Edito

Crèche Baby Loup : la Cour de cassation ne doit pas céder aux injonctions de l’ONU (G. Chevrier)

par Guylain Chevrier, docteur en histoire, enseignant et formateur en travail social, vice-président du Comité Laïcité République. 24 septembre 2018

« La jurisprudence sur le port du voile en France pourrait évoluer » [1], voilà en substance ce qui a été retenu de ce qu’a dit M. Louvel, le premier président de la Cour de cassation aux magistrats du siège et du parquet, le 3 septembre dernier, à propos des injonctions récentes du Comité des droits de l’homme de l’ONU, qualifiant de discriminatoire la décision favorable rendue par la haute cour en faveur de la crèche Baby Loup.

Une salariée voilée avait été licenciée, conformément au règlement intérieur de la crèche, où était inscrit le principe de neutralité des personnels en contact avec les enfants. M. Louvel a ainsi avancé « que notre assemblée plénière elle-même avait méconnu des droits fondamentaux reconnus par le Pacte international des droits civils et politiques dans l’affaire connue sous le nom de Baby Loup ». Il a ensuite laissé planer la possibilité que la haute cour revoit sa position : « Même si cette constatation n’a pas, en droit, de force contraignante, l’autorité qui s’y attache de fait constitue un facteur nouveau de déstabilisation de la jurisprudence qui vient perturber, aux yeux des juges du fond, le rôle unificateur de notre Cour, qui plus est au niveau le plus élevé de son assemblée plénière. » On se demande de l’unification de quel droit nous parle M. Louvel ?

Une conception des droits de l’homme de l’ONU favorable au multiculturalisme

Rappelons les articles du Pacte sur lesquels porte l’attaque de ce Comité de l’ONU.

  • L’article 18, qui affirme « la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement. » Si on suit cet article, on doit tout laisser faire aux religions, ce qui n’est pas le cas en France en raison de la laïcité, principe d’organisation de l’Etat qui permet d’interdire les manifestations ostensibles d’appartenance pour garantir l’égalité de traitement de tous. Il revient d’ailleurs au maire d’autoriser ou d’interdire certaines manifestations religieuses selon qu’elles soient appréciées comme troublant l’ordre public. Tout n’est donc pas autorisé, avec une laïcité qui est reconnu par la Cour européenne des droits de l’homme, car les textes internationaux ne s’appliquent pas de façon aveugle en passant outre les Constitutions des Etats et leur accord, et sur quoi d’ailleurs ces derniers peuvent émettre des réserves en rapport avec leur propre organisation du droit. La liberté de conscience est totale, mais les manifestations religieuses, elles, rencontrent des limites. La liberté de culte n’étant qu’une liberté parmi les autres avec lesquelles elle doit composer.
  • L’article 26 précise ce que l’on entend faire admettre avec le précédent : « La loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ». Autrement dit, ici, on remplace l’égalité de traitement des personnes, indépendamment de leurs différences, qui protège les droits et libertés individuels, la liberté de conscience, par la non-discrimination, c’est-à-dire, l’égalité de traitement des différences, qui justifie la reconnaissance juridique des séparations communautaires, avec son corollaire, le communautarisme, la prédestination des individus à rejoindre un groupe d’appartenance par assignation, piétinant l’autonomie des personnes, et l’absence de mélange. Est-ce bien cela que l’on souhaite voir advenir en France ? On voit bien l’attaque qui est ici portée par cette action en procès de discrimination qui entend déstabiliser notre droit, en le faisant s’aligner à marche forcée sur le multiculturalisme.

Le Comité de l’ONU estime que « le port d’un foulard ne saurait en soi être considéré comme constitutif d’un acte de prosélytisme » et que la restriction imposée par la crèche Baby Loup « n’est donc pas une mesure proportionnée à l’objectif recherché ». Il prétend en effet que la justice française n’a pas démontré dans cette affaire en quoi « le port d’un foulard par une éducatrice de la crèche porterait une atteinte aux libertés et droits fondamentaux des enfants et des parents la fréquentant ». On dit [2] que cela ne remettrait pas en cause la possibilité pour une entreprise d’imposer une neutralité religieuse à ses salariés, mais qu’ici, il y aurait selon ce que ce Comité considère comme étant « la liberté religieuse », une « atteinte disproportionnée » à cette dernière.

En réalité, si on appliquait à Baby Loup les réclamations de ce Comité, ce serait tirer un trait sur la jurisprudence française du Code du travail et sur le droit de l’UE, en la matière. Et dans ce prolongement, le risque de voir une nouvelle charge contre la loi du 15 mars 2004 d’interdiction des signes religieux à l’école, sinon contre la Charte de la laïcité dans la fonction publique, qui selon ces articles, sont discriminatoires.

Aucune discrimination n’a été commise par la crèche Baby Loup selon notre droit

Aussi, il n’y a pas discrimination dans le fait d’imposer le principe de neutralité à des salariés en relation avec la clientèle, ce qui avait déjà été acquis dans la jurisprudence du Code du travail, et qui aurait du pouvoir directement s’appliquer à la crèche Baby Loup, en lieu et place de la saga judiciaire dont elle a été victime. La loi Travail est venue renforcer la possibilité d’introduire dans le règlement intérieur le principe de neutralité des salariés.

Depuis, la Cour de justice de l’UE a rendu un arrêt en mars 2017 qui est sans ambiguïté à l’examen de deux cas qui lui étaient soumis, qui confirme le bien-fondé de la décision rendue dans le cas Baby Loup. Arrêt que la Cour de cassation a d’ailleurs confirmé le 22 novembre dernier.

Dans l’un des cas, il s’agissait de l‘interdiction d’un seul signe religieux, un voile d’une salariée, et cela a été considéré à juste titre comme une discrimination. Dans l’autre, il s’agissait d’une entreprise qui avait établi dans son règlement intérieur le principe de neutralité pour les personnels en contact avec la clientèle, concernant toutes les manifestations ostensibles des opinions et croyances. Ce qui a été considéré comme une discrimination secondaire au regard d’une exigence essentielle et déterminante qui relevait des valeurs de cette entreprise, qu’elle avait depuis toujours fait respecter dans le but de son bon fonctionnement. Quelle différence voit-on entre ce dernier cas et celui de la crèche Baby Loup ?

Oui, il y a bien une cause essentielle et déterminante et proportionnalité du but recherché dans l’obligation de neutralité voulu par cette crèche pour son personnel en relation avec les enfants, inscrite dans son règlement intérieur pour assurer son bon fonctionnement. La nature de la tâche à accomplir auprès des enfants est celle de l’égalité de traitement de tous, d’une éducation dégagée de toute prédestination sociale, d’origine ou culturelle, qui est un engagement en droit mais aussi éthique auprès des parents pour leurs enfants.

On connaît bien aujourd’hui le développement de l’enfant qui intériorise très tôt des repères et qui sont sujets à toutes les influences, qui prennent pied d’autant mieux à ce moment où ils se fabriquent, jusqu’au plus profond d’eux. Comment dans ces conditions considérer comme banales les manifestations religieuses ostensibles telle que celle du port du voile islamique par une salariée signifiant sa soumission à un ordre patriarcal dont il est alors fait publicité. La Cour européenne des droits de l’homme a elle-même qualifié le voile islamique de « signe extérieur à fort effet prosélytique ». C’est le choix de cette personne que de le porter, c’est son droit, mais pas de l’imposer.

Si on regarde le droit de la famille inscrit au Code civil, il converge dans ce sens. Article 371-1 : « L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité. » Ce qui est d’ailleurs en cohérence avec les droits de l’enfant portés par la Convention internationale des droits de l’enfant.

C’est dans ce sens que l’autorité parentale confie aux parents d’être les seuls à pouvoir choisir l’influence qu’ils entendent voir exercée auprès de leurs enfants. Et c’est sur ce projet respectueux de leurs enfants que les parents les confient à cette crèche. Dans une prise en charge collective, il y a, au regard de ces considérations essentielles pour le bon fonctionnement de l’association et de son activité, un engagement à garantir par son règlement intérieur, qui passe par cette neutralité. Autre chose est le contrat passé de gré à gré par des parents avec une assistante maternelle dont ils acceptent qu’elle affiche ses convictions religieuses.

C’est la République égalitaire et laïque qui est attaquée à travers Baby Loup

Robert Lafore, professeur de droit public à l’Université de Bordeaux, dans les Actualités sociales hebdomadaires en 2013, en plein débat sur Baby Loup [3], s’inquiétait du fait qu’au nom d’un droit importé d’ailleurs on en arrive à dénier aux associations leur caractère propre, qui font vivre notre démocratie, par les médiations qu’elles permettent en raison de la diversité qu’elles représentent : « Chaque association en particulier représente potentiellement une option possible quant au bien commun et les citoyens s’y retrouvent justement pour cette raison (…) il y a une nécessaire affectio societas, autrement dit une affinité entre membres qui dynamise l’action associative. Et c’est un problème que d’imposer au nom de la non-discrimination, un salarié professant ouvertement des options contraires. » Que dire de mieux ! C’est cette affinité, non seulement entre les membres de cette association mais les usagers qui l’ont choisie pour cela, qui seraient trahie si la Cour de cassation entendait revenir, d’une façon ou d’une autre, sur ce qui a été jugé.

Une loi dite « Baby Loup » avait été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale en 2015, qui prévoyait que « les structures publiques ainsi que les établissements privés chargés « d’une mission de service public », accueillant des enfants de moins de six ans, [soient] « soumis à une obligation de neutralité en matière religieuse ». Cette loi n’a jamais été à l’ordre du jour d’une lecture au Sénat… (sic !) En réalité, le principe de neutralité a été acquis de longue date dans les us et coutumes du secteur social et de la santé, comme élémentaire dans le respect dû aux usagers, dans la continuité d’une laïcisation de la société qui était devenue naturelle. Mais nous n’avions pas pu imaginer de la voir ainsi un jour attaquée par une militance religieuse importée comme celle-ci, qui cache derrière un combat de droit, la cause d’un prosélytisme qui entend porter la foi au-dessus de la loi.

On veut nous faire admettre cette volonté d’imposer à la France ce dont elle ne veut pas, en raison de l’interaction entre autorités et échelons normatifs qui seule serait censé déterminer l’autorité du droit international. Mais même là, le droit international est, dans la hiérarchie des normes juridiques, de rang inférieur à notre Constitution, dont la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, qui a valeur constitutionnelle depuis 1971, fait partie.

Son article 10 est à l’égard de la place du religieux dans notre société d’une clarté limpide : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi. » Notre droit est à cette image. Et encore, Art. 4. « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. » Et encore, Art. 3. « Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. » impliquant qu’aucune Eglise ne se mette entre le citoyen et l’Etat, entre le citoyen et ses droits. Autant d’exigences qui garantissent la liberté de croire et de culte mais avant tout, que les droits de tous se trouvent respectés, avec une citoyenneté qui subsume croyance et sacré. Il est vrai, une situation qui fait la spécificité de cette France qui est à l’origine même des Droits de l’homme. On voit bien, derrière cela, combien il s’agit en fait d’un combat entre deux modèles de société radicalement opposés, avec des conceptions bien différentes du droit.

C’est la voix de la France, celle du peuple, qui doit répondre au Comité de l’ONU

C’est la France qui a été mise en cause par ce Comité de l’ONU, notre République, c’est donc du plus niveau de l’Etat que la réponse doit venir. Il en revient au seul peuple souverain, puisqu’il en va ici de l’idée qu’imprime notre constitution à notre pays et du sens qu’on entend donner à la liberté d’association autant qu’aux limites dans lesquelles la religion doit être maintenue pour l’intérêt général. Il en revient donc ici à l’autorité du corps politique ou à son plus haut représentant, de dire la voix de la France.

[2Ibidem.

[3Robert Lafore, « Ce que le voile dévoile », ASH, 29 mars 2013, n°2803.



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