Revue de presse

"Wikipédia gangrené par le militantisme… jusqu’au conflit d’intérêts ?" (Marianne, 21 nov. 24)

(Marianne, 21 nov. 24) 26 novembre 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Wikimédia France, l’organisation à laquelle est adossé Wikipédia, et dont l’assemblée générale s’est tenue le 16 novembre, est de plus en plus influencée par des associations militantes qu’elle soutient en outre financièrement. Sa propre présidente, ancienne trésorière d’une de ces associations, accuse d’ailleurs, sous pseudonyme, ses contradicteurs de transphobie pour mieux les réduire au silence.

L’internaute sait-il exactement comment est utilisé son argent lorsqu’il donne 2 euros à la Wikimedia Foundation, l’organisation qui finance et héberge Wikipédia, comme cela lui est régulièrement demandé sur les pages d’accueil de l’encyclopédie en ligne au nom de l’accès au « savoir » ?

A-t-il conscience que son argent sert à financer des associations comme Les sans pagEs dont le but est de « [créer] et [améliorer] des articles Wikipédia portant sur des femmes, sur les féminismes, le biais de genre » ? Ou comme Noircir Wikipédia dont l’objectif, lui, est de « combler les lacunes de références, d’articles, d’informations sur la culture, les personnalités africaines et de la diaspora africaine et afrodescendante » ? Sait-il qu’une part de son argent sert à financer des psychologues chargés de recueillir les doléances des contributeurs de Wikipédia qui se sont sentis « offensés » dans leurs pratiques ? Sait-il que Wikimédia France décerne des « prix de la diversité » à des associations qu’il finance par la suite ou qu’il existe une « chargée de projets francophonie et diversité » ?

Selon son rapport d’activité 2022-2023, l’association a distribué durant cette période 442 000 euros pour « animer et soutenir les bénévoles de l’association et des projets Wikimédia » et 401 842 euros pour « accompagner et encourager la participation aux projets Wikimédia ». Est-on sûr que tout cet argent contribue à l’enrichissement encyclopédique de Wikipédia ? Contactés par Marianne, le directeur exécutif de Wikimédia France, Rémy Gerbet, et sa présidente, Capucine Marin Dubroca Voisin, affirment que « l’association présente chaque année ses actions passées, ainsi que celles envisagées à l’avenir. Elle communique régulièrement sur l’ensemble de ces actions, notamment à travers son blog et une newsletter. »

Reste que des doutes se font entendre jusqu’en interne. Le 30 octobre, à la suite des questions posées aux candidats au conseil d’administration qui seront désignés lors de l’assemblée générale ce samedi 16 novembre, un contributeur exprimait ses interrogations : « Je regrette que l’association, qui était conçue comme un moyen de faire avancer les projets en permettant d’avoir un organe doté de la personnalité morale là où cela était indispensable et de faciliter le financement d’actions bénéficiant aux contributeurs, soit désormais considérée comme une entité autonome poursuivant ses propres objectifs. »

« Une situation claire de conflit d’intérêts »
Wikimédia France se définit comme « une association d’intérêt général de droit français (...) pour soutenir et promouvoir en France Wikipédia (...) et la diffusion libre de la connaissance. » Or, quel est le point commun entre cette association qui promeut Wikipédia et l’association Les sans pagEs, fondée en Suisse en 2016, et dont le but, rappelons-le, « est de lutter contre les déséquilibres de genre » ? La question est loin d’être anodine quand on sait que la présidente de Wikimédia France, Capucine-Marin Dubroca-Voisin, était la trésorière des sans PagEs jusqu’en 2023 et que la fondatrice des sans PagEs, Natacha Rault, elle, était membre du comité de gestion des conflits d’intérêts au sein de Wikimédia France ! Les deux associations ont même signé un partenariat en 2020.

Capucine-Marin Dubroca-Voisin a d’ailleurs sollicité le fameux comité à ce sujet le 4 décembre 2021. Ses conclusions sont étonnantes. D’un côté, Wikimédia admet que « le cumul des responsabilités au sein de deux associations différentes est une situation claire de conflit d’intérêts lorsque ces associations agissent sur un terrain commun », mais, de l’autre, en raison de l’absence de « bénévole susceptible de prendre en charge une partie du rôle », il autorise la présidente à reprendre ses fonctions « sous certaines conditions ».

Une association financée jusqu’à 80 % par Wikimédia
Le comité indique également que Natacha Rault, la fondatrice, s’est « déportée sur ce sujet » et « n’a pas pris part aux délibérations ». Elle n’en est pas moins restée membre du comité de gestion des conflits d’intérêts de Wikimédia France alors même que l’association Les sans pagEs est financée à hauteur de 40 % à 80 %, selon les années, par Wikimédia (30 000 euros par exemple pour l’exercice 2022-2023). Natacha Rault précise à Marianne qu’elle a démissionné du comité en 2022 de sa propre initiative quand elle est devenue salariée des sans pagEs. Elle ajoute : « Mon rôle dans le comité a été plutôt de participer aux discussions sur la mise en place du comité qui n’avait d’ailleurs pas de pouvoir décisionnaire et était plutôt un groupe de travail consultatif. »

Les sans pagEs se félicitent régulièrement sur leur compte Twitter de réduire le déséquilibre entre les pages consacrées aux hommes et celles consacrées aux femmes. Mais quels sont les critères retenus pour la création d’une page ? Lorsque le compte annonce avoir créé le 26 octobre une page sur Jana Winderen, « artiste sonore » norvégienne née en 1965 à Bodø, est-on bien sûr qu’il s’agisse ici d’une page qui relève du savoir encyclopédique ou d’un acte d’abord guidé par des considérations idéologiques ?

Inversement, comment expliquer la suppression immédiate de la page sur le viol antisémite de Courbevoie commis par des mineurs sur une fillette de 12 ans le 18 juillet 2024 ? La contributrice qui a créé la page ce jour-là confie à Marianne qu’elle n’en revient toujours pas : « La page a été supprimée deux fois, la première fois en 30 secondes puis je l’ai refaite un mois après, j’ai ajouté des sources, mais elle a de nouveau été supprimée. C’est un peu étonnant qu’il n’y ait même pas de discussion sur la suppression de la page. En tant que féministe, j’ai été choquée qu’on me dise que c’était un fait divers. On n’a jamais vu des mineurs de cet âge-là agir de cette façon. »

Seules 6 personnes ont participé à la discussion qui a débuté à 7 h 04 et s’est achevée à 9 h 51. La page a été supprimée par Exilexi à 10 h 13, un administrateur élu au CA de Wikimédia France et ancien membre des sans pagEs , au motif qu’il n’y avait « pas de sources centrées au-delà d’une semaine ».

« Un groupe minoritaire contre la volonté majoritaire »
Sous couvert d’anonymat, un contributeur regrette que le projet des sans pagEs soit « un des rares projets sur Wikipédia qui crée des articles non pas en fonction d’un domaine d’intérêt mais en fonction de ce que sont les personnes ». Il ajoute : « Quasiment aucun contributeur ne se dit qu’il contribue à un article car la personne est un homme ; je ne vois donc pas de biais de genre à combler. » Pour lui, « les choix de Wikimédia France sont problématiques puisqu’ils appuient un groupe minoritaire contre la volonté majoritaire ».

La présidente de Wikimédia France, Capucine-Marin Dubroca-Voisin, a annoncé le 11 octobre dans un mail aux adhérents qu’elle ne se représenterait pas à l’issue de son mandat de trois ans. Il a donc pris fin ce 16 novembre. Mais la justification de sa décision, à savoir, qu’« il est devenu étouffant de contribuer à ce projet en tant que personne queer », a surpris nombre de contributeurs.

L’un d’eux, Pic-Sou, écrit par exemple dans le Bistro, le lieu de discussion des contributeurs, qu’il trouve « totalement anormal » que la présidente « puisse ainsi dénigrer le projet que l’association est supposée défendre, au motif que les contributrices et contributeurs ont fait le choix de faire primer l’encyclopédisme sur certaines revendications militantes lors du sondage sur la mention du nom de naissance des personnes trans en début d’année. »

L’attaque n’est pas anodine. En plus de ses contributions sous son prénom Capucine, la présidente de Wikimédia France est en effet très active sous le pseudonyme Kvardek du, sous lequel elle n’hésite pas à accuser ses adversaires de transphobie pour mieux les réduire au silence, voire les faire bannir.

Un mélange des genres qui peut d’autant plus surprendre que le directeur exécutif, Rémy Gerbet, et la présidente ont certifié auprès de Marianne que Wikimédia France « n’a aucun contrôle éditorial sur l’encyclopédie » tout en admettant que l’utilisation des comptes professionnels des salariés de Wikimédia France et des membres du conseil d’administration ne faisait « nullement obstacle à ce que les personnes concernées contribuent aux projets Wikimédia sur leur temps libre, avec un compte différent ou même sans compte ». À la question de savoir si cela leur semblait normal que la présidente accuse sous pseudonyme ses contradicteurs de transphobie, aucun n’a en revanche souhaité répondre.

Bienveillante en public mais véhémente sous pseudo ?
Pour contourner cette ambiguïté, Capucine elle-même a effectué une modification bien commode dans la page régissant les alias de Wikipédia le 15 décembre 2021 avec son prénom Capucine en ajoutant cette mention : « Les membres du conseil d’administration et l’équipe salariée de [Wikimédia France] possèdent des comptes distincts pour leur activité associative/professionnelle et leurs contributions personnelles. » Un moyen de continuer à prôner la bienveillance en tant que présidente mais à privilégier la véhémence sous son pseudonyme ? Sur ce point, le directeur exécutif et la présidente se sont contentés de répondre que la page en question « n’a pas valeur de conditions générales d’utilisation des projets Wikimédia » et qu’« elle n’a pas été créée par l’association ».

Si certains contributeurs semblent au courant de ce double jeu (« Pourquoi ce faux nez de la présidence n’est-il pas renseigné comme tel ? » s’interrogeait par exemple Cymbella le 14 décembre 2021), la plupart semblent l’ignorer, ce qui permet à la présidente d’agir en toute impunité ou presque, puisque le statut d’administrateur de son pseudo Kvardek du a été contesté et qu’elle n’est plus désormais qu’une simple contributrice.

Lors de cette contestation, il lui était reproché notamment de revendiquer le fait de s’exprimer « en tant qu’admin trans ». La contributrice Pierrette 13 écrivait à ce sujet le 2 décembre 2021 : « Un administrateur ne doit pas s’exprimer en tant que ce qu’il ou elle est dans la vie réelle, mais en tant que gardien(ne) d’un fonctionnement institutionnel de l’encyclopédie. » Le même jour, Chaps the idol ajoutait que cette mention « ne peut être utilisée pour couvrir les agissements d’autrui. On sort clairement du cadre des missions incombant aux administrateurs. Il en est de l’intérêt de Wikipédia de ne pas jouer avec nos statuts sur fond de militantisme revendiqué pour clore tout débat. »

Plusieurs contributeurs ont déploré également « sa propension à crier à la transphobie » et le fait de « généraliser à tout Wikipédia » cette accusation. Les exemples sont légion. Kvardek du a par exemple remis la version d’une page en écriture inclusive, en accusant le contributeur qui l’avait modifiée (le 9 mai 2019), d’avoir mis « en place une version transphobe ». À quelqu’un qui contestait le changement de pronom et de prénom du comédien canadien Elliot Page dans les paragraphes concernant sa vie avant sa transition (puisqu’il est né femme sous le nom d’Ellen Page), Kvardek du répondait (le 7 juillet 2022) : « Merci pour ces propos ouvertement transphobes. »

Le simple fait de débattre de la mention du nom de naissance des personnes trans dans les pages Wikipédia est donc considéré par la présidente comme « transphobe ». Le 14 février 2024, elle écrivait sous pseudonyme à propos de cette discussion : « Quand on agresse (et soyons très clair, du point de vue des personnes trans, c’est ce que ce sondage fait) une population très minorisée, on ne peut pas exactement lui reprocher de se défendre. »

Wikipédia dispose d’une page consacrée aux « attaques personnelles » visant à protéger les contributeurs. Lorsque l’un d’entre eux a proposé d’y ajouter « les accusations de comportements discriminatoires lancées sans fondement » cela a été refusé par certains contributeurs, dont Kvardek du, considérant qu’il s’agissait d’une « inflation réglementaire ».

« Je n’ai jamais été visé personnellement par la présidente sous son pseudo Kvardek du, mais son comportement a entre autres contribué à me faire prendre le large », confie Luc, contributeur régulier à Wikipédia. Il évoque notamment les débats extrêmement houleux sur les pages de personnes transgenres : « Certains articles ont été entièrement réécrits en changeant le prénom et le pronom de la personne concernée, ce qui ne me gêne pas du tout. Mais ça a aussi été le cas pour les périodes antérieures à la transition, par exemple pour Ellen Page, devenue Elliot Page. On fait comme s’il était déjà un homme à l’époque, c’est une réécriture de l’histoire. » (Le même procédé est actuellement à l’oeuvre sur la page de l’ancien député Joachim Son-Forget, devenu Eva Son-Forget)

Luc précise que « les transactivistes n’ont pas obtenu gain de cause puisqu’une majorité relative était rétive à cette idée » mais il se dit préoccupé par le « terrorisme intellectuel » qui a régné alors.

« Je ne suis pas un homme, une femme, ni même une entité réelle »
Cela va parfois plus loin que les accusations en transphobie. Kvardek du a notamment utilisé son statut pour faire bannir d’autres contributeurs. C’est le cas notamment pour Epsilon0, officiellement condamné pour avoir utilisé plusieurs comptes, mais qui se serait surtout révélé coupable, d’après certains contributeurs interrogés, d’avoir écrit une parodie moquant les obsessions « woke » de Wikipédia : « Bonjour je m’appelle Epsilon0 et je suis un nombre ordinal. Je ne suis donc pas un homme, une femme, un être humain, ni même une entité réelle (car je ne crois pas au réalisme platonicien). Merci donc de ne pas me mégenrer en m’assignant de telles identités. »

La page a été supprimée et remplacée par un bandeau avertissant que « cette section contient des propos violents transphobie/embyphobie » (discriminants pour les personnes non-binaires, N.D.L.R.) ainsi qu’un poème de Kvardek du, qui ironie du sort, met en lien un mode d’emploi pour ne pas la mégenrer, illustrant malgré elle les propos d’Epsilon0 qui, pour pouvoir s’adresser correctement à lui, recommandait de lire « une grammaire détaillée de 1 000 pages ».

Il a été banni à vie de l’encyclopédie en ligne quand d’autres utilisent, comme nous l’avons vu, plusieurs comptes sans problème. Ce qui fait s’interroger le contributeur Belysarius « sur le bien-fondé du blocage » le 15 septembre 2022. Il ajoute que « l’ensemble des contributions » d’Epsilon0 « semble, non seulement de bonne foi mais également d’une qualité largement satisfaisante. » Il avait à son actif plus de 18 000 contributions et était sur Wikipédia depuis 2006.

Tout cela serait sans doute anodin si derrière ce pseudonyme ne se cachait pas la présidente de Wikimédia France. On peut légitimement se demander si c’est ce qu’on attend de la responsable d’une telle institution.

Le 16 novembre, il s’agissait d’élire de nouveaux membres du conseil d’administration (CA) avant d’élire une nouvelle présidence. Un contributeur interrogé confie : « Il y a une volonté pour un certain nombre de personnes d’éviter que Les sans PagEs et leurs proches ne s’emparent de trop de postes importants, notamment d’administrateurs, afin que leur ligne ne pèse pas trop sur les décisions qui pourraient être prises. »


Voir aussi dans la Revue de presse les dossiers Wikipédia dans Médias : Internet, Transgenres dans Femmes-hommes,
le communiqué Sur Wikipédia, on liquide les laïques (collectif, 23 mars 18), la note de lecture Wikipédia, un faux ami ? (E. Marquis) (note de la rédaction CLR).


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