Alain Seksig, ancien instituteur, Inspecteur d’académie honoraire de l’Education nationale, Secrétaire général du Conseil des sages de la laïcité. 17 mars 2023
"Propos recueillis par Hadrien Brachet.
Marianne : Selon une enquête menée par le syndicat SNPDEN-UNSA, les principaux et les proviseurs ne font pas systématiquement remonter à l’institution les atteintes à la laïcité. 26% des 1000 personnels de direction interrogés entre le 1er septembre et le 15 janvier ont été confrontés à des contestations d’enseignement au nom d’une « vérité religieuse ». 37% d’entre eux ne l’ont pas signalé à l’institution. Ces données vous ont-elles surprises ?
Alain Seksig : C’est extrêmement intéressant qu’un syndicat des personnels de direction ait élaboré et rendu publique une telle enquête. Je n’ai pas été surpris car les conclusions vont dans le sens des précédentes études réalisées par l’IFOP ces dernières années pour le Comité national d’action laïque ou la Fondation Jean Jaurès. Nous sommes face à une réalité que tout le monde doit regarder en face. J’ai été chagriné de voir qu’un pourcentage important de chefs d’établissements ne signalent pas les atteintes à la laïcité dont ils sont témoins. Certains craignent qu’un tel signalement ne vienne ternir l’estime que l’institution porte à leur établissement et à la qualité de leur travail.
D’après cette même étude, des chefs d’établissements considèrent comme inutile de faire remonter des cas qu’ils ont eux-mêmes réglés, quand d’autres craignent en effet pour leur carrière. Est-ce le signe d’un « pas de vague » persistant ?
J’ai été directeur d’école et il est vrai que j’avais à cœur de régler moi-même les problèmes qui pouvaient se poser. Je peux donc comprendre que les chefs d’établissement ne signalent pas des incidents que par ailleurs ils s’affairent à résoudre et résolvent bien souvent. Mais on peut aussi y lire la crainte de certains de voir leur institution se défier d’eux et ne pas les soutenir. Ce sentiment d’être livrés à eux-mêmes, c’est déjà ce que ressentaient majoritairement les chefs d’établissement lors de l’affaire de Creil en 1989. Il a fallu la loi de 2004, pour sortir de plusieurs années d’atermoiement. Nous en subissons encore les conséquences.
Ces atermoiements ont-ils disparu de l’Education nationale ?
Depuis cette période, une parole claire s’est progressivement faite entendre, et même un peu avant avec Jack Lang qui avait institué, près de deux ans avant la Commission Stasi, une commission de réflexion sur la laïcité à l’école. Ces dernières années, différents ministres successifs y auront contribué, chacun à leur manière : Vincent Peillon avec notamment la charte de la laïcité à l’école, Najat Vallaud-Belkacem avec les premiers référents académiques sur ces sujets et évidemment Jean-Michel Blanquer avec la création du Conseil des sages, des équipes académiques « Valeurs de la République », et le lancement d’un vaste plan de formation des cadres et de l’ensemble des personnels. Il y a encore ici ou là des réflexes timorés et la tentation de mettre la poussière sous le tapis. Mais la position de l’institution dans son ensemble est désormais claire ; simplement le mal étant profond, il lui faudra encore du temps pour s’imposer dans la pratique. Notre ministre actuel Pap Ndiaye s’inscrit dans cette direction avec sa circulaire du 9 novembre et le « plan laïcité ». [...]
Que pensez-vous du positionnement d’Emmanuel Macron et de la majorité sur la laïcité ?
Comme l’ensemble des partis politiques, la majorité présidentielle est traversée d’opinions différentes sur le sujet. Concernant le président de la République, il est normal et heureux qu’il veuille rassembler les citoyens qui ont des positions différentes sur la question. Rien ne serait plus terrible qu’un président qui organise la division. On peut en ce sens - positif - comprendre le « en même temps ». Nous sommes toutefois en droit d’attendre là aussi de la cohérence, entre par exemple le discours des Mureaux dans lequel le président de la République exhortait au « réveil républicain » face au « séparatisme islamiste » et d’autres assertions de responsables de la majorité tendant à minimiser la réalité du communautarisme en France et à l’école. Il serait important d’afficher cohésion et cohérence, car en matière de principes républicains et de laïcité, le « en même temps » n’est pas vraiment tenable. [...]"
Voir aussi dans la Revue de presse Laïcité à l’école : de très nombreux chefs d’établissements ne font pas remonter les incidents à leur hiérarchie (lefigaro.fr , 8 mars 23), B. Bobkiewicz (SNPDEN) : "Nous demandons qu’on nous dise clairement si ces tenues ’culturelles’ sont religieuses ou pas" (marianne.net , 8 mars 23), "Sanction systématique et graduée" : la nouvelle circulaire laïcité de Pap Ndiaye (marianne.net , 9 nov. 22) dans Atteintes à la laïcité à l’école publique dans Ecole,
les dossiers Macron contre le "séparatisme" (2020-21) et Macron chez les évêques de France (9 avril 2018) dans la rubrique Emmanuel Macron,
le communiqué du CLR Contre l’extrême droite, antilaïque, le Comité Laïcité République appelle à voter pour Emmanuel Macron (CLR, 13 avril 22) (note du CLR).
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