Note de lecture

Signes religieux à l’école : une loi qui a fait ses preuves (E. Marquis)

par Eric Marquis 17 septembre 2024

[Les échos "Culture" sont publiés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Iannis Roder, avec Alain Seksig et Milan Sen, Préserver la laïcité, éd. L’Observatoire, 6 mars 2024, 200 p., 20 €.

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A l’occasion du vingtième anniversaire de la loi sur les signes religieux ostensibles à l’école [1], Iannis Roder, Alain Seksig et Milan Sen [2]
. retracent l’histoire du problème des signes religieux à l’école,
. détaillent les travaux de la commission Stasi, notamment l’évolution des positions de ses membres,
. reviennent sur les effets de la loi et sur les attaques récentes qu’elle subit.

La confusion idéologique qui s’est installée, en premier lieu à gauche, apparaît au grand jour avec l’affaire du voile de Creil, en 1989 [3]. « Telle une irruption volcanique, elle annonce des répétitions plus redoutables », écrit Patrick Kessel (Marianne toujours ! L’Harmattan, 2021) [4], « c’est le pavé mosaïque de la République et des Lumières qui menace de voler en éclats. »
A l’occasion de la rentrée des classes au collège Gabriel-Havez de Creil, trois élèves arrivent voilées en cours. Les enseignants et le principal leur demandent de retirer leurs foulards à l’intérieur de l’établissement. La polémique se développe dans tout le pays.
« Profs, ne capitulons pas ! » abjurent à la Une du Nouvel Observateur le 2 novembre 1989, cinq intellectuels (Elisabeth Badinter, Régis Debray, Alain Finkielkraut, Elisabeth de Fontenay et Catherine Kintzler) dans un texte intitulé "Le Munich des consciences" [5].
Le ministre de l’Education, Lionel Jospin, tergiverse et refile le bébé au Conseil d’Etat. La haute juridiction ne tranche pas, pond un texte alambiqué, estimant que le port du foulard islamique n’est pas incompatible avec le principe de laïcité.
Enseignants et chefs d’établissement sont laissés seuls pour apprécier au cas par cas, s’exposant à des poursuites judiciaires et autres intimidations.

Il faudra attendre quinze ans pour que, sous l’impulsion du président Chirac, la loi interdise les signes religieux ostensibles à l’école publique, à la suite des travaux de la « commission Stasi ».

Initialement, les membres de celle-ci étaient très peu à être favorables à une loi. Ce sont les témoignages recueillis qui les font évoluer. Ceux-ci attestent d’une « poussée de l’islamisme et du communautarisme » : « Dans les lycées, on est juif ou on est arabe, on se s’identifie plus par sa classe sociale ni même par les vêtements de marque que les parents on pu vous payer, mais par la religion », constate Alain Touraine, membre de la commission (Le Monde, 18 décembre 2003). Une élève témoigne : « Moi musulmane, si je vois une femme voilée en face de moi, on me remet en question et on me dit que je suis une mauvaise musulmane. »

Les promoteurs de l’interdiction des signes religieux ostensibles à l’école mettent en avant trois arguments : assurer la paix dans les établissements, protéger les élèves contre les pressions, garantir l’universalisme républicain. « L’institution scolaire incarne l’universel là où la famille représente le particulier. » Et donc « l’école laïque est pensée comme un espace de transition entre l’enfance enserrée dans des identités données par la famille et l’autonomie intellectuelle du citoyen adulte », écrivent les auteurs de Préserver la laïcité.

Aussi, du rapport Stasi « se dégage une vision de la laïcité ». C’est « un principe, c’est-à-dire une matrice de fonctionnement des pouvoirs publics, qui régit les rapports entre les cultes et l’Etat. Par la loi de 1905 sont assurés la liberté de conscience, la séparation des Eglises et de l’Etat et donc la neutralité de l’Etat, l’égalité de tous les citoyens devant la loi. Mais la singularité française, c’est que « la laïcité doit recouvrir autre chose que des règles de droit » [6]. Pour la commission Stasi, « c’est une valeur fondatrice du pacte républicain, la possibilité de concilier un vivre-ensemble et le pluralisme, la diversité […]. Il faut accepter d’adapter l’expression publique de ses particularités confessionnelles et de mettre des bornes à l’affirmation de son identité, [ce qui] permet la rencontre de tous dans l’espace public. »
Quand la tradition anglo-saxonne voit la séparation des Eglises et de l’Etat comme une protection pour les cultes, dans la tradition laïque française, « l’Etat est le protecteur du libre exercice par chacun de sa liberté de conscience, de son expression ou de sa non expression », expliquent Patrick Weil et Marceau Long (Libération, 28 janvier 2004).

La loi est promulguée le 15 mars 2004. Le Code de l’éducation, dans l’article L. 141-5-1, précise désormais que « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit ». La loi s’applique donc à toutes les religions, bien sûr, et elle est rédigée de manière à répondre à l’apparition de nouveaux signes et des tentatives de contournement de la loi. Ce qui permet de faire face à des offensives comme celle de l’abaya ou du qamis qu’on a connues ces dernières années [7]. En 2022, les services de renseignement signalent une stratégie mise en place par les réseaux islamistes pour « contourner l’interdiction faite aux élèves de porter le voile à l’école ». « L’école et devenue le point de mire privilégié, ce qu’avait d’ailleurs annoncé Daesh en 2015 dans son organe de propagande en français, Dar al-islam » [8]. Or, en 2007, la jurisprudence du Conseil d’Etat confirme l’interdiction des signes « dont le port ne manifeste une appartenance religieuse qu’en raison du comportement de l’élève ».

L’application de la loi est une franche réussite ; elle a été très massivement acceptée. L’apaisement du climat scolaire et la protection des filles contre les prosélytismes religieux au sein de l’école ont été renforcés. Les statistiques (Insee) montrent que « l’interdiction du voile a favorisé la réussite scolaire des jeunes femmes de culture musulmane ».

Il faut néanmoins rappeler que les travaux et préconisations de la commission Stasi ne se limitaient pas à la question des signes religieux. Mais, regrettent les auteurs de Préserver la laïcité, « le président de la République et son gouvernement se focaliseront sur cette interdiction, pensant qu’elle règlerait tous les problèmes. Derrière leur posture volontariste se cache déjà subrepticement un « pas-de-vaguisme » qui provoquera plus tard des conséquences dramatiques à l’école » [9]. Depuis la loi de 2004, la poussée de l’islam politique, le terrorisme islamiste, les assassinats de Samuel Paty et de Dominique Bernard, ont montré qu’on ne saurait se contenter de demi-mesures. A l’école et ailleurs.

Eric Marquis

[1Loi "encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics".

[2Respectivement : Iannis Roder, professeur agrégé d’histoire, en réseau d’éducation prioritaire, directeur de l’Observatoire de l’éducation de la Fondation Jean-Jaurès ; Alain Seksig, Inspecteur d’académie honoraire (tous deux membres du Conseil des sages de la laïcité de l’Education nationale) ; Milan Sen, collaborateur parlementaire, expert associé à la Fondation Jean-Jaurès.

[3Voir dans la Revue de presse le dossier Voile à l’école : Creil (1989) dans Voile, signes religieux à l’école (note de la rédaction CLR).



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