Revue de presse

V. Tournier : "« Hommes blancs non musulmans » : réponse à mon collègue de Sciences Po Grenoble" (lepoint.fr , 23 mars 21)

Vincent Tournier, maître de conférences de sciences politiques à l’IEP de Grenoble. 24 mars 2021

[Les éléments de la revue de presse sont sélectionnés à titre informatif et ne reflètent pas nécessairement la position du Comité Laïcité République.]

"[... Un] professeur de sociologie à l’IEP de Grenoble, un collègue que je côtoie depuis une quinzaine d’années [écrit sur twitter :] « Le cadre “liberté d’expression” autorise aussi dans cette affaire deux hommes blancs non musulmans à dire dans l’espace public, sans que rien ne les arrête, que l’islamophobie n’existe pas. »

[... Il] nous dénie le droit de participer à quelque controverse que ce soit en raison de nos spécificités personnelles. Il reprend ici la vieille tactique qui visait, dans les années 1970, à discréditer son adversaire à partir de la question « d’où parles-tu ? ». À l’époque, cette interpellation se situait essentiellement sur le terrain social (en gros : l’origine bourgeoise, qui était supposée disqualifiante) ; désormais, l’oukase s’affranchit des logiques de classes sociales pour s’étendre à des critères qui concernent les caractères physiques et religieux des personnes.

Pourquoi donc [...] nous réduit-il à ces caractéristiques ? Pourquoi considère-t-il que le sexe, la race et la religion sont des obstacles rédhibitoires pour exprimer sa pensée ? En quoi ces caractéristiques nous empêcheraient-elles de raisonner, de discuter, de polémiquer, d’avoir droit au chapitre ? Cette manière de nous catégoriser est d’autant plus problématique qu’[il] ne sait rien de nous : il ne connaît ni nos origines, ni notre généalogie, ni même nos convictions religieuses. [...]

L’irruption de cette grille identitariste a des racines profondes et constitue sans doute l’un des traits les plus saillants de notre époque. Elle explique pourquoi le débat argumenté devient si difficile, si passionnel, et souvent même impossible. Le fait que des universitaires participent à cette spirale régressive doit interpeller et être regardé avec beaucoup d’inquiétude.

[...] Si on suit un tel raisonnement, cela signifie que les identités doivent être vues comme délimitant étroitement le champ des opinions légitimes sur lesquelles chacun peut s’exprimer. Le principe même d’un espace civique ouvert à l’échange argumenté s’en trouve remis en cause, pulvérisé à coups d’enfermements identitaires : à quoi bon débattre puisque chacun ne fera qu’exprimer les idées qui sont liées à son essence, à sa nature. Du reste, pourquoi s’arrêter à des critères tels que le sexe, la race ou la religion ? Pourquoi ne pas élargir la liste et inclure, par exemple, l’âge, la résidence, la profession, les sensibilités, les traumatismes, le poids, la taille, ou que sais-je encore ?

Le défi qui est aujourd’hui lancé aux démocrates est très sérieux. Si nous acceptons cette logique, c’en sera fini de l’idée même d’un espace public ouvert de la discussion, d’un espace unifié et universel auquel tout le monde peut participer, quelles que soient ses origines et sa situation : il faudra au contraire se résoudre à considérer que l’espace civique est segmenté en autant de groupes qui composent la société, chaque groupe s’autorisant à réglementer ce qui peut être dit, et par qui. Nous aurions alors rompu avec l’un des acquis les plus précieux de notre modernité, à savoir la rupture avec les sociétés d’ordres et de castes qui prévalaient autrefois."

Lire "« Hommes blancs non musulmans » : réponse à mon collègue de Sciences Po Grenoble".



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