Revue de presse

K. Daoud : ONU, "Les experts portent-ils la burqa ?" (Le Point, 1er nov. 18)

Kamel Daoud, écrivain, journaliste, auteur de "Mes indépendances" et “Meursault, contre-enquête” (Actes Sud). 5 novembre 2018

[Les articles de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"L’écrivain réagit à la condamnation de la France par des experts de l’Onu pour avoir verbalisé deux femmes portant le voile intégral islamique.

La France a été condamnée par des experts onusiens, sans effet de contrainte, pour avoir verbalisé deux femmes portant le niqab. « Le Comité a jugé que l’interdiction du niqab viol[ait] la liberté de religion [et] les droits humains. » La mesure d’interdiction est même jugée radicale, presque avec un jeu de mots malsain. Courtes phrases de la littérature de l’Occident piégé par son utopisme de la démocratie. Mais aussi résumé indirect du piège du siècle dernier : accepter les fascismes au nom du droit à la liberté de chacun ? Ou réduire la liberté de certains pour justement la sauver et la préserver face à des gens qui vont y mettre fin s’ils sont au pouvoir ? Equation à solutions diverses. Parfois très coûteuses.

En Algérie, le gouvernement vient d’interdire le port de la burqa dans l’administration. L’Algérie ne sera pas cependant condamnée pour cette interdiction, ni interpellée. Il y a peut-être une sorte de traitement par spécificité culturelle sur cette question dans les instances internationales. La burqa est une affaire interne, sans extension symbolique, quand il s’agit d’un pays dit musulman, comme l’Algérie. Elle est une affaire de droit, de symbolisme lourd, de surcharge communautaire en Occident. Je déteste ce mot mais là on semble bien « essentialiser ». Passons.

Ce qui reste à retenir, c’est comment on peut lire ce genre de littérature du raffinement de la défaite de la liberté face au fascisme montant. On y prêche par quelques présupposés : l’un, le plus scandaleux, est que la burqa est un choix. Donc un choix de liberté. On oublie qu’on n’a jamais vu des femmes en burqa manifester pour la liberté des femmes qui ne la portent pas, ni en faveur des femmes non voilées des pays du « Sud ». La liberté est à sens unique.

En deux, on y prêche par déni et en fermant les yeux sur l’état du monde qui n’est pas occidental. Le port de la burqa sera en effet une liberté lorsque des femmes ne se feront pas tuer, harceler, violenter, déclasser et insulter parce qu’elles ne portent ni voile ni burqa hors d’Europe. Il y a des géographies où ne pas se voiler est un délit, de loi ou d’inquisition. Aucune femme n’a été tuée en Occident parce qu’elle refusait de porter des talons aiguilles, mais des femmes sont tuées dans des pays où le port du voile est une contrainte. Cela coûte 150 euros d’amende en France si on porte le niqab, mais cela coûte des vies ailleurs si on ne le porte pas. Venir aujourd’hui défendre la liberté de la burqa en Occident, c’est défendre l’obligation de la porter au « Sud ».

Troisième a priori discret : on y consacre le présupposé misogyne culturel, presque : la burqa est un droit de… femmes. Car va-t-on défendre le droit d’un homme à porter une cagoule ? Non. Conclusion : cacher son corps est un droit féminin, lié au statut, au genre, au sexe, à son infériorisation. Un homme qui porte une cagoule est un braqueur, une femme qui porte une cagoule est une culture. Car elle est femme. C’est-à-dire qu’elle est un sexe. Dans l’argumentaire de ces experts, on reprend même un vieux leitmotiv de la littérature de justification du voilement : c’est un moyen pour la femme d’investir l’espace public. On ferme les yeux sur la monstruosité de cette excuse : la femme n’a accès à cet espace qu’au prix de son corps. Elle a le choix de garder un corps mais enfermée, ou de sortir mais sans son corps. On professe la mutilation comme solution graduée pour la rééducation à la liberté. Cela fait passer la renonciation comme une libération et la compromission comme compromis. On oublie qu’on consolide ainsi une normalisation affreuse de la renonciation au corps, au lien social, à l’humanité et ses partages. La burqa devient un débat sur la liberté et pas un débat sur l’atteinte à la liberté.

Faut-il encore le rappeler ? La burqa n’est pas un droit, c’est un uniforme, un renoncement, une exclusion, un refus. C’est un projet politique."

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