Revue de presse

"Vote des cadres : ce malaise qu’Emmanuel Macron n’a pas voulu voir" (L’Express, 11 juil. 24)

(L’Express, 11 juil. 24) 16 juillet 2024

[Les éléments de la Revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

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Leadership. En 2017, ils lui faisaient un triomphe. Sept ans plus tard, une bonne partie d’entre eux est allée voir ailleurs. Décryptage d’une déception.

Par Laurent Berbon

Il est loin le temps où Emmanuel Macron régnait en maître sur les open spaces. Il y a sept ans, avec 36 % des voix, les cadres (22 % de la population active) étaient la première catégorie professionnelle à soutenir la Macronie au premier tour des législatives. Sept ans plus tard, la majorité présidentielle enregistre une perte de 10 points chez les cols blancs. Ceux qui verront le verre à moitié plein retiendront qu’entre les européennes du 9 juin et le premier tour des législatives, la liste Ensemble a amélioré son score de 11 points chez les cadres (le parti était tombé à seulement 15 % il y a trois semaines, soit moins que la moyenne nationale et moitié moins qu’en 2019). Peut-être la perspective d’un RN au pouvoir a-t-elle compté…

Effet dissolution ou pas, reste une question : où sont donc partis les cadres qui, en 2017 et dans une moindre mesure en 2022, avaient placé leurs espoirs dans le camp macroniste ? Si une infime partie d’entre eux a migré vers le bloc de gauche, déjà très solide chez les cadres (34 % le 30 juin dernier contre 33 % en 2017), plus nombreux sont ceux qui ont pris le chemin du… Rassemblement national. Au premier tour des législatives, le parti à la flamme a enregistré une progression de 16 points par rapport à 2017. Aux dernières européennes, la liste menée par Jordan Bardella s’est même offert le luxe de faire 6 points de plus que Valérie Hayer et jeu égal avec Raphaël Glucksmann.

Si l’on regarde les chiffres de près, le discours du RN semble particulièrement porter ses fruits chez les cadres de la fonction publique. Ce ne sont plus en effet les seules catégories C qui se tournent vers l’extrême droite. "Au premier tour de 2022, les agents de catégorie A avaient voté à 9 % pour Marine Le Pen. Ils sont aujourd’hui 24 % à penser voter pour un candidat RN au premier tour des élections législatives", soulignait il y a quelques jours le site Acteurs Publics. Quant aux européennes, ils sont 21 % à avoir glissé dans l’urne un bulletin Rassemblement national et 8 % un bulletin Reconquête, selon une note publiée par le chercheur du Cevipof Luc Rouban. Avec, fait inédit, une progression du vote RN au sein de la fonction publique d’Etat, dont les cadres seraient séduits par "un discours sur l’autorité de l’Etat".

Et pour le reste des cadres ? La réforme des retraites a été le premier déclencheur de cette prise de distance avec la majorité présidentielle : "La cote de popularité d’Emmanuel Macron auprès des classes moyennes supérieures s’est véritablement dégradée à ce moment-là", analyse Mathieu Gallard, directeur d’études chez Ipsos. "La colère contre le chef de l’Etat qui était jusque-là concentrée sur les catégories populaires au moment des gilets jaunes s’est diffusée à une partie des cadres qui se sont alors dirigés vers le RN, perçu comme l’opposant le plus solide au président".

La réforme des retraites, ce tournant
Ce n’est pas tant le fond du projet de loi sur les retraites que la forme qui est en cause. Une réforme conduite de manière très verticale et à coup de 49.3 par le pouvoir en place, pas de quoi séduire une catégorie de la population "encline à souhaiter plus d’horizontalité et de compromis", poursuit Mathieu Gallard. Laurent Dumanche, secrétaire général de la CFDT Cadres pointe un autre souci de méthode : "Pour les cadres, le problème n’est pas tant de travailler deux ans de plus que de mettre en place les conditions pour travailler mieux, afin de faire justement ces deux années supplémentaires. Or, en l’espèce, le gouvernement a fait les choses à l’envers". Le leader syndical fait ainsi référence à la question du "travailler mieux" que le gouvernement a mis sur la table, mais seulement en réponse aux manifestations contre les retraites. Avec qui plus est comme seule avancée concrète, l’expérimentation de la semaine en quatre jours dans la fonction publique et des discussions autour de son élargissement à d’autres secteurs. Pas de quoi rallumer la flamme des cadres managers dont les études qui se succèdent ces dernières années pointent toutes un profond mal-être. "Ils ont des conditions de travail de plus en plus difficiles. Dans un monde digitalisé qui va de plus en plus vite, ils sont tiraillés entre les objectifs qu’on leur assigne, leurs équipes et les injonctions contradictoires", décrit Laurent Dumanche, qui déplore que les sujets touchant aux nouvelles formes de travail comme l’organisation hybride, le droit à la déconnexion et l’équilibre des temps de vie ne soient pas des thèmes pleinement portés par les partis, y compris chez ceux qui proposent de revenir sur la réforme des retraites.

Et que dire de la loi immigration votée neuf mois plus tard ? Le double effet kiss cool pour les cadres, selon Mathieu Gallard : "La conjonction d’un élément social et sociétal n’a pas arrangé les choses auprès de ces catégories plutôt diplômées et ouvertes sur ce sujet". Lequel souligne comme autre possible effet repoussoir "l’optique conservatrice" du chef de l’Etat depuis 2022 sur les enjeux de société, citant entre autres "l’épisode Gérard Depardieu". "Tout cela donne le sentiment qu’au cours des dernières années, Emmanuel Macron, qui en 2017 incarnait le centre-gauche pour une partie de l’opinion, a davantage cherché à chasser sur des terres d’une droite à la fois plus libérale et conservatrice, expose Mathieu Gallard, or ce ne sont pas des options idéologiques qui conviennent très bien aux cadres qui sont sur plutôt sur une ligne sociale-démocrate."

Dernier marqueur du vote des cadres : le porte-monnaie. Entre 2019 et 2023, ces derniers ont en effet perdu plus de pouvoir d’achat que les ouvriers (Institut Rexecode). "Il y a un tassement des rémunérations des cadres au regard du mouvement plus large de revalorisation vers le bas", confirme Laurent Dumanche, qui résume en ces quelques mots leur état d’esprit : "Ils ont le sentiment d’être les oubliés du partage".



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