Contribution

Alsace-Moselle : quelques éléments de réponse à un article du Figaro (M. Seelig)

par Michel Seelig, universitaire, historien, membre du Conseil d’administration du CLR. 22 décembre 2023

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[Voir "En Alsace-Moselle, la remise en cause du concordat par les Insoumis fait grincer des dents" (Le Figaro, 21 déc. 23).]

1) L’article ne présente qu’un petit nombre d’erreurs ou d’omissions sur les plans juridique et historique. Mais elles ne sont pas négligeables.

a. Il affirme que « l’enseignement religieux [est] dispensé depuis 1872 dans les écoles publiques ». Or, c’est ignorer (volontairement ?) qu’il s’agit en fait d’une application de la loi Falloux, loi française de 1850 que les Allemands avaient en grande partie maintenue. L’article fait état de la participation de 40 % des élèves, sans préciser qu’il s’agit-là des chiffres de l’enseignement primaire et qu’au collège et au lycée la participation est encore beaucoup plus faible. Surtout, il n’indique pas que cette participation s’effondre progressivement : elle a diminué de moitié en une vingtaine d’année ! Cela vaut au moins autant qu’un sondage !

b. Dans le domaine constitutionnel, on ne retient de la décision du Conseil constitutionnel de 2013 (QPC du 21 février 2013) que l’affirmation de de la « conformité » du salariat des pasteurs protestants avec la Constitution de la République. On omet là (comme malheureusement trop souvent) que dans cette même décision, le Conseil a, pour la première fois défini constitutionnellement la laïcité :

« Le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit ; qu’il en résulte la neutralité de l’État ; qu’il en résulte également que la République ne reconnaît aucun culte ; que le principe de laïcité impose notamment le respect de toutes les croyances, l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et que la République garantisse le libre exercice des cultes ; qu’il implique que celle-ci ne salarie aucun culte »

Le Conseil n’avait alors justifié la « conformité » du régime local que pour des raisons historiques, les constituants de 1946 et 1958 n’ayant pas décidé de son abrogation, alors qu’ils affirmaient le caractère laïque de la République…

2) D’un point de vue politique, l’article a raison de dire que la contestation des régimes dérogatoires des cultes est menée aujourd’hui par la France Insoumise sous la forme d’une proposition de loi. Il n’omet bien entendu pas de rappeler l’opposition ancienne à ce régime par Jean-Luc Mélenchon.
Ce n’est qu’allusivement, dans le corps du texte, que l’on peut subodorer que cette position est partagée (depuis bien plus longtemps encore) par d’autres acteurs : toute la Gauche en 1981 (avant les renoncements de François Mitterrand), le Premier secrétaire du PS Olivier Faure encore en 2021, le Parti Radical de Gauche depuis toujours, de nombreuses structures laïques associatives ou syndicales, et le Grand Orient de France.
Dans l’état actuel du débat politique national, focaliser sur la France Insoumise n’est pas anodin…

3) Les arguments des défenseurs du régime local sont toujours les mêmes. Et principalement l’affirmation du fait que celui-ci serait une garantie d’un bon « dialogue interreligieux » et donc de la paix civile.
En quoi le fait de rétribuer curés, pasteurs et rabbins permettrait-il un meilleur « dialogue » entre tous les cultes ?
Le Préfet de Région a réuni les représentants des cultes reconnus et au-delà… N’est-ce pas ce que fait régulièrement le Président de la République au plan national ?
Les défenseurs du régime local mettent aussi en avant l’enseignement religieux à l’École publique (qui fait de moins en moins recette, on l’a vu !). Ils formulent à nouveau leur demande de mise en place d’un « module éducation au dialogue interculturel et interreligieux pour les collégiens et lycéens du public », qui avait été rejetée par le ministère de l’Éducation nationale. Rappelons que ce projet consisterait à attribuer aux cultes la mission, au sein de l’École publique, d’enseigner les « faits religieux » en lieu et place des enseignants fonctionnaires de l’Éducation nationale !

4) L’argument essentiel des partisans du Concordat reste toujours la défense de l’IDENTITÉ ALSACIENNE… Rappelons les propos de Jean-Marie Woehrling, président de l’Institut du Droit Local sur le site de ce dernier : « On veut garder les corporations et le Concordat parce que c’est à nous et qu’on ne supporte pas que Paris nous dise que ce n’est pas bien » !
Il s’agit bien là d’une « crispation identitaire » !
On constatera que le département de la Moselle n’est cité que de manière accessoire… Les défenseurs de l’identité alsacienne n’envisagent les Mosellans que comme des « supplétifs » de leur combat régional. Car la Moselle n’a en commun avec l’Alsace que les presque 50 ans de l’annexion allemande de 1871 à 1919.
Notons également que le « Conseil représentatif du droit local », créé en juin 2022 par la collectivité européenne d’Alsace et le département de la Moselle n’a évidemment aucune autorité reconnue par loi pour décider d’éléments juridiques. Il s’agit d’une structure purement politique.

5) L’Alsace laboratoire ! On connaît depuis longtemps les positions de Jean Baubérot, dans son ouvrage Les Sept Laïcités françaises (EMSH 2015) où il présente comme une forme de laïcité la « laïcité concordataire » !
Son élève et amie Valentine Zuber va plus loin encore en ventant ce qu’elle appelle une « laïcité de reconnaissance » qui « qui permet d’ouvrir la porte à d’autres cultes ».
Elle critique ainsi « le système séparatiste de la laïcité », c’est-à-dire, soyons clair la loi de 1905 qui dans son article 2 affirme que « La République de reconnaît… aucun culte » !
Elle dit aussi clairement que « l’Alsace et la Moselle pourraient servir de laboratoire »… pour remettre en cause toute la législation laïque française !


Voir aussi dans la Revue de presse le dossier Alsace-Moselle dans la rubrique Séparation, la rubrique Régionalismes,
dans les Initiatives proches Egale M. Seelig : "Sur le Concordat, comment peut-il y avoir de « compromis » ? On applique la loi de 1905 ou on ne l’applique pas !" (Egale, 12 déc. 23), Humanisme Michel Seelig : "Vous avez dit concordat ?" (Humanisme, 3e trim. 23),
les contributions L’Institut du droit local et le sondage (M. Seelig, 8 déc. 21), La tentation concordataire, un phénomène récurrent (M. Seelig) , Le Concordat n’est pas une chance (M. Seelig, 11 av. 21), Mosquée de Strasbourg, la réalité juridique (M. Seelig, 25 mars 21), La réforme de la loi de 1905 et les régions « concordataires » (M. Seelig),
les communiqués du CLR Il est temps d’en finir avec les statuts particuliers des cultes en appliquant partout la Loi de 1905 ! (CLR Touraine, 27 mars 21), Financement public d’une mosquée intégriste à Strasbourg : il faut en finir avec le régime dérogatoire d’Alsace-Moselle ! (CLR, 24 mars 21), Le Comité Laïcité République réaffirme la nécessité de légiférer (23 déc. 03), Loi de séparation des églises et de l’Etat : non à la révision ! (20 jan. 03),
les communiqués du Collectif laïque national Mosquée de Strasbourg : "C’est au statut des cultes en Alsace et Moselle qu’il faut mettre fin" (Collectif laïque national, 7 av. 21), "La loi doit éviter d’accroître les avantages financiers des cultes, et lutter contre le séparatisme local" (Collectif laïque national, 3 fév. 21) , "Pour l’application graduelle et négociée de la laïcité en Alsace Moselle" (Collectif laïque, 5 juil. 12), "La Laïcité pour tous !" (Collectif laïque, 29 fév. 12) (note de la rédaction CLR).


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