Culture / Cinéma

Vers un avenir radieux - L’avenir dure longtemps, semble nous dire Nanni Moretti (Th. Martin, 6 juil. 23)

par Thierry Martin. 6 juillet 2023

[Les échos "Culture" sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

Vers un avenir radieux (Il sol dell’avvenire), de Nanni Moretti (1 h 35), avec Nanni Moretti, Margherita Buy, Silvio Orlando. Sorti le 28 juin 2023.

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« L’Avenir dure longtemps » (pour reprendre le titre d’un livre du camarade Althusser) semble nous dire Nanni Moretti dans son dernier opus Il sol dell’avvenire. Trente ans après, Nanni Moretti, qui fait des repérages avec son producteur dans les rues de Rome, a troqué la Vespa tellement italienne de Journal Intime pour la moderne trottinette électrique, preuve que le cinéaste n’est pas nostalgique.

Vers un avenir radieux - titre destiné au seul public français - Il sol dell’avvenire, extrait de l’autre chanson de la résistance antifasciste italienne avec Bella ciao, est tagué en lettres géante rouge avec un grand pinceau par les militants du Parti communiste italien en cet automne 1956, période où se déroule le film en train de se faire et dont nous découvrons les premières séquences. L’arrivée d’un cirque hongrois dès le début de ce film dans le film convoque d’emblée l’univers du spectacle de Fellini dans les décors de Cinecittà et la coïncidence historique ; après quelques jours les gens du cirque solidaires de leurs frères hongrois insurgés se mettent en grève.

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Très vite le spectateur est confronté à l’écriture de trois histoires entremêlées : celle qu’on écrit, celle qu’on vit et celle qu’on rêve. La politique, l’amour et l’espoir. « Le cinéaste nous entraîne dans son paysage mental, bâti de fidélités et de regrets », écrit Eric Neuhoff dans Le Figaro.

1956. Malgré la répression par les chars soviétiques de l’insurrection ouvrière de Budapest, l’alignement sur l’URSS est maintenu par Togliatti, le Thorez italien. Mieux vaut avoir tort avec le Parti que raison seul ; l’esprit stalinien triomphera tant au PCI qu’au PCF. La vraie rupture des deux partis frères n’adviendra qu’à propos de la construction européenne, le PCF voulant conserver la nation comme vecteur de liberté pour les peuples – ce qui nous éloigne de l’objet du film. Le metteur en scène, sourcilleux dès lors qu’il débusque un objet anachronique dans le décor, idéalise la position du PCI, et n’hésite pas à réécrire l’histoire : Et si… ? Et si… ? Et si la section Antonio Gramsci du PCI avait choisi l’hérésie et renversé le cours de l’Histoire, son chef, Ennio (Silvio Orlando) rédacteur en chef de L’Unità (L’Humanité italien), amoureux de Vera (Barbora Bobulova) qui pousse à l’action par la base, ne se serait pas pendu, comme le prévoyait au départ le scénario de Giovanni, qui a changé d’avis au cours du tournage.

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Giovanni (Nanni Moretti), cinéaste italien renommé, s’apprête à tourner son nouveau film. Il voudrait bien regarder Lola, affublé d’un improbable patchwork - sans doute fétiche - entre sa femme Paola (Margherita Buy) et sa fille, en mangeant une glace, un rite qu’il s’impose, et qu’il impose avant chaque nouveau tournage qui heureusement n’ont lieu que tous les cinq ans. Mais entre son couple en crise, Pierre (Mathieu Amalric) son producteur français au bord de la faillite, et sa fille amoureuse qui le délaisse, tout semble jouer contre lui ! Crisis en grec signifie : nécessité de discerner et de faire un choix. Un échec, une dépression ou une maladie constituent des crises qui nous indiquent qu’il faut changer quelque chose dans notre vie, qu’il est temps de procéder à un choix, parce que « ça ne peut plus continuer comme ça ».

Il explique à son actrice qu’il admire Cassavetes, un bel homme, mais que lui qui est à l’opposé de ce cinéma ne laisse pas de place à l’improvisation. Jouant sur le registre de l’humour ou de l’émotion jusqu’à nous tirer des larmes, toujours sur la corde raide, Giovanni va devoir repenser sa manière de faire s’il veut mener tout son petit monde vers un avenir radieux.

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Cette autofiction sans l’être vraiment n’est pas chargée de nostalgie mais tournée vers le futur, Il Sol dell’avvenire. « Je voulais que le film suive le flux des pensées et des émotions de Giovanni. Pour cela, tout en racontant une histoire (ou plutôt plusieurs histoires), j’avais besoin d’un scénario ample et libre, capable de contenir différentes couches, tonalités et styles. Le film traverse différentes crises puis les surmonte grâce au cinéma qui a le pouvoir magique de nous faire redécouvrir la légèreté et l’envie d’être heureux. Malgré tout », dit Moretti [1] qui semble s’être inspiré de la pluralité des points de vue de The Father [2] pour rendre cette incursion très réussie dans son paysage mental sans aucune vanité. Film qu’il cite quand il explique par ailleurs qu’Anthony Hopkins en pyjama ne marche pas avec des pantoufles, on l’entendrait. Il imite le bruit des pantoufles, c’est le claquement caractéristique des souliers qu’on entend dit-il en faisant le bruit des souliers. Il assume ses lubies, pas de sabot ni de pantoufle, nous on adore mais sa femme en a marre au point d’être en train de le quitter.

Il Sol dell’avvenire du cinéaste romain est une ode au cinéma, celui qu’on regarde en salle. Films d’auteurs comme Lola de Jacques Demy. Il rêve de faire un film « en-chanté » dont on aperçoit les bribes avec de vrais morceaux de chansons populaires italiennes. Parmi les scènes désopilantes : plan fixe de l’habitacle-avant de la voiture qui est occupé par le couple à la ville : c’est madame qui conduit. Giovanni met la musique. Think, Areta Franklin. Il chante. Applaudit en rythme. Balance la tête, les mains, les avant-bras. Les deux chantent, gestes synchronisés. On est dans les Blues Brothers.
« Yeah, think (think, think)
Let your mind go, let yourself be free
Oh, freedom (freedom), freedom (freedom)
Oh, freedom, yeah, freedom » [3]

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Il intervient dans un tournage à Cinecittà, le jeune réalisateur qui l’admire fait néanmoins un film ultra-violent à la Tarantino. Il l’arrête. Tu ne tueras point de Kieslowski cité pour parler de la violence à l’image, devenue de nos jours, un divertissement. L’éthique prime l’esthétique. Un assassinat doit rester insoutenable.

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Il menace Netflix de finir comme Saint Michel avait un coq des Frères Taviani où l’anarchiste Giulio Manieri, quand il prend conscience de la vanité de ses idéaux et de l’inutilité de son combat parce que les temps ont changé, se laisse engloutir par les flots... L’équipe de Netflix insiste sur le fait qu’ils sont diffusés dans 190 pays. 190. La fille explique qu’on a juste quelques minutes pour captiver les téléspectateurs d’une plateforme, d’où la nécessité d’un moment « What The Fuck ! » qu’ils ne trouvent pas dans son scénario. Giovanni et sa femme sortent de la réunion. Ils sont abasourdis, sidérés. Le visage figé, les yeux exorbités, le cinéaste lâche : What The Fuck !

Beaucoup de gros plan du visage de Nanni Moretti, avec son léger strabisme à la Vittorio Gassman, incarne ce réalisateur qui en a trop vu comme dirait Eric Neuhoff.

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Quand ses personnages vont au cinéma, c’est pour voir Marcello et son sourire ravageur en costume blanc sur la plage. La Dolce vita ! Fellini, le Maestro, depuis le début on pense à Huit et demi, mais aussi à La Nuit américaine de Truffaut : « Ne fais pas l’idiot, Alphonse. Tu es un très bon acteur, le travail marche bien. Je sais, il y a la vie privée, mais la vie privée, elle est boiteuse pour tout le monde. Les films sont plus harmonieux que la vie, Alphonse, il n’y a pas d’embouteillages dans les films, il n’y a pas de temps mort, les films avancent comme des trains, tu comprends ? Comme des trains dans la nuit. Les gens comme toi, comme moi, tu le sais bien, on est faits pour être heureux dans le travail, dans notre travail de cinéma. »

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Dans Il sol dell’avvenire (« Le soleil de l’avenir »), Nanni Moretti nous donne à voir ce que serait ou ce qu’aurait été ce monde meilleur. Un autre avenir. Non pas une foule mais cent visages comme cent fleurs qui s’épanouissent. La prépondérance de l’amour sur la politique. Et si…, et si…

Que ceux qui craignent que le film ne soit « spoilé » par tout ce qui vient d’être raconté ici se rassurent ; la richesse de chacun de ses plans, fait qu’il entrera dans la catégorie des œuvres que les cinéphiles verront et reverront, et je n’ai pas parlé de la scène de la rencontre avec le petit ami de sa fille Emma (Valentina Romani), vous verrez.

Thierry Martin
auteur de
BoJo, un punk au 10 Downing Street,
Amazon, 2022, 312 p., 14,98 €.


Voir aussi dans la rubrique Culture d’autres critiques de films (note de la rédaction CLR).


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