Note de lecture

Wikipédia, un faux ami ? (E. Marquis)

par Eric Marquis. 13 juin 2009

[Les échos "Culture" sont publiés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Pierre Gourdain, Florence O’Kelly, Béatrice Roman-Amat, Delphine Soulas, Tassilo von Droste zu Hülshoff (préface de Pierre Assouline), La Révolution Wikipédia, Mille et une nuits, 2008, 142 p., 12 euros.

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Le 21 avril 2008 à 19 h, Europe 1 annonce à tort la mort de Pascal Sevran [1]. Sur l’ « encyclopédie » en ligne Wikipédia, « à 18h56 lundi, soit quatre minutes avant l’annonce tonitruante de sa mort au micro d’Europe1, la biographie de Pascal Sevran est modifiée dans le même sens définitif. Selon nos informations, l’adresse IP de l’auteur de la modification correspond à l’ordinateur... du studio Coluche d’Europe 1 ! » révèle le site d’information rue89 (26 avril 2008).

Un an plus tôt, dans la nuit du 2 au 3 mai 2007, une cinquantaine de modifications sont apportées à l’article « EPR » de Wikipédia. Pourquoi cette effervescence ? Le 2 mai au soir se tenait le débat d’entre deux tours de l’élection présidentielle ; Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal s’étaient affrontés sur la question de savoir si l’EPR est un réacteur nucléaire de « troisième » ou de « quatrième » génération… Faute que la controverse ait été tranchée par l’établissement des faits (par exemple par les « journalistes » en présence), chaque camp s’était rué sur Wikipédia pour plier la « réalité » aux dires de son champion…

Ces deux épisodes montrent à quel point l’« encyclopédie » sur Internet Wikipédia est devenue, de fait, la référence, le recours prioritaire, pour toute recherche. Chez les scolaires et les étudiants, s’en émeut depuis longtemps Pierre Assouline, qui a encadré l’étude menée par ses étudiants à l’école de journalisme de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, publiée sous le titre La Révolution Wikipédia. Mais aussi chez les journalistes !

Aussi, face à l’ampleur du phénomène, il faut revenir aux fondamentaux. D’abord, les sources. Sur Wikipédia, « le dernier qui a parlé a raison, jusqu’au prochain » souligne Pierre Assouline. Car Wikipédia est une « encyclopédie » « collaborative » : « n’importe qui peut écrire n’importe quoi, et manifestement on ne s’en prive pas. » L’enfer est pavé de bonnes intentions : Wikipédia est « fondé sur une utopie philosophique fort bien adaptée à nos temps de démocratie participative selon laquelle la vérité jaillirait nécessairement de l’accumulation des connaissances citoyennes, et non de la confrontation d’expertises », diagnostique Assouline.

Mais est-il souhaitable de soumettre la transmission de la connaissance à des critères démocratiques ? Alain Finkielkraut expliquait dans le mensuel GQ (mai 2008) : « J’essaie simultanément de défendre la démocratie comme régime, d’en désirer l’expansion et de critiquer la démocratie comme processus, qui nous emporte vers l’indétermination, l’échangeabilité, l’équivalence générale. Je ne crois pas en effet que la culture puisse être régie par des critères démocratiques. Nous sommes égaux en tant que citoyens. Cette égalité doit être défendue, mais je crois que si la démocratie sort de son lit et se met à tout inonder, la société démocratique elle-même devient invivable. […] Il faut aimer la démocratie comme régime politique et ne pas demander que tout soit soumis à la norme de l’égalité. Une école réglée par la démocratie n’est plus une école. »

Autre problème, la hiérarchisation. Sur Wikipédia, « toute “nouvelle star” élue par les téléspectateurs est assurée d’avoir une biographie deux fois plus longue que Jacques Delors », remarque Assouline.

D’après les supporters de Wikipédia, une étude de la revue scientifique anglo-saxonne Nature aurait « démontré » que Wikipédia était presque aussi fiable que la prestigieuse encyclopédie Britannica. En réalité il n’en est rien, expliquent les auteurs de La Révolution Wikipédia. D’abord, la comparaison de Nature portait seulement sur quarante-deux thèmes scientifiques, peu sujets à controverse (les articles sont parmi les moins modifiés de Wikipédia). Ensuite Nature a eu recours a des procédés très contestables ; par exemple pour comparer des articles de taille similaire, certains étaient coupés…

Pourquoi donc Wikipédia a-t-elle autant de succès ? Son principal avantage sur ses concurrents est la gratuité. De plus, elle offre une grande réactivité à l’actualité. Mais ce faisant, à la moindre controverse, cette « encyclopédie » est bien souvent, comme on l’a vu, utilisée par les camps en présence.

Certes, l’utilisateur de Wikipédia à qui l’on objecte son manque de fiabilité a très souvent une réponse type : moi je ne prends pas pour argent comptant, j’ai un « regard critique », je recoupe, etc. C’est oublier que « l’esprit critique est l’exception et non la règle », alerte Pierre Assouline. Pour Louise Merzeau, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, « Wikipédia participe à un mouvement idéologique de disqualifiquation de la médiation. »

Eric Marquis

[1Il est mort le 9 mai 2008.


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