et de dire sans autre contrainte que les justes bornes établies par la loi ; et en parallèle c’est aussi la condition d’établissement d’un contrat entre des individus dont certains, par héritage ou par choix, se reconnaissent dans des groupes religieux ou ethniques mais où ils peuvent entrer ou sortir à leur guise, et la République une et indivisible, ouverte sur l’universel.
[1] Avertissement. L’exposé, assez bref, ne prétend pas se substituer aux ouvrages cités dans les notes : il a pour seule ambition d’aider à prendre rapidement une vue synthétique des conflits et des enjeux dont la laïcité fait aujourd’hui l’objet. Si je l’ai augmenté de nombreuses références et compléments, ainsi parfois que de commentaires, ce n’est pas pour me retrancher derrière quelque bastion d’autorités. J’ai seulement songé au lecteur qui souhaiterait poursuivre la réflexion par des lectures plus substantielles.
La laïcité est fille des Lumières, c’est pourquoi je me réfère fréquemment au XVIIIe siècle. A ce propos je dois une explication sur les dates des éditions utilisées qui peuvent paraître vieillies (de 1950 aux années 1970). La raison est que je disposais déjà de la quasi totalité des auteurs du siècle publiés dans la Bibliothèque de la Pléiade grâce à mon épouse littéraire et dix-huitiémiste. Celle-ci m’avait souvent entretenu de ses recherches et j’ai retrouvé dans plusieurs ouvrages, ses marques, gloses et notes explicatives : c’est par fidélité à la mémoire de celle dont j’admirais l’intelligence dans l’interprétation des textes et la fermeté du jugement que j’ai utilisé en priorité ces éditions. Cependant, à chaque fois que cela m’a été possible, j’ai en ajouté d’autres, des mêmes œuvres mais plus récentes.
Dans la rédaction de cet exposé, je me suis beaucoup appuyé sur les philosophes, ceux du grand siècle ainsi que disait Michelet, le siècle de la raison (Locke, Bayle, Voltaire, Diderot, Rousseau), comme ceux d’aujourd’hui qui font profession d’aider à penser : je suis particulièrement redevable à Mme Catherine Kintzler, professeur émérite à l’université de Lille, Henri Pena-Ruiz, qui a longtemps enseigné en classe préparatoire puis à Sciences Po Paris, au spécialiste de médiologie et brillant essayiste qu’est Régis Debray, mais je n’aurais garde d’oublier les historiens, mention particulière étant faite pour Elie Barnavi, professeur à l’université de Tel-Aviv, ainsi que les journalistes, telle Caroline Fourest.
[2] Postérieure à la loi Debré, la loi Carle – sept. 2009 – qui fait obligation à une commune de subventionner une école privée – presque toujours catholique – située dans une autre commune, lorsque des parents décident d’y inscrire leur enfant, semble être passée inaperçue dans l’opinion publique.
[3] En fait les journalistes vont révéler que d’autres établissements scolaires avaient déjà été touchés par le port du voile mais la loi du silence – surtout ne pas faire de vagues – avait empêché qu’ils soient connus.
[4] Henri Pena-Ruiz : Histoire de la laïcité, genèse d’un idéal (1985)
[5] Appel publié par Le Nouvel Observateur, 2 novembre 1989. On trouvera l’intégralité de cet appel dans le n° spécial de Marianne, Les Textes de février 2015, id pour la lettre des intellectuels musulmans. On peut y ajouter ces quelques lignes de Soheib Bencheikh : « Paradoxalement, aujourd’hui, ce qui préserve la personnalité et assure l’avenir de la jeune fille, c’est l’école. C’est en s’instruisant que la femme peut se défendre contre toute atteinte à sa féminité et à sa dignité. Aujourd’hui, le voile de la musulmane en France c’est l’école laïque, gratuite et obligatoire » (cit. in Caroline Fourest…p.74). Cet appel et le texte des intellectuels musulmans, méritent d’être étudiés dans des grandes classes.
[6] Lire Foulard islamique : « Profs, ne capitulons pas ! » (Le Nouvel Observateur, 2 nov. 89) et la note de lecture de Patrick Kessel "Laïcité, une valeur menacée ?" (Marianne)... mais défendue ! (note du CLR).
[7] Jean Bauberot qui a fait des études d’histoire et de sociologie s’est spécialisé dans l’étude du fait religieux. Il n’est pas opposé à la laïcité, sauf qu’il en donne une interprétation nettement inspirée par ses propres croyances et pas toujours objective.
[8] Sur le sujet du blasphème dans les trois monothéismes ainsi que dans le sikhisme et le bouddhisme, comprenant des compléments sur la législation de plusieurs pays, il aisé de consulter l’article que Caroline Fourest et Flammetta Venner lui ont consacré dans leur excellent petit ouvrage Les interdits religieux pp 40-63, éd. Dalloz, 2010 (prix :3€ !).
[9] Dans Les interdits religieux, ouv. cit., les auteurs notent qu’à la différence de la Bible hébraïque qui contient de « très nombreuses menaces interdisant de blasphémer », le Coran ne cite qu’une seule fois le blasphème, sans prévoir de sanctions en ce monde contre celui qui s’en rendrait coupable : c’est la tradition et les interprétations des religieux, reprises par des gouvernements, comme ceux de l’Egypte, de l’Afghanistan et surtout du Pakistan, soucieux de plaire à des peuples ignorants et fanatiques, qui ont prévu des sanctions pénales, souvent la peine de mort.
[10] Les membres de cette commission, dite des « droits de l’homme » se sont gardés de préciser la religion des victimes. Sans doute l’ignoraient-ils ?
[11] Ce n’est pas que le piétisme des Frères musulmans ou celui des salafistes présente, en lui-même, un grand danger, du moins dans les pays où règne la tolérance mais, partout, il conduit presque inévitablement les âmes faibles et influençables dans la voie du fanatisme politique. V. Le Monde du 2 avril 2015, p.17 : « Le salafisme gagne du terrain chez les musulmans », y compris à la campagne ou dans de petites villes comme à Marvejols en Lozère, où plusieurs familles venant de Montpellier se sont installées, de même dans l’Ariège et la Drôme. Et toutes les femmes, jeunes filles comprises, portent le niqab ou le jilbab. (pour une image de ces vêtements qui cachent le corps et la tête, il suffit d’ouvrir les nombreux sites commerciaux sur internet…). Dans leur repli identitaire et dans leur comportement ces groupes évoquent les sectes, à l’exception, peut-être, d’un prosélytisme direct.
[12] Régis Debray : Ce que le voile nous voile, la République et le sacré (2004). Il expose un point de vue équilibré, passant en revue « les objections à la voie législative » (pp 10-14), mais concluant finalement pour le « tranchant d’une loi », d’une part pour que cesse « l’ambiguïté, le flou et la restriction mentale », autrement dit pour, qu’enfin, les politiques et les magistrats fassent preuve de courage (p. 17) et aussi parce que la loi n’a pas qu’une fonction répressive mais expressive : elle permet un affichage « à bonne hauteur ».
[13] Fidèle au grand professeur de philosophie qu’a été Jacques Muglioni, Régis Debray insiste sur le fait qu’une école est d’abord un lieu où des maîtres sont chargés d’instruire, c’est à dire, comme l’indique l’étymologie, de mettre de l’ordre dans les esprits (de même qu’à l’armée on instruisait les nouvelles recrues, qu’on instruit une cause au tribunal), ce qui impose, dans le même mouvement, une discipline du corps et d’abord l’attention. Car ce dont les élève ont besoin, ce n’est pas d’un animateur, d’un meneur de jeu ou d’un confident de leurs états d’âme, mais d’un professeur : il faut d’abord un maître, disait Jacques Muglioni, pour apprendre à se passer de maître. C’est pourquoi doivent être jugées sans complaisance les dérives pédagogisantes de l’école actuelle, soumise à son environnement et dans laquelle, au nom d’un soi-disant modernisme, on a laissé entrer les bruits, la fureur et les violences du monde. « Il y avait, écrit R. Debray, en certain sens plus de laïcité dans les collèges jésuites d’antan, avec leurs obligations disciplinaires et la mise en veilleuse des échos du dehors, qu’il n’y en a dans nos collèges en forme de terrains vagues où le brouhaha empêche toute concentration des esprits ».(p.23)
Il faut remercier Régis Debray pour le très bel et très juste hommage qu’il a rendu à Jacques Muglioni dans l’ouvrage collectif Les Préaux de la République (Elisabeth Badinter et alii, 1991), v. Eloge de nos maîtres pp 13-24. A son témoignage j’ajoute une anecdote : en classe préparatoire (du moins à Henri IV) il était d’usage de donner du « maître » à un professeur : c’était une façon de marquer du respect sans solennité, avec au contraire une légère pointe d’ironie. Mais lorsqu’on s’adressait à J. Muglioni, toute ironie disparaissait pour laisser place au seul respect. Lorsqu’il a été appelé à l’inspection générale, ses élèves, loin de s’en réjouir, ont été désolés : une délégation est allée le prier avec insistance de bien vouloir rester à son poste de professeur, considérant son départ comme une sorte de désertion !
[14] Il faut mettre à part la « Société des Amis » que ses adversaires, par dérision, ont appelé « quakers » (Les Trembleurs), tant par son contenu de foi, que par le comportement de ses adeptes. Groupe d’origine protestante qui se refuse à tout prosélytisme (afin, disent ses adeptes, de ne pas forcer les consciences …), « Eglise » sans dogme et sans rites, d’une admirable tolérance envers les autres (athées compris !) et dont les membres s’efforcent (et y parviennent souvent) de vivre leur foi (ex. refus de toute violence, donc du service militaire, refus de prêter serment devant les tribunaux, au motif que n’ayant qu’une seule parole, ils n’ont pas à répéter qu’ils diront la vérité etc). Bien que peu nombreux, les « Amis » ont joué et continuent de jouer un rôle important dans la vie sociale : ils ont été à la pointe du combat pour l’égalité hommes-femmes : dès le milieu du XVIIe siècle, dans les assemblées du culte, les femmes prenaient la parole au même titre que les hommes, parmi les premiers à revendiquer la participation des femmes à la vie politique, parmi les premiers aussi à lutter contre l’esclavage, pour l’humanisation des prisons dans l’Angleterre du XIXe, l’aide aux déshérités et à tous les persécutés, quelle que soit leur origine ethnique…La liste de leurs engagements et de leurs actions serait fort longue. Dans les Lettres philosophiques Voltaire leur consacre ses quatre premières lettres, il présente leur foi et leur comportement de façon plaisante, avec son ironie habituelle mais sans cacher la sympathie qu’ils lui inspirent. (Lettres philosophiques, Bibliothèque de la Pléiade,1965, pp.2-14). On peut aussi recourir à l’éd. Garnier qui comporte une préface de Roland Naves, des repères chronologiques et des illustrations : on y voit, entre autre, une femme juchée sur un tonneau qui prêche devant la foule des quakers (1969, pp.1-22)
[15] Le Monde du 28 mars 2015, supplém. Culture & Idées, p.7
[16] Elie Barnavi : Les religions meutrières (2006). L’auteur, professeur à l’université de Tel-Aviv, spécialiste d’histoire moderne, ancien ambassadeur d’Israël en France, francophile, a écrit, entre autre, plusieurs ouvrages sur les religions dans l’histoire, dont Tuez les tous ! la guerre de religion à travers l’histoire VIIe-XXIe siècle, 2006. D’une intelligence supérieure, avec l’expérience de l’universitaire comme du politique, E.Barnavi a un sens aigu des réalités de ce monde qu’il expose à ses lecteurs avec une grande clarté et une franchise de langage qu’on est surpris de trouver chez un ancien diplomate. C’est sans réserve aucune et pour tous qu’il faut recommander la lecture de ses ouvrages.
[17] Se rappeler dans le Zadig de Voltaire la dispute cocasse – et qui heureusement se termine bien – du Souper !
[18] Ce n’est pas le cas des religions orientales comme le bouddhisme, ce qui peut s’expliquer par l’absence de dogme : ainsi l’empereur Asoka (IIIe s av notre ère) avait fait graver sur des rochers une inscription appelant à la concorde entre toutes les religions de son empire et il justifiait cette tolérance par la vérité qui était en chacune d’elles. V. Walpola Rahuna : L’enseignement du Bouddha, d’après les textes les plus anciens (2014). Ce qui n’empêche pas aujourd’hui les luttes sanglantes en Malaisie entre bouddhistes et musulmans…
[19] Jean Soler : Qui est Dieu ? (2012), v. entre autre, le chap. 4 « Le devoir de tuer au nom de Dieu » p. 81 et svtes
[20] Dans son essai brillant, (Qui est Dieu ? ouv. cit.) Jean Soler en fait la démonstration, v. les pp 88-96. L’absence de prosélytisme n’est pas une garantie de tolérance. D’abord à l’intérieur du groupe :énoncé aux autorités par les rabbins qui ne supportaient pas sa liberté de pensée, Spinoza a dû fuir Amsterdam pour La Haye. Qu’auraient fait ces même rabbins s’ils avaient détenu le pouvoir ? Et même à l’extérieur : Danielle Sallenave note que les religions qui ne font pas de prosélytisme « n’en ont pas moins l’exorbitante prétention de détenir la vérité, ce qui est rarement de bon conseil dans la rencontre avec les sectateurs d’autres croyances », elle ajoute, visant clairement le judaïsme, que l’adhésion obligatoire par la naissance – filiation par la mère – c’est s’en remettre « de façon inquiétante au biologique pour dessiner le destin d’un individu ». D.S. : Dieu.com (2004) p.257.
[21] L’historien (et géographe) Ibn khaldun a étudié le comportement des nomades à partir de l’exemple de tribus arabes, qui, vers l’an mil, s’étaient d’abord installées en Egypte. Agissant en brigands, pillant et brutalisant les sédentaires (musulmans comme chrétiens) ils avaient été chassés par le calife et, à partir de la Tunisie, avait essaimé dans tout le Maghreb. Ibn Khaldun porte sur eux un jugement ambivalent, d’un côté il les admire pour leur vie austère, le courage et leur sens de la solidarité dans l’adversité mais dans le même temps il les juge sévèrement pour leur cruauté qui les renvoie à l’état de barbarie, notant cependant que « les peuples les plus sauvages font les conquêtes les plus étendues ». art. de Roger Letourneau, in Revue de l’occident musulman et de la Méditerranée 1966, vol.2
[22] Henri Pena-Ruiz : Dieu et Marianne, Philosophie de la laïcité (1999).
On a prétendu, mais sans preuve convaincante, que la conversion de Constantin était sincère (comme celle de Clovis, Henri IV et bien d’autres ?). En tout cas l’Eglise qui n’a eu de cesse d’encenser Constantin le Grand, ne semble guère s’être émue de l’étrange comportement de ce nouvel adepte qui fait assassiner sa femme, son fils, et plusieurs autres membres de sa famille. En revanche, elle a stigmatisé du nom d’apostat, le grand empereur qu’a été Julien, forcé dans son enfance d’adopter une religion qu’il ne comprenait et n’aimait pas. Cet homme cultivé, grand chef de guerre et bon administrateur, une fois empereur, interdit de persécuter les « païens » et rétablit la liberté de croire à la religion de son choix, christianisme compris. Un modèle de tolérance. Malheureusement trop brièvement au pouvoir-empereur en 361 Julien est tué à la tête de ses armées deux ans plus tard.
[23] Augustin, dont l’Eglise fera un saint, en donne un bon ex. Au IVe siècle et au début du siècle suivant, l’Afrique romaine est le lieu d’une querelle, en apparence mineure, entre les représentants de l’Eglise, dont l’évêque Augustin, et des chrétiens partisans de l’évêque Donat - d’où leur nom de donatistes. En fait il s’agit de bien autre chose que d’un simple schisme : une opposition frontale entre ceux, en particulier des prêtres, qui se sont ralliés sans beaucoup d’états d’âme à un empire récemment et violemment persécuteur (cf Dioclétien) et des populations, en majorité berbères, souvent ouvriers agricoles travaillant sur les grands domaines des colons romains et dont les chefs spirituels se refusent à toute collusion avec l’état. Augustin, soucieux de préserver et son Eglise, et l’ordre social, dénonce les donatistes avec le talent du théologien et il appelle à une répression que les autorités ne tardent pas à mener avec succès contre ces schismatiques qui osent soutenir l’insubordination des rustres. Dans un article qu’il consacre à l’auteur de La Cité de Dieu, H. Pena-Ruiz cite cette phrase stupéfiante :« L’Eglise persécute par amour et les païens par cruauté » (Dict. amoureux p. 101).
[24] Il faut toutefois préciser que l’inégalité dans le partage du pouvoir n’a jamais été aussi tranchée qu’on pourrait le supposer après l’épisode de Canossa. Beaucoup a dépendu des personnalités et surtout, en tout cas en France et en Angleterre, de l’accroissement du pouvoir royal. Ainsi de Philippe le Bel qui humilie le pape Boniface VIII (Anagni, 1303).
[25] Conflit il est vrai considérablement aggravé par les livraisons d’armes et de matériel de la France aux chrétiens Ibos et de la Grande-Bretagne, l’ancienne puissance colonisatrice de ce qui deviendra le Nigéria, aux musulmans.
[26] Honoré de Balzac : La Peau de chagrin (Le Talisman, p.57), Pléiade, rééd. 1970, t. IX.
[27] Elie Barnavi, ouv.cit. p. 25.
[28] Elie Barnavi, ouv. cit. p.97
[29] Farhad Kosrokhavar, entretien du14 juin2013, reproduit in Le Monde des religions.fr, 27 mars 2015
[30] Titre d’un roman de Tchernychevski : Que faire ? Les hommes nouveaux (1863) qui eut une grande influence sur les révolutionnaires russes, parmi lesquels Lénine.
[31] Pierre Bayle : Commentaire philosophique, IIe partie, chap 10.
[32] Ce développement s’appuie essentiellement sur les extraits de la lettre et le commentaire qu’en donne la philosophe Catherine Kintzler dans Qu’est-ce que la laïcité ? (2014)
[33] La liberté comprend celle du corps cf l’Habeas Corpus de 1679. Avec une précision : on fait très souvent - et les manuels d’histoire eux-mêmes - un contresens sur l’expression latine qui est généralement tronquée. L’exacte est Habeas Corpus ad subjiciendum et recipiendum, littéralement (la loi s’adresse, non pas à l’accusé mais à celui qui est chargé de l’arrêter) « Aies le corps (c’est à dire de la personne accusée) pour le présenter à la Cour (au tribunal) afin que le cas soit examiné avant jugement » (3 possibilités : pas de charges sérieuses, remise immédiate en liberté, des charges mais n’empêchant pas liberté sous caution, charges importantes et arrestation en attente du jugement). Mais cela ne change guère le sens donné traditionnellement à l’expression… Cette décision du Parlement complète une évolution contre l’absolutisme du pouvoir (cf Grande Charte, 1215).A noter que le souverain que Charles II, pro catholique (mais n’osant se déclarer tel) et en butte à l’hostilité du Parlement, admire le plus est Louis XIV…
[34] extraits de la Lettre in C.K. p.74
[35] Extraits p. 75. Pour être plus précis il faudrait ajouter qu’il exclut aussi les catholiques du pacte social, mais pour une raison différente, c’est qu’ils sont soumis à une puissance étrangère en la personne du pape.
[36] « Annoncer » car les Pensées sur la comète (1682) sont antérieures de 7 ans à la Lettre sur la tolérance (1689)
[37] Pensées diverses sur la comète, 1682. Bayle, né protestant, converti au catholicisme, revenu à la foi de son enfance, serait traité d’apostat par l’islam et à ce titre, condamné à mort dans plusieurs pays musulmans. C’est à l’honneur de l’Occident que de porter et défendre les droits de l’homme dans le monde entier, Russie de Poutine et Chine de Xi Jinping comprises (tout au moins quand les soi-disant impératifs de la realpolitik et les facteurs commerciaux ne les font pas oublier comme avec l’Arabie et les émirats aujourd’hui…).
[38] Dans l’un de ses Propos, Alain remarque ironiquement que « ce ne sont point les religions qui font les généreux, mais plutôt les généreux qui sauvent les religions » ! et il ajoute : « car ils savent, selon une belle leçon qui est déjà dans Homère, chercher Dieu sous les apparences d’un mendiant misérable. Et la charité même exige que Dieu n’y soit pas, sous ce déguisement. Car, si l’on sait qu’il y est, les marques de respect vont de soi. C’est encore aimer sur titres. » (L’amour généreux, Propos de 1932, éd. de la Pléiade, 1956, p.1097)
[39] On lira avec plaisir ce court mais brillant Entretien d’un philosophe avec la Maréchale de*** (Œuvres, éd. de la Pléiade, 1951, pp.1201-1215). Plus facile d’accès, l’éd. de poche (vraiment pour toutes les poches !) des Mille et une nuits, sous le titre Pour une morale de l’athéisme (2007).
[40] P. Bayle, Commentaire philosophique…, cit. C.K. p.18.
[41] En bon réaliste qui estime qu’on ne peut faire obéir le peuple sans l’aide de la religion, Voltaire se gausse de l’utopie d’un monde d’athées imaginée par Bayle : « On demande ensuite si un peuple d’athées peut subsister ; il me semble qu’il faut distinguer entre le peuple proprement dit et une société de philosophes au-dessus du peuple. Il est très vrai que par tout pays la populace a besoin du plus grand frein, et que si Bayle avait eu seulement cinq à six cents paysans à gouverner, il n’aurait pas manqué de leur annoncer un Dieu rémunérateur et vengeur… » Dictionnaire philosophique, art. Athée, athéisme, Classiques Garnier, variante classée dans les notes p.459 (1967, l’éd.utilisée ici est celle de Etiemble, 1973) Marx le rappelait autrement, mais non sans humour : « Au XVIIIe siècle, l’aristocratie française disait : pour nous Voltaire, pour le peuple la messe et la dîme » (Sur la religion, cit. Dieu et Marianne p.186)
[42] C.K., ouv. cit., note 1, p.96
[43] Voltaire : Traité sur la tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas, in Mélanges, Bibliothèque de la Pléiade, 1961, p. 563 et svtes.
[44] Danielle Sallenave : Dieu.com (2004). Dans un entretien avec son éditeur (Gallimard) elle explicite le titre de son ouvrage. Le drame du monde moderne, dit-elle, c’est que loin d’être rationnel, c’est « un mélange de haute technologie et de superstition ». Par superstition elle entend le contenu de toutes les religions.
[45] L’expression est du philosophe Guy Coq, Laïcité et république (1995) p.143.
Ouvrage qui fait bien le point sur la laïcité dans le sens des lumières.
Sur le thème de la religion civile v. aussi Valentine Zuber : Le culte des droits de l’homme (2014). Cette historienne, qui enseigne à l’EHESS, consacre ses recherches aux conflits entre religions, à la tolérance et à la laïcité dans ses relations avec la démocratie. Il faut attirer l’attention des professeurs sur l’intérêt de cet ouvrage pour le nouvel enseignement d’éducation morale et civique. (V. en particulier toute la seconde partie :« un credo républicain »). Publication dans la Bibliothèque des sciences humaines chez Gallimard.
[46] Michel Péronnet : 50 mots clefs de la Révolution française (1983)
[47] Rousseau, Œuvres complètes t.IV, Emile, Livre IV, p. 558 et svtes, éd. de la Pléiade (1980)
[48] Eric J.Hobsbawm : L’Ere des révolutions (1988) p.96
[49] Rousseau, Œuvres complètes, t.III (1966) Du Contract social 1ère version, De la religion civile p.336 et svtes.
[50] Ce ne serait pas tout à fait exact si l’on en juge par certains articles de la Constitution du Directoire, 5 Fructidor an III (22 août 1795), la seule constitution (ou actes constitutionnels) sur les 15 qu’a connues la France qui, aux droits, ajoute des devoirs (9 art.) par ex. « Nul n’est bon citoyen, s’il n’est bon fils, bon frère, bon ami, bon époux » (art.4) « Nul n’est un homme de bien, s’il n’est franchement et religieusement (c’est nous qui soulignons) observateur des lois » (art.5)
[51] C.K. fait justement remarquer que la loi ne doit pas être présentée comme un article de foi : « il suffit qu’elle soit respectée ». « La religion civile, écrit-elle, est directement contraire à la laïcité, cette dernière ne s’opposant aux religions que dans la mesure où elles prétendent faire la loi » (Qu’est-ce que la laïcité ? p. 31) Sur ce point capital je signale, particulièrement aux professeurs chargé de l’EMC, qu’ils trouveront dans l’excellent n° spécial de Marianne, "Les Textes" (février 2015) pp. 8-9, un extrait des Ecrits sur l’instruction publique de Condorcet, v. dernier paragr. « Une espèce de religion politique », dans lequel il argumente clairement contre un enseignement des institutions (il cite la constitution) qui ne s’en tiendrait pas à l’exposé des faits mais, faisant appel aux sentiments, créerait « une espèce de religion politique » : « Le but de l’instruction n’est pas de faire admirer aux homme une législation toute faite, mais de les rendre capables de l’apprécier et de la corriger ». Remarque qui vaut pour tout enseignement dont la tâche première est d’instruire avant d’éduquer.
[52] Henri Pena-Ruiz : Dictionnaire amoureux de la laïcité (2014) art. « Laïcité » pp 533-541
[53] Ibid. art. « Liberté de conscience » pp 568-575
[54] Et pourtant, elle tourne ! reconnaissons, comme disent les Italiens, que « se non è vero, è ben trovato »…
[55] cité in Catherine Kintzler : Condorcet, L’instruction publique et la naissance du citoyen (1987, p. 41)
[56] D’origine très modeste, cet enfant prodige, entré à 15 ans au couvent des Dominicains de Cosenza en Calabre, dévore tous les livres dont il pouvait disposer mais ceux-ci ne suffisaient pas à étancher sa soif d’apprendre. Voici ce qu’il écrit : « Tous les livres que contient le monde ne sauraient rassasier mon avidité profonde. Que n’ai-je pas dévoré ? et cependant je meurs, faute d’aliment !...Désirant et cherchant, je tourne en tout sens, et plus je comprends, plus j’ignore… », in Thomas Campanella : La Cité du soleil, introd. p. 13, (Librairie philosophique J.Vrin, Paris, 1950)
[57] Tout pape qu’il était, Urbain VIII a mis cinq ans avant d’obtenir satisfaction. A méditer par les hommes politiques d’aujourd’hui : Obama réussira t-il à fermer Guantanamo avant la fin de son second mandat ?
[58] C’est ainsi qu’on a pu dire de la laïcité qu’elle n’est pas une opinion parmi d’autres mais la liberté d’en avoir une !
Catherine Kintzler, ouv. cit. pp. 23-24, ajoute en note (p.23) que c’est l’abstraction qui rend possible la démarche qui mène à toute connaissance : « Il faut suspendre la certitude immédiate pour construire toute certitude » c’est à dire douter, même de ce qui peut sembler de prime abord évident, de façon à pouvoir faire une hypothèse et accéder ainsi « au régime de l’explication ». Démarche cartésienne, philosophique, fort différente de celle des sociologues.
[59] Waleed Al-Husseini : Blasphème ! les prisons d’Allah (2014)
[60] Bien que Rodinson et Lewis aient été politiquement aux antipodes l’un de l’autre, ils savaient, et c’est tout à leur honneur, mettre leurs différends entre parenthèse quand il s’agissait de leur discipline commune. Bernard Lewis : Les Assassins, Terrorisme et politique dans l’islam médiéval (1982) v.l’introduction de Maxime Rodinson pp.14-15. L’ouvrage de B.Lewis se lit avec d’autant plus d’intérêt qu’il éclaire d’un jour nouveau la fameuse légende des assassins, soi-disant « mangeurs de haschich ».
[61] Franck Henry Timour : Le livre noir des religions (2014). Celui-ci établit « un bilan historique criminel des religions » (p.21). L’ouvrage n’est pas inintéressant, il comporte nombre de faits qui méritent réflexion, mais il pèche par ses excès de langage, ses répétitions obsessionnelles et ses approximations.
[62] Lire la note de lecture de Claude Ruche F. H. Timour : le bilan accablant des religions (note du CLR).
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